25/05/2022 les-crises.fr  13 min #208847

Elon Musk n'est pas une menace pour notre société Tous les ultra-riches le sont.

Les ultra-riches achètent des organes de presse précisément pour permettre à des mensonges de se diffuser aux dépends de la vérité (y compris le mensonge selon lequels ils seraient indispensables).

Source :  Jonathan Cook
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le point le plus dangereux à propos de l'achat de Twitter par Elon Musk pour 44 milliards de dollars est l'idée, qui se diffuse rapidement, selon laquelle le fait qu'il contrôle une plateforme influente de réseau social est dangereux. C'est bien dangereux, mais pour aucune des raisons qu'avancent ses critiques.

La fureur actuelle est dangereusement erronée pour deux raisons. Premièrement, elle suppose que le fait qu'un seul milliardaire possédant Twitter est plus dangereux que s'ils étaient plusieurs. Et deuxièmement, elle s'inquiète qu'Elon Musk soit dévoué à une version anarchique de la liberté d'expression qui va saper le fonctionnement de nos sociétés.

C'est l'équivalent de l'arbre qui cache la forêt. Le fait que tant d'entre nous tombent régulièrement dans ce piège suggère combien nous sommes déjà éloignés d'une société saine.

L'argent c'est le pouvoir. Le fait que nos sociétés aient autorisé un petit nombre d'individus à accumuler d'immenses richesses signifie que nous les avons déjà autorisés à avoir un immense pouvoir sur nous. Les débats, comme celui dont nous parlons sur l'avenir de Twitter, abordent maintenant rarement les intérêts de la société dans son ensemble. Au lieu de cela, ils abordent ce qui est dans les intérêts des milliardaires, ainsi que des entreprises et des institutions qui enrichissent et protègent cette petite élite gâtée.

Elon Musk, en tant que personne la plus riche du monde, a peut-être un pouvoir marginalement supérieur à celui des autres milliardaires pour faire avancer ses intérêts. Mais plus significativement, tous les milliardaires souscrivent fondamentalement à l'idée selon laquelle la société bénéficierait de l'existence d'une classe de super-riches. Ils sont tous dans l'Equipe Milliardaire.

Certains sont plus « philanthropiques » que d'autres, utilisant la richesse qu'ils ont spoliée aux dépends du bien commun pour s'acheter l'équivalent actuel d'une indulgence - un billet pour le paradis jadis vendu par l'Eglise catholique pour une jolie somme. Ces « philanthropes » recyclent leur richesse très publiquement, tout en demandant tranquillement des exonérations d'impôts, pour faire comme s'ils méritaient leurs fortunes ou si la planète irait plus mal sans eux.

Et certains milliardaires sont plus investis dans la défense de la liberté d'expression que d'autres, ne fût-ce que par tempérament, comme nous tous. Ce serait effectivement bénéfique si Twitter fonctionnait avec un algorithme transparent et open-source, comme Elon Musk affirme le vouloir, plutôt qu'avec les algorithmes secrets de plus en plus préférés par les milliardaires derrières Google, Youtube et Facebook.

Certains gouvernements (Ukraine non comprise) ont demandé à Starlink de bloquer les sources d'information russes. Nous ne le ferons pas à moins d'être sous la menace d'une arme. Pardon d'être un absolutiste de la liberté d'expression.

La course à la méritocratie

Mais une idée à laquelle les super-riches ne sont pas ouverts, c'est celle selon laquelle les milliardaires devraient appartenir au passé, comme l'esclavage ou le droit divin des rois. Au lieu de cela, ils sont tous également attachés à leur propre pouvoir actuel, quel que soit le modèle économique écologiquement destructeur nécessaire pour le maintenir.

Et ils sont aussi attachés à l'idée selon laquelle ils devraient avoir beaucoup plus de pouvoir que la population générale car ils sont soi-disant les gagnants de la course à la méritocratie mondiale. Ils croient être meilleurs que nous autres, que la sélection naturelle les a sélectionnés.

Mon dernier article : l'inquiétude des super-riches, cherchant un endroit pour construire leur bunker afin d'échapper à l'effondrement climatique, contamine le reste de la population. De nouvelles études évaluent quels pays surmonteront le mieux un désastre que les milliardaires ont aidé à créer.

Elon Musk semble plus ouvert que certains milliardaires pour autoriser l'expression d'un large spectre d'opinion sur les réseaux sociaux. Après tout, quelqu'un qui estime qu'il ne devrait subir aucune conséquence pour avoir diffamé un secouriste en le qualifiant de « pédophile » parce qu'il avait une meilleure idée que lui de la manière de sauver les enfants piégés dans une grotte préfère probablement voir la liberté d'expression définie aussi largement que possible.

La « controverse », c'est le truc d'Elon Musk. Etre un « absolutiste de la liberté d'expression » sert son objectif de soutien populaire à sa richesse exactement de la même manière que les gains massifs sur les ventes de vaccins servent Bill Gates. Pendant qu'ils sont occupés à engranger des milliards de plus à nos dépends, nous sommes occupés à nous diviser entre l'Equipe Musk et l'Equipe Gates. On applaudit notre insignifiance depuis le bord du terrain.

Si vous voulez arrêter de bander immédiatement

Mais une chose sur laquelle Elon Musk et Bill Gates sont assurément d'accord est qu'eux et ceux de leur espèce ne doivent jamais tomber dans les poubelles de l'histoire. Si d'aventure nous pouvions utiliser Twitter à cette fin, nous découvririons rapidement à quel point Elon Musk est un « absolutiste de la liberté d'expression. »

« Le roi des trolls »

Cela nous amène au deuxième reproche erroné à propos du rachat de Twitter et ses 217 millions d'utilisateurs par Elon Musk : que son supposé soutien à la liberté d'expression finira par déchirer les fondements de nos démocraties. Pour être plus clair, l'inquiétude est qu'autoriser de nouveau Donald Trump et ses soutiens sur Twitter libérera les forces du mal que nous avons tenté jusqu'ici de réprimer.

L'environnementaliste George Monbiot, chroniqueur au journal libéral The Guardian, qualifie l'influence d'Elon Musk de « létale. »

« L'absolutisme de la liberté d'expression » d'Elon Musk est létal. La persuasion est le déterminant premier de l'action humaine. Les discours de haine engendrent des actes de haine. Les mensonges détruisent la démocratie. Réduire la haine et les mensonges préserve d'autres libertés qui sont essentielles. La vision d'Elon Musk pour Twitter n'est pas une promesse mais une menace.

Sa collègue Aditya Chakrabortty semble frissonner d'anxiété à la perspective d'un Twitter modelé à l'image d'Elon Musk, qu'elle appelle « le roi des trolls ». Elle affirme que la démocratie doit se défendre non seulement contre les Trump, mais aussi contre ceux qui leur donnent la parole à travers leur « absolutisme de la liberté d'expression. »

Comme on peut s'y attendre dans ce genre d'articles, Chakrabortty appuie son argumentation d'une ou deux statistiques. Par exemple, une étude du MIT (Massachusetts Institute of Technology) indique que les fausses informations sur Twitter ont 70% de plus de chances d'être retwittées que la vérité. Elle nous prévient en affirmant que mettre Elon Musk à la tête de cette fabrique de mensonges va faire s'effondrer notre civilisation.

Mettons pour le moment de côté la manière dont le MIT définit la vérité et le mensonge, et supposons qu'il est capable de les discriminer correctement. De nouveau, la logique de l'étude n'est convaincante que si nous ne voyons que l'arbre qui cache la forêt.

La raison pour laquelle les milliardaires et les entreprises - ainsi que les Etats - veulent contrôler les médias est précisément que les mensonges ont plus de chances de se diffuser que la vérité. Nos sociétés ont été conçues sur ce principe depuis que nous nous sommes divisés entre dirigeants et dirigés.

Si la vérité régnait en maître, et que les plateformes audiovisuelles n'avaient pas de moyens de nous empêcher de voir clairement la vérité, les personnes les plus riches du monde n'investiraient pas leur argent en achetant leur propre morceau de patrimoine dans le paysage médiatique.

Mais là encore, si nous pouvions voir clairement la réalité - non troublée par l'interférence des entreprises médiatiques -, il n'y aurait aucun milliardaire. Nous aurions compris que leur richesse extrême est une menace trop importante pour être tolérée, que leurs fortunes peuvent se retourner facilement contre nous, en achetant nos politiciens et transformant nos démocraties en coquilles vides, privées de nos bonnes intentions.

Si les milliardaires ne faisaient pas fortune en vendant des armes, nous ne nous réjouirions sûrement pas des guerres sans fin.

C'est gênant de voir combien de gens colportent l'idée que l'OTAN est une « alliance défensive ». Elle prétend être défensive. En réalité, l'OTAN est un pilier central de l'industrie militaire hautement lucrative. Ceci peut aider à clarifier.

Si les milliardaires n'exigeaient pas le droit d'acheter les politiciens, nous pourrions être plus prompts à améliorer nos systèmes politique et médiatique défectueux.

Si les milliardaires ne faisaient pas de profits sur la destruction du monde naturel, nous aurions certainement une discussion plus réaliste sur l'extinction imminente des espèces.

La censure comme panacée

Cependant, incapables de maintenir leur attention sur les déformations structurelles causées par la loi des milliardaires, les libéraux de gauche comme Monbiot ou Chakrabortty ne cessent de dévier vers la cause de la censure. Ils parlent de « réductions » non spécifiées et approuvent le blocage des « sources d'information russes » comme si c'était la panacée pour soigner les maux de notre société.

Ce qu'ils ignorent est que les fausses informations propagées par Twitter sont insignifiantes comparées à la désinformation qui nous frappe constamment, venant des médias privés comme le journal The Guardian pour lequel ils travaillent (la désinformation est une fausse information volontaire dans le but de tromper ou manipuler).

Désinformation comme le fait de nous faire croire que les nombreuses guerres illégales d'agression occidentales, comme celle en Irak, étaient défensives, ou de simples erreurs, ou visaient à promouvoir la démocratie. Ou que de telles guerres illégales ne peuvent pas être comparées aux guerres d'agression dont sont coupables des Etats « ennemis. »

Désinformation comme nous persuader que nous avons de pitoyables électeurs de Trump à cause des « fausses informations » sur les réseaux sociaux et non à cause d'un désenchantement croissant vis-à-vis des systèmes politiques libéraux asservis aux milliardaires - systèmes qui servent les super-riches tout en imposant l'austérité au reste de la population.

Désinformation qui a permis aux lobbies climato-septiques - financés secrètement mais abondamment par les milliardaires - de nous cacher les découvertes des propres scientifiques des milliardaires, qui montrent que nous fonçons vers un point de bascule du changement climatique.

Ce graphique d'@exxonmobile de 1982 prévoyait qu'en 2019, notre taux atmosphérique de CO2 attendrait 415 ppm, faisant augmenter la température mondiale d'environ 0,9°C. Mise à jour : nous avons dépassé cette semaine le seuil de 415 ppm et nous avons dépassé les 0,9°C en 2017.

Et la désinformation permanente qui nous fait croire que les Green New Deals que l'on nous a promis sont conçus pour nous sauver de l'extinction, et non sauver les profits des milliardaires.

Le dernier Dark Vador

Mais concrètement, la raison pour laquelle les usagers de Twitter diffusent des formes plus triviales de fausses informations est qu'après une vie passée dans les nuages de désinformation des milliardaires, nous avons des difficultés à nous ancrer dans le réel.

Inondés par la désinformation des entreprises médiatiques, nous devenons crédules face à des histoires simples, faciles à digérer : celles qui nous demandent d'applaudir soit à l'Equipe Musk soit à l'équipe Gates, soit Donald Trump soit Joe Biden, l'Alliance Rebelle ou le dernier Dark Vador. Nous ne pouvons pas donner un sens à un monde si corrompu, si divisé, si dur. Au lieu de cela, nous sommes attirés par les récits simplistes du bien contre le mal, du vrai contre le faux.

Et les plus simplistes de ces récits sont ceux qui promeuvent un sens de vertu collective pour notre société ou notre tribu.

Si nos guerres sont différentes des leurs, alors la différence doit être que Poutine est un fou ou un mégalomane. Et avant même de le savoir, nous commençons à imaginer qu'il doit y avoir quelque-chose d'ataviquement arriété ou sanguinaire dans la psyché russe. Les vendeurs d'armes - et derrière eux les milliardaires - peuvent de nouveau se lécher les babines avec régal.

Quelques-uns d'entre vous m'ont contestée quand j'ai dit que les Russes, que bien que les Russes pouvaient ressembler à des Européens, ils n'en sont pas. Je précise : 77% de la Russie est en Asie. Certains ne semblent pas le savoir.

Ou si les gens sont trop stupides pour voir à travers un Trump, cela veut forcément dire que nous avons besoin de plus de censure, plus des ces « réductions » non définies.

La logique implicite est que, si nous pouvons cacher certains types d'information, les « minables » qui sont susceptibles de se tromper reviendront graduellement au statut quo. Comme les victimes d'une secte, ils peuvent être déprogrammés par absence d'exposition. Privés d'un Trump, ils deviendront des soutiens typiques d'un Biden.

Et si cela échoue et bien, ces mêmes libéraux applaudiront n'importe quelle autre forme d'autoritarisme nécessaire pour « réduire » la menace.

Mais la promotion voilée de la censure par Monbiot et Chakrabortty ne sauvera pas nos démocraties usées jusqu'à la corde. C'est exactement vers quoi les forces les plus puissantes de notre société veulent que nous allions : non pas vers des médias plus pluralistes, ouverts et transparents, mais vers des médias contrôlés et policés plus étroitement.

Nous savons où cela mène car nous sommes déjà fermement sur cette voie. Quiconques ne soutenant pas le flot d'armes vers l'Ukraine a forcément été influencé par la désinformation russe. Quiconques critique des énormes profits de Big Pharma est complice de la réticence vaccinale. Quiconques soutenant le socialisme et critiquant l'élite fortunée cache forcément des tendances antisémites.

Chair à canon pour les riches

Le débat a de nouveau été polarisé pour que nous soyons obligés de choisir entre deux camps repoussants. Ou un Twitter dirigé par une cabale obscure de milliardaires limitant notre exposition à l'information grâce à des manipulations secrètes d'algorithmes, ou un dirigé par un seul énorme égo inconstant qui promet un marché de l'information plus grand et un peu plus transparent - jusqu'à ce qu'il change d'avis.

Dans la culture libérale dominante, il n'y a même plus de prétention à croire à la « liberté d'expression », ni même à y être favorable. Elle est de plus en plus vilipendée comme un concept intrinsèquement raciste et fasciste, ce qui explique pourquoi (aussi risible que ce soit) elle tristement fréquente.

Les libéraux, parce qu'ils se méfient des minables, veulent éradiquer le chaos du populisme et s'assurer que de gentils et philanthropiques milliardaires comme Bill Gates décident du meilleur pour nous.

Et les conservateurs, parce qu'ils se méfient des libéraux, veulent laisser un milliardaire non-conformiste plus effrontément auto-promoteur comme Elon Musk décider de ce qui doit être autorisé.

Equipe Musk contre Equipe Gates

Nous sommes maintenant bien enfoncés dans les tranchées d'une guerre de l'information. Qui devrait avoir l'autorisation de parler ? Quoi que l'on puisse imaginer, les vainqueurs seront de nouveau les milliardaires, tant que nous n'arrêterons pas de nous engager en tant que chair à canon.

Source :  Jonathan Cook, 27-04-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

 les-crises.fr

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