30/01/2023 basta.media  7 min #223257

Rsa, Caf, Pôle Emploi : une « brigade des fauchés » mobilisée face aux réformes et aux galères

Une expérimentation, encore floue, de la réforme du RSA est sur les rails dans 19 départements. Lyon en fait partie. Dans cette ville, la Brigade des fauché·e·s, un collectif de précaires, donne conseils et soutien face à une administration opaque.

Si l'on n'y prête pas attention, La Luttine, espace partagé et autogéré par plusieurs associations dans le quartier de La Guillotière à Lyon, passerait presque inaperçue. C'est dans ce local hétéroclite, derrière un rideau de fer à moitié relevé, que la Brigade des fauché·e·s organise deux fois par mois des permanences d'entraide face aux démarches administratives de la Caf, du RSA, de Pôle emploi.

« Le collectif s'est monté en 2019 après un appel à se mobiliser contre la première réforme de l'assurance chômage, explique Yanis, la trentaine. Une quinzaine de personnes s'étaient alors rassemblées. Puis le confinement est arrivé et ça s'est transformé en distribution de repas auto-organisée. Ensuite, beaucoup de gens se sont épuisés. » « Le collectif s'est relancé au printemps, avec notamment cette permanence qui a débuté il y a quelques mois », complète Pascal.

La porte vitrée de La Luttine, où se tiennent les permanences de la Brigade des fauché·e·s.

©Nils Hollenstein

Aujourd'hui, la « Brigade » est en particulier mobilisée contre l'expérimentation annoncée par la métropole de Lyon de la réforme du RSA voulue par le gouvernement. Celle-ci promet une pression encore plus accrue sur les allocataires, puisqu'elle prévoit un versement du RSA conditionné à 15 à 20 heures d'activité par semaine. Il s'agirait soit de formation d'insertion, soit d'un emploi, mais le flou subsiste encore sur les modalités. Au moment de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron parlait de toute « activité permettant d'aller vers l'insertion professionnelle ».

La métropole de Lyon fait partie des 19 territoires retenus pour l'expérimentation, Yanis insiste de son côté sur le volet « accompagnement » de la réforme via une « augmentation des moyens » pour aider les allocataires. Bruno Bernard, président de la métropole,  s'est défendu dans une série de messages publiés en janvier sur Twitter de tout « chantage à l'allocation ». Il avertissait : « Nous sortirons de cette expérimentation si cette ligne rouge et franchie. »

« Chantage à l'allocation »

À la Brigade des fauché·e·s, on est dubitatif. « Le RSA actuel est déjà conditionné à une obligation de chercher du travail », fait remarquer Yanis. « Le chantage à l'allocation, c'est le cœur du RSA », ajoute Pascal. « La métropole dit "pas de chantage à l'allocation", on répond "chiche !". Mais alors, ça implique de mettre sur la table la question d'un revenu de base et d'un versement inconditionné des aides sociales. »

La Brigade des fauché·e·s s'est opposée, tant en 2019 que récemment, aux réformes de l'assurance chômage, qui touchent directement ses membres. Ici des tracts édités fin 2022.

©Nils Hollenstein

Plus largement, le collectif est vent debout contre la nouvelle réforme en cours de l'assurance chômage, votée mi-novembre. Celle-ci vise à moduler les règles d'assurance chômage selon le contexte économique. Et elle va encore diminuer la durée des droits à une allocation chômage.

Cette réforme « est une véritable déclaration de guerre sociale, dénonçait la Brigade des fauché·e·s dans un communiqué en novembre. L'erreur serait de considérer qu'une telle réforme ne concerne que les chômeurs·euses : c'est l'ensemble de nos acquis et de nos droits sociaux qui sont attaqués, les uns après les autres. RSA et retraites sont les prochains sur la liste », poursuivait le collectif.

Sortir de l'isolement

La précarité et la difficulté d'accès aux droits sociaux concernent directement les membres de la Brigade des fauché·e·s. « Le collectif, ce n'est pas seulement des personnes au RSA, mais plus largement des personnes précaires », précise Yanis. Les parcours des membres de l'association sont divers, leurs problèmes face à l'administration, eux, se ressemblent. « Le besoin de sortir de l'isolement » revient comme un leitmotiv. Tant parmi le public des permanences que dans les parcours des bénévoles de l'association.

Les pancartes, de sortie pour la manif contre la réforme des retraites à Lyon, rappellent que les mobilisations des personnes précaires s'inscrivent dans la durée et à l'intersection de plusieurs réformes.

©Nils Hollenstein

Étienne [1], par exemple, a rejoint le collectif récemment et témoigne d'une détresse croissante face aux démarches administratives. « Les gens baissent très vite les bras, moi y compris. Face à des refus de prestations sociales, souvent peu motivés, on ne sait pas quoi faire. J'avais besoin de collectif pour mener des actions et une réflexion autour de cette question. »

La dématérialisation accrue des démarches et du service public est également pointée du doigt. « Aujourd'hui tout est dématérialisé, il n'y a plus du tout d'humain », déplore Étienne. « Et essayer de joindre un agent au téléphone est peine perdue. Souvent, on doit attendre 40 minutes avant qu'une personne prenne notre appel. C'est fait pour décourager les gens », lâche Yanis. La Défenseure des droits, Claire Hédon, a elle aussi dénoncé l'année dernière les dégâts d'une « dématérialisation à marche forcée ».

La situation d'Étienne témoigne aussi de la complexité et de l'opacité de l'administration. « Lorsque j'étais en fin de droits au chômage, j'ai pu toucher l'ASS [Allocation de solidarité spécifique, ndlr]. Mais 500 euros c'était trop juste pour m'en sortir, j'ai repris un petit travail à côté. Comme le cumul des deux n'est pas possible, l'allocation m'a été retirée. J'avais à nouveau droit à des jours de chômage, mais il aurait fallu que je m'arrête de travailler pour les toucher », déroule Étienne.

La Luttine n'est pas qu'un lieu pour les permanences du collectif. Le samedi après-midi, tout le monde peut venir consulter livres, brochures et fanzines ou écouter cassettes, vinyles et disques.

©Nils Hollenstein

Face à toutes ces galères, nombre d'allocataires n'ont pas recours aux allocations auxquelles elles et ils ont pourtant droit. Un rapport de février 2022 précisait que 34 % des personnes qui pourraient bénéficier du RSA ne le perçoivent pas. « C'est en faisant les permanences que j'ai enfin compris des choses par rapport à mon RSA », témoigne Pascal. « Le non-recours touche aussi d'autres aides, que ce soit la tarification solidaire dans les transports ou la prime d'activité », souligne-t-il.

Redonner la main aux personnes concernées

Dans les parcours de Yanis, Pascal et Étienne, le suivi par la Caf est passé à côté de leurs réalités, et de leurs besoins. « Déjà, savoir si tu vas être suivi ou pas, c'est la loterie. Pour ma part, j'ai été quatre ans au RSA sans être suivi, rapporte Yanis. Dans les périodes où tu n'es pas suivi, ce sont les contrôles qui s'accumulent. J'en ai eu trois dans la même année. »

Et quand accompagnement vers l'insertion il y a, celui-ci ne permet pas forcément d'avancer, estime Pascal. « Dans le suivi de ton RSA, tu dois passer un contrat d'engagement appelé "Projet personnalisé d'accès à l'emploi" avec ton conseiller », explique-t-il. « Ils disent que c'est ton projet, mais c'est ton projet seulement si la personne en face accepte que ce le soit », critique Yanis.

« Tout le système est basé sur de petits empêchements, regrette Étienne. Et comme les moyens ne sont pas là, ça aboutit à un accompagnement au coup par coup. Les agents de la Caf ou de Pôle emploi sont obligés de bâcler les dossiers pour atteindre les objectifs fixés. » Face au manque de moyens, Pascal s'interroge : « Ce ne serait pas mieux que les premières personnes concernées décident si elles ont ou non besoin d'être suivies ? »

Nils Hollenstein
Photo de une : ©Nicolas Lee/Encrage.

Notes

[1] Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.

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