14/11/2025 journal-neo.su  7min #296266

Alors que l'extrême droite de Geert Wilders trébuche, les libéraux progressistes de Rob Jetten peuvent-ils reconstruire le centre néerlandais ?

 Ricardo Martins,

Les élections anticipées néerlandaises ont offert à Rob Jetten et à son parti D66 une victoire historique et une rare opportunité de rétablir la stabilité après des années de divisions. Mais former une coalition crédible et progressiste au centre de l'échiquier politique pourrait s'avérer plus difficile que de remporter le scrutin lui-même.

Les Pays-Bas se retrouvent une fois de plus à un tournant politique. Après des années de turbulences et de fragmentation idéologique, le parti libéral-centriste D66 (Democraten 66), dirigé par Rob Jetten, a obtenu une victoire de justesse, mais éclatante vis-à-vis de la dernière élection : il est passé de neuf sièges en 2023 à vingt-six lors des élections anticipées de 2025.

Un renversement spectaculaire pour un pays longtemps marqué par le populisme et l'impasse politique, des treize années de pouvoir du libéral de centre-droit Mark Rutte (VVD) au gouvernement tumultueux du PVV de Geert Wilders qui avait remporté les élections, mais qui, pour pouvoir former une coalition, avait dû placer à sa tête un Premier ministre issu de la technocratie plutôt que du monde politique.

Mais comme beaucoup de Néerlandais le savent, gagner une élection n'est que la moitié du combat. L'autre moitié - former un gouvernement viable - risque d'être bien plus ardue.

Un paysage politique éclaté

Pendant treize ans, les Pays-Bas ont été gouvernés par le VVD de Rutte, suivant une ligne prudente de centre-droit. Puis vint 2023, lorsque le PVV de Wilders a bouleversé l'Europe en remportant les élections et en formant une coalition éphémère, rapidement dissoute sur fond de désaccords migratoires. Aujourd'hui, le pendule politique revient vers le centre, mais le Parlement reste fracturé : aucun parti ne dispose d'une majorité claire.

Selon les informations de NOS, la seule coalition capable d'atteindre une majorité de 86 sièges serait une alliance « par le centre » regroupant D66, le VVD, GroenLinks-PvdA et les chrétiens-démocrates du CDA. L'alternative « centre-droit » - D66, VVD, CDA et le parti de droite JA21 - plafonne à 75 sièges. Cet équilibre des forces annonce déjà une négociation complexe, sinon précaire.

La victoire de D66 et sa signification

La poussée du D66 est largement interprétée comme un vote d'optimisme et un rejet du populisme d'extrême droite. Le message du parti - inclusion, coopération européenne et réformes pragmatiques - tranche nettement avec la rhétorique clivante du PVV.

Comme l'a expliqué le professeur Henk van der Kolk, de l'Université d'Amsterdam, la progression de D66 « a été plus forte qu'attendu, sans être une surprise totale ». Dans les derniers jours de campagne, « une grande partie de l'électorat s'est tournée vers D66 comme la meilleure issue à la négativité de la précédente coalition ». Les électeurs, dit-il, cherchaient la stabilité et l'ont trouvée dans le ton modéré et positif de Jetten.

Mais Van der Kolk avertit : il ne s'agit pas d'un rejet complet du discours d'extrême droite. Les partis anti-immigration, climatosceptiques et eurosceptiques - PVV, JA21 et Forum voor Democratie - représentent encore environ 30 % du Parlement. « Il ne faut pas se laisser tromper par la perte de sièges du PVV : il existe un noyau stable d'électeurs radicalement à droite », rappelle-t-il.

Edward Koning, professeur associé à l'Université de Guelph, partage ce constat : « L'appétit pour le populisme anti-immigration n'a pas disparu. Ce qui change, c'est la perception de qui peut obtenir des résultats. » L'incapacité de Wilders à gouverner efficacement, et surtout sa décision de faire chuter sa propre coalition, lui ont coûté sa crédibilité au profit d'un D66 désormais perçu non pour son idéologie, mais pour sa compétence.

Un électorat divisé mais porteur d'espoir

Selon les sondages Ipsos I&O, 15 % des électeurs souhaitaient voir Rob Jetten devenir Premier ministre - devant Wilders et Timmermans - et 21 % le considéraient comme l'un des dirigeants les plus ouverts à la coopération. Son attrait repose autant sur le ton que sur le programme.

L'ancien conseiller du D66, Roy Kramer, le décrit ainsi : « Il n'a pas beaucoup de bravade, mais il ose beaucoup. Il est calme, cohérent et n'a pas peur des dossiers difficiles. »

Sa campagne s'est concentrée sur trois priorités concrètes : le logement (36 %), le climat (28 %) et la politique d'asile (15 %) - les thèmes jugés les plus déterminants par ses électeurs. Le message de Jetten tenait en peu de mots : les Pays-Bas peuvent choisir l'optimisme plutôt que la colère. Pour de nombreux citoyens lassés des discours agressifs de Wilders, ce ton d'inclusion a fait la différence.

Pourtant, la polarisation reste profonde. L'ancien député du PVV Joram van Klaveren prévient que, malgré le message positif de D66, « il reste beaucoup de chemin à parcourir avant que la politique néerlandaise ne devienne moins divisée ».

La formation de la coalition : une tâche délicate

Former une coalition stable constitue le premier défi de Jetten. Comme le rapporte NOS, la première étape a été la nomination de Wouter Koolmees, fidèle du D66 et ancien ministre, comme « éclaireur » chargé d'explorer les options de coalition. La configuration la plus probable - D66, VVD, CDA et GroenLinks-PvdA - correspond à la préférence de Jetten. Mais convaincre la cheffe du VVD, Dilan Yeşilgöz, d'accepter une alliance avec la gauche reste une épreuve.

Le VVD, lui, privilégie une coalition « par la droite » incluant JA21, jugée plus stable notamment sur la question migratoire. Mais un tel choix obligerait Jetten à s'appuyer sur un parti ouvertement hostile à son agenda proeuropéen, écologiste et inclusif, un risque sérieux pour sa crédibilité et celle de D66.

« Former, c'est éliminer », explique le journaliste politique Lars Geerts dans le podcast De Dag de NOS. Chaque parti écarté réduit le champ des possibles, mais inclure le mauvais partenaire et cela pourrait coûter la confiance politique. La tradition néerlandaise du compromis exige patience et diplomatie : deux qualités que Jetten possède en abondance.

L'Europe, la politique étrangère et l'horizon mondial

Au-delà des enjeux nationaux, ce scrutin porte une dimension symbolique européenne. Pour la première fois depuis longtemps, les Pays-Bas pourraient redevenir une voix constructive et proeuropéenne, après une décennie de repli intérieur.

L'ambassadeur honoraire Kees Rade m'a confié qu'une coalition centriste ou centre-gauche « réhabiliterait sans doute les efforts néerlandais en matière d'aide au développement et de multilatéralisme » et serait « plus bienveillante envers Bruxelles ».

De son côté, Kayle Van 't Klooster, du Clingendael Institute, souligne que même si la politique étrangère a peu pesé dans la campagne, « une convergence existe, à gauche comme à droite, sur la nécessité de renforcer la coopération européenne en matière de sécurité ».

Peu s'attendent cependant à des bouleversements majeurs. « Les relations avec les États-Unis et la Chine ne seront guère affectées », ajoute Rade, rappelant que ces deux pays étaient « quasiment absents des débats électoraux ». Selon lui, la politique étrangère néerlandaise « continuera dans la même direction, un peu plus verte et un peu plus européenne ».

Un moment d'opportunité

Lors de son dernier débat télévisé, Rob Jetten a recentré son message sur « le leadership par l'exemple » - dans le climat, l'égalité et l'innovation numérique. À 38 ans, il incarne un renouveau générationnel : l'idée que la politique néerlandaise peut dépasser le pessimisme sans ignorer la réalité.

Mais, comme le rappelle Henk van der Kolk, « il n'existe pas de coalition claire, ni d'alternative cohérente ». Le chemin sera long, et l'extrême droite guettera la moindre faille.

Pourtant, quelque chose a changé lors de cette élection. Ce n'est pas une révolution, mais une recalibration. Après des années de vacarme populiste, l'électorat néerlandais semble avoir retrouvé le goût de la modération.

« Les électeurs veulent que nous arrêtions les querelles politiques et que nous retroussions nos manches », a déclaré Jetten le soir de sa victoire. Ces mots peuvent paraître simples, mais dans les Pays-Bas d'aujourd'hui, fragmentés, polarisés et épuisés par les conflits, ils prennent une résonance nouvelle.

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

Suivez les nouveaux articles sur  la chaîne Telegram

 journal-neo.su