02/03/2021 reseauinternational.net  10 min #186270

Prozorov : L'armée ukrainienne pourrait percer les défenses de la Rpd et de la Rpl, mais après, le front reculerait dans l'autre sens

L'  ancien officier du SBU passé en Russie, Vassili Prozorov, a accordé une interview à Sergueï Lebedev, où il parle de la guerre dans le Donbass, et entre autre de la possibilité d'une percée des défenses de la RPD et de la RPL (Républiques Populaires de Donetsk et de Lougansk) par l'armée ukrainienne, qui même si elle réussissait, serait suivie d'un recul du front dans l'autre sens ~ Christelle Néant

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par Sergueï Lebedev.

« Sans droit à la gloire, pour la gloire de l'État » est la devise de ceux dont le travail est « à la fois dangereux et difficile, et à première vue, comme invisible »... L'un d'eux est mon vieux camarade, Vassili Prozorov. N'ayant pas accepté le coup d'État à Kiev, il a collaboré avec les services secrets russes dès les premiers jours du Maïdan. Tout en continuant à travailler dans l'appareil central du SBU, Vassili a fait tout son possible pour aider les citoyens du Donbass, détruits par le Maïdan en Ukraine, qui se sont rebellés et ont pris les armes.

Le lieutenant colonel du SBU (services secrets ukrainiens), qui avait accès à diverses archives et documents, a transmis pendant près de cinq ans des informations et des documents confidentiels aux services secrets russes. Les Ukrainiens crient partout sur Internet que Vassili est un traître. Mais c'est une fenêtre d'Overton, lorsque vous attribuez votre culpabilité à quelqu'un d'autre. Ceux qui ont trahi l'Ukraine sont ceux qui ont organisé le coup d'État à Kiev, suppliant à genoux les ambassadeurs américains de prendre le parti de l'Ukraine. Ont trahi ceux qui ont tué et qui tuent encore des citoyens sans défense dans tout l'ancien État, qui ont déclenché la guerre dans le Donbass, qui ont glorifié le fascisme, à cause duquel, pendant la Grande guerre patriotique, environ cinq millions de citoyens de la seule RSS (République Socialiste Soviétique) d'Ukraine sont morts.

À l'occasion de l'anniversaire de l'opération de Debaltsevo, nous avons évoqué cette époque, parlé de la guerre qui se rapproche dans le Donbass, de l'avenir du territoire ukrainien et du peuple qui y vit. Interview avec Vassili Prozorov :

Sergueï Lebedev : Pour autant que je sache, pendant l'opération de Debaltsevo, vous étiez dans le camp ennemi, en train de mener des activités de renseignement contre les autorités du Maïdan. Pouvez-vous nous dire dans quelles zones vous vous êtes personnellement rendu ?

Vassili Prozorov : Pendant la bataille de Debaltsevo, j'étais sur un autre déploiement dans la zone de l'OAT [Opération Anti-Terroriste, nom initial de la guerre dans le Donbass - NDLR]. La base du quartier général commun du bureau central du SBU dans la zone de l'OAT était l'hôtel « Kramatorsk » dans la ville du même nom. C'est là, du 6ème au 9ème étage, qu'étaient logés les officiers du SBU travaillant dans la zone de l'OAT. En outre, il y avait des groupes avec un déploiement permanent dans différentes villes du Donbass : cinq dans la région de Lougansk (Severodonetsk, Rubejnoye, Lissitchansk, Novoaïdar et Starobelsk) et sept dans la région de Donetsk (Marioupol, Slaviansk, Konstantinovka, Kramatorsk, Volnovakha, Krasnoarmeïsk et Artemovsk). Ces groupes locaux ont été constitués à partir des unités régionales du SBU. Par exemple, la direction régionale du SBU de Khmelnitski a affecté du personnel en permanence au groupe de Lissitchansk, tandis que la direction de Kiev et de la région de Kiev ont affecté du personnel au groupe d'Artemovsk.

Pour ma part, lors de cette rotation, je supervisais le groupe stationné à Lissitchansk, je passais donc plus de temps sur les lignes de front allant de Chtchastye à Severodonetsk, ne restant à Kramatorsk que pendant les pauses entre les déploiements.

Dites-nous comment la nouvelle de l'encerclement des troupes à Debaltsevo a été reçue dans le territoire contrôlé par l'armée ukrainienne ?

Bien que ce ne soit pas mon métier, je connaissais bien les sentiments qui prévalaient au sein de la direction de l'OAT, qui était stationnée au camp de base de Sarmat (stationné à l'aérodrome de Kramatorsk). Le fait est que dans le quartier général lui-même, il y avait aussi des employés du centre anti-terroriste du SBU, car légalement l'opération anti-terroriste était dirigée par le Service de Sécurité de l'Ukraine, et plus précisément le centre anti-terroriste.

Et lorsque mes collègues sont venus de l'aérodrome à leur hôtel, ils m'ont raconté comment l'attitude face à la situation dans la région de Debaltsevo avait progressivement changé, passant du calme à la panique.

Comment appeler cela autrement, lorsqu'au quartier général du SBU, situé à l'hôtel Kramatorsk à l'époque, il y avait des plans tout à fait sérieux pour évacuer les unités du SBU de Kramatorsk, car on pouvait raisonnablement craindre que le front s'effondre et que la ville doive être abandonnée.

De plus, les collègues du groupe stationné à Artemovsk m'ont beaucoup parlé. Lorsque le repli principal des unités ukrainiennes hors du chaudron a commencé, mes collègues se sont enfermés dans leur bâtiment et ne sont pas sortis pendant deux jours - la situation à Artemovsk était très tendue. Les militaires ukrainiens qui étaient sortis du chaudron étaient dans un état psychologique désastreux, et il y avait des cas massifs d'ivresse, de pillage, de vol et de recherche des responsables de la défaite des troupes.

Le sujet de Debaltsevo s'est très vite effacé dans les cercles des forces de sécurité ukrainiennes. Très vite, il est devenu tout simplement indécent de le mentionner, sur fond d'échec et de défaite. En même temps, les représentants des structures du pouvoir se sont concentrés sur les pertes infligées aux unités de la RPD et de la RPL, et même aux forces armées russes, et ont souligné la supériorité numérique de l'ennemi, les pertes énormes qui leur ont été infligées et la nécessité d'organiser une retraite. Lorsque le thème de la défaite en général a été évoqué, il a été suivi d'excuses telles que « nous aurions défendu Debaltsevo » s'il n'y avait pas eu la trahison de certaines unités qui avaient volontairement abandonné leurs positions (comme le 40e bataillon d'infanterie motorisée). En outre, ils ont commencé à souligner de toutes les manières possibles les actes héroïques de tel ou tel soldat pendant la bataille, comme le conducteur du char de la 17e brigade de chars, qui a abattu trois chars près de Logvinovo, ou les soldats du 3e régiment des forces spéciales, qui ont passé plusieurs jours à marcher à travers des champs enneigés jusqu'aux positions ukrainiennes.

Avec le temps, même les officiers des Forces Armées Ukrainiennes (FAU), qui étaient personnellement à la bataille de Debaltsevo, ont commencé à croire à la version officielle des événements. En 2017, lorsque j'ai parlé à divers officiers militaires de haut rang, j'ai entendu la version officielle de leur part. Je pense qu'ils ont essayé de s'auto-persuader, parce que sinon ils devaient parler de l'effondrement de l'armée ukrainienne et, surtout, l'admettre eux-mêmes.

Y a-t-il eu des enquêtes sur la défaite militaire de l'armée ukrainienne à Debaltsevo ?

Pour autant que je sache, il n'y a pas eu de procédure officielle en Ukraine concernant la défaite à Debaltsevo. Après tout, ils ne peuvent toujours pas établir qui est responsable de la défaite à Ilovaïsk. Et Debaltsevo est reconnue comme une « opération réussie ». Quel type d'enquête peut avoir lieu dans ces conditions ?

Six ans seulement se sont écoulés depuis la libération de Debaltsevo. Et les militaires ukrainiens ont « oublié » la défaite et menacent à nouveau de passer à une action militaire de grande envergure. Est-ce l'effet de la propagande ou sont-ils convaincus de pouvoir gagner cette fois-ci ? L'armée ukrainienne a combattu la milice avec plus ou moins de succès. Après Debaltsevo, la milice a été remplacée par l'armée. Est-il possible pour l'armée ukrainienne, sans l'aide de militaires et d'équipements étrangers, de vaincre non pas la milice mais l'armée du Donbass ?

L'armée ukrainienne ne doit pas être sous-estimée à l'heure actuelle. Ils ont des unités assez motivées et assez bien formées. Il ne faut pas oublier que les forces armées ukrainiennes, pour le meilleur ou pour le pire, organisent régulièrement des entraînements au combat et à la coordination des combats, avec la participation d'un grand nombre d'instructeurs étrangers.

Cependant, rien de tout cela n'est généralisé. Et les unités individuelles, même parfaitement formées, ne seront pas en mesure de gérer la situation dans son ensemble. Mon opinion est que l'armée ukrainienne est capable de « pénétrer » les défenses de la RPD et de la RPL dans une ou deux zones. Mais ils ne seront pas capables de transformer le succès en victoire stratégique.

Et de nombreux facteurs joueront contre eux : un grave manque de personnel, des problèmes de munitions, notamment pour l'artillerie de gros calibre, et le manque de combattants motivés du modèle de 2014, qui se souviendraient des offensives réussies des FAU et ne resteraient pas simplement assis dans les tranchées. En outre, nous ne devons pas oublier l'aspect moral : les combattants de la RPD et de la RPL se battent pour leur terre, alors que du côté opposé, il y a un nombre considérable de gens qui ont signé un contrat simplement parce qu'ils n'ont pas d'argent en Ukraine. Et donc, après, la ligne de front reculerait dans l'autre sens.

Pensez-vous qu'en cas de nouvelle défaite militaire, les services secrets ukrainiens vont se tourner vers des activités terroristes contre la Russie et les républiques non reconnues ?

En ce qui concerne la nouvelle défaite et la transition de l'Ukraine vers des tactiques terroristes. Tout d'abord,  l'Ukraine utilise activement des tactiques de sabotage et de terrorisme depuis le début de l'année 2015 et même depuis le début de l'OAT. Ce n'est donc pas nouveau. J'ai écrit à ce sujet à plusieurs reprises dans mes enquêtes. Et deuxièmement, il me semble qu'après une autre grave défaite militaire, l'Ukraine n'aura pas la possibilité de déployer de nouvelles tactiques. La situation dans le pays est déjà très loin de la normale, et une défaite militaire entraînera simplement son effondrement et sa désintégration.

Vous vivez en Russie depuis longtemps, vous avez pratiquement vécu toute votre vie en Ukraine. Qu'en pensez-vous : s'agit-il du même peuple ou sont-ils très différents ?

Un seul peuple. Oui, je crois que la population de l'Ukraine et de la Russie forment un seul peuple. Bien sûr, à quelques exceptions près. Et en cas de transfert du pouvoir à Kiev à d'autres forces et de renversement de la propagande à 180 degrés en un instant, les mêmes personnes diront : nous ne voulions pas, nous avons été forcés... Et d'ici une génération, ils ne seront pas différents des habitants de Belgorod ou de Krasnodar. Même si, bien sûr, il faudra procéder à une sorte de dénazification. Et il faudra travailler longtemps pour identifier les « points chauds de la résistance ukrainienne ». Mais... c'est normal. C'est un problème qui peut être résolu.

PS : Vassili est un exemple frappant du fait que tout en Ukraine n'est pas définitif et que tout le monde n'a pas accepté le coup d'État. De nombreuses personnes dans diverses structures ont résisté et continuent de résister au néo-fascisme ukrainien d'une manière ou d'une autre. Il est tout simplement impossible d'écrire sur eux maintenant. Et il n'est pas facile non plus de savoir si nous apprendrons plus tard les détails de leurs activités.

Leur devise : « Sans droit à la gloire, pour la gloire de l'État ». Nous apprenons très rarement les exploits des agents des services de renseignement, leur dur et dangereux travail. Mais sans eux, il serait extrêmement difficile pour nous, la résistance, la milice, simplement une partie des citoyens des territoires ukrainiens, de survivre.

Le temps passera, tout se mettra en place, la « fenêtre d'Overton » se refermera, et les choses seront appelées par leur vrai nom. Notamment grâce à Vassili Prozorov, qui a fourni de nombreux documents sur les bataillons punitifs des fascistes ukrainiens, sur le Boeing abattu au-dessus du Donbass, sur les atrocités et les tortures du bataillon néo-nazi « Azov » et bien d'autres choses encore. Je ne sais pas s'il y aura un procès, ou si nous déciderons tout entre nous, en rendant le dernier service aux morts et à leurs proches. Mais tant qu'il y aura des gens comme Vassili Prozorov, les criminels de guerre du territoire ukrainien n'auront aucun endroit sûr sur cette planète.

source :  voskhodinfo.su

traduit par  Christelle Néant pour Donbass Insider

via  donbass-insider.com

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