02/03/2021 europalestine.com  7 min #186269

Pourquoi les tortionnaires du Shinbet n'ont pas à redouter de sanction

 2 mars 2021

Ci-dessous un article de Yael Stein, directeur de la recherche de B'Tselem, organisation israélienne de défense des droits humains, qui accuse les plus hautes instances judiciaires israéliennes de « dissimuler la normalisation de la torture contre les Palestiniens ».

« La semaine dernière, Avichai Mandelblit, procureur général d'Israël, a annoncé sa décision de mettre un terme aux poursuites engagées contre le Shin Bet (services secrets israéliens), accusé d'avoir employé la torture contre un Palestinien.

Le Shin Bet,détient Samer Arbeed (45 ans) depuis le 25 septembre 2019. L'agence le soupçonne d'avoir transporté une bombe qui a tué un colon de 17 ans, Rina Shnerb, en août 2019.

Lors de son long interrogotoire, Samer Arbeedun médecin israélien israélien aurait attesté à deux reprises qu'il était dans une « condition physique acceptable » et pouvait continuer à être interrogé. (Pratique courante en Israël où un certain nombre de médecins acceptent de se prêter à cette odieuse mascarade, NDLR).

Pourtant, le matin suivant, il dut être conduit à l'hôpital dans un « état critique ». Il avait des côtes fracturées et des traumatismes sur ses membres, son cou et sa poitrine. Un jour plus tard, un représentant officiel du Shin Bet signifiait à sa famille qu'Arbeed était hospitalisé, inconscient et sous respirateur artificiel.

« Torturer des Palestiniens lors des interrogatoires est depuis longtemps une pratique habituelle du Shin Bet.

Arafat Jaradat mort sous la torture

« Il est cependant plus rare que les détenus palestiniens doivent être hospitalisés suite à cette pratique. L'hospitalisation d'Arbeed a fait les gros titres des médias, soulevant de sérieuses questions sur le comportement du Shin Bet, et poussant les autorités israéliennes à faire la promesse solennelle que la question ferait l'objet d'un examen approfondi », indique B'Tselem.

Mascarade, mode d'emploi

« La première étape de cet examen fut le département chargé du traitement des plaintes. Il avait pour tâche d'établir si le Shin Bet pouvait être soupçonné d'avoir une conduite criminelle. Or, si des centaines de plaintes ont afflué vers ce département au fil des ans, il a conclu à chaque fois, à une exception près, qu'on ne pouvait rien soupçonner de répréhensible avant de clôturer le dossier.

Normalement, le blanchiment s'arrête là. Mais dans le cas d'Arbeed, les scénaristes de la mascarade ont décidé de poursuivre plus avant l'investigation. Les responsables de l'interrogatoire ont été questionnés. Les témoins ont fait des déclarations. Des documents ont été saisis. Même le Centre national israélien de médecine légale a ordonné un rapport.

Finalement, passé un délai suffisant pour que l'on puisse clore l'affaire sans susciter trop de réactions, le procureur général put annoncer qu'il fermait le dossier « faute d'éléments pour étayer le fait qu'une infraction aurait été commise. »

La vraie raison, c'est que les actes du Shin Bet qui ont conduit Arbeed à l'hôpital, même s'ils ne sont pas véritablement interdits, ne sont pas légaux non plus. Malheureusement, le pays le plus moral de la planète ne peut pas faire des choses comme ça. C'est pourquoi ces pratiques doivent rester profondément dissimulées dans le secret des procédures internes du Shin Bet, rendant la conclusion du procureur général inévitable.

Justifier la torture

Le détail de ce que les interrogateurs ont le droit de faire reste évidemment secret. Mais des centaines de témoignages de Palestiniens recueillis au fil des ans dressent le tableau vivant et terrifiant de ce qui se passe pendant ces interrogatoires, dont certains peuvent durer plusieurs semaines.

Pour commencer, les interrogateurs peuvent maintenir le détenu à l'isolement dans une cellule minuscule, sombre et sale. Ils peuvent le priver de nourriture pendant des jours ou ne lui donner que de la nourriture avariée, crue, immangeable. Ils peuvent le battre et lui interdire l'accès aux toilettes. Ils peuvent menacer de lui faire du mal, à lui ou à sa famille, l'insulter et lui hurler dessus. Ils peuvent l'attacher sur une chaise dans une position pénible pendant de longues périodes.

Ils peuvent envoyer de l'air froid dans sa cellule tout en refusant de lui fournir des couvertures. Ils peuvent lui refuser de se doucher, de changer de vêtements ou de se brosser les dents pendant des jours d'affilée. Ils peuvent lui refuser le traitement médical dont il a besoin et finalement le priver de sommeil pendant des jours.

Rien de tout cela n'est contraire à la loi. La Commission Landau, formée par le gouvernement israélien en 1987, a conclu qu' « une pression physique modérée » peut être utilisée par les interrogateurs. En quoi consiste une telle « pression » ? Cela n'a jamais été précisé, bien que le rapport de la Commission ait inclus une annexe secrète qui autorise des méthodes additionnelles pour « extraire des information des détenus ».

Dans son célèbre jugement de 1999, la Haute cour de Justice israélienne a infirmé les conclusions de la Commission Landau en proscrivant toute une panoplie de méthodes de torture. Cependant les juges ont laissé aux interrogateurs la possibilité d'invoquer « l'état de nécessité ». L'usage de la torture est alors justifié par une urgence sécuritaire.

C'est pourquoi les interrogateurs israéliens n'ont pas besoin de cacher quoi que ce soit à leurs supérieurs. Au contraire, ils enregistrent méticuleusement le déroulé de leurs interrogatoires dans des documents secrets, détaillant les méthodes qu'ils ont employées et pendant combien de temps, et lesquelles peuvent être officialisées devant une cour de justice en cas de besoin. Pour leur part, des médecins examinent les détenus pour confirmer que leur condition physique permet de poursuivre plus loin les interrogatoires. Quant aux juges, ils approuvent largement les demandes de détention provisoire et prolongent souvent les arrêtés qui refusent aux Palestiniens emprisonnés de bénéficier d'un conseil juridique.

Réparer le maquillage

Pris dans son ensemble, cet enchevêtrement de règles et d'institutions ne sert qu'à maquiller le fait qu'Israël permet, voire encourage, la pratique de la torture dans les interrogatoires. Ce maquillage fait du bon boulot pour dissimuler les flétrissures et les atrocités d'Israël. Mais de temps en temps, il y a quelque chose qui cloche et la vérité se fait jour comme dans le cas de Samer Arbeed.

Quand cela arrive, les autorités israéliennes se mobilisent, non pas pour enlever le maquillage mais pour le rafraichir un peu. L'application de la loi israélienne, très efficace pour blanchir ces crimes, se mobilise très vite pour donner l'apparence d'une enquête sérieuse et approfondie visant à établir la vérité. Et à la fin, chacun de pousser un soupir de soulagement. Tout redevient comme avant. Le sceau de la légalité est accordé et, le plus important, la torture elle-même demeure légale.

Mais pourquoi, demandera-t-on, est-ce qu'Israël se donne tellement de mal avec ce maquillage ? Ne pourrait-il pas simplement dire la vérité et affirmer qu'il est acceptable de torturer des Palestiniens ?

C'est peut-être parce que les Israéliens pensent que « les étrangers ne comprendraient pas. » Peut-être qu'Israël aurait à subir un sérieux effet boomerang contre sa politique et même en subir des conséquences. Mais il y a peut-être une autre raison. La torture, dans son principe, s'en prend à l'humanité d'une personne. Elle fait d'elle une coquille vide, un objet conçu pour faire le mal. Les Israéliens ne peuvent admettre que c'est ainsi qu'ils voient un autre peuple. Quand il leur devient trop difficile de se regarder dans le miroir, le masque vient à point nommé. »

(Traduit par Philippe G. pour CAPJPO-Europalestine)

Source :  972mag.com

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