
par Franck Pengam
Le Financial Times révèle que la France refuse de fournir à la Commission européenne les données concernant les milliards d'euros d'actifs russes détenus par ses banques, freinant ainsi les projets d'aide à l'Ukraine basés sur ces fonds gelés.
Paris boude le projet européen qui envisage de «faire les poches» à Moscou pour financer la reconstruction de Kiev. La Commission se démène pour mettre sur pied un «prêt de réparation» de 140 milliards d'euros, financé grâce aux actifs russes immobilisés dans les banques européennes.
L'Union européenne lorgne aussi sur les 200 milliards d'euros d'actifs russes immobilisés chez Euroclear, le géant bruxellois qui stocke virtuellement les titres financiers des grands acteurs mondiaux. Il s'agit d'une entreprise privée qui détient, sous format numérique, actions, obligations et autres titres financiers appartenant aux banques centrales et aux grands fonds d'investissement internationaux.
Le gouvernement belge exige désormais que la France et les autres partenaires européens mettent également leurs avoirs russes gelés dans la balance, arguant qu'Euroclear est injustement ciblé et exposé à des risques de rétorsion russes.
Les banques françaises et les avoirs russes
L'enquête révèle que les banques françaises détiennent un magot russe colossal, le deuxième plus important d'Europe. Le Financial Times l'affirme : 18 milliards d'euros appartenant à la Banque centrale de Russie dorment actuellement dans l'Hexagone, dont la majorité chez BNP Paribas. Ces fonds immobilisés font partie des avoirs gelés par l'Occident depuis le début du conflit en Ukraine.
Pendant ce temps, les dirigeants hésitent sur la marche à suivre. La France, coincée entre ses obligations envers l'Union européenne et ses propres intérêts économiques, reste discrète sur ses intentions réelles. Les aspects juridiques compliquent encore davantage la situation.
Longtemps silencieuse, BNP Paribas a fini par sortir de sa réserve. Face aux rumeurs persistantes, la banque française a finalement réagi après la parution de l'article dans le Financial Times :
«BNP Paribas ne détient aucun actif en France provenant d'entités publiques russes, y compris de la Banque centrale de Russie».
Les autres mastodontes du secteur bancaire français affichent une posture moins claire. Crédit Agricole et Société Générale ont botté en touche, refusant tout commentaire. Plus troublant encore : BPCE, quatrième groupe bancaire français, n'a même pas daigné répondre aux sollicitations du journal britannique.
Les défis juridiques et diplomatiques
Les autorités françaises se défendent en affirmant que leurs institutions financières sont soumises à des «obligations contractuelles différentes» de celles d'Euroclear en Belgique.
Un vrai casse-tête pour les banques privées qui, contrairement à Euroclear, ne peuvent pas simplement s'asseoir sur leurs obligations. Alors que l'institution belge n'a pas à reverser à Moscou les intérêts générés par les avoirs russes gelés - ces fameux profits qualifiés d'«aubaine» ou windfall - les banques privées, elles, restent pieds et poings liés par leurs engagements contractuels.
Un détournement de ces actifs exposerait donc les banques françaises à des poursuites judiciaires ainsi qu'à un risque majeur de perte de crédibilité et de confiance auprès des investisseurs internationaux.
«Nos interlocuteurs chinois et arabes nous le disent : ils scrutent avec attention l'évolution de la situation. Jusqu'à présent, nous avons fait très attention à ne pas effriter cette confiance. Ils l'apprécient», confiait au Monde Valérie Urbain, directrice d'Euroclear.
Cette déclaration traduit l'inquiétude des grands acteurs financiers face aux pressions politiques. Difficile d'ignorer l'enjeu sous-jacent : l'euro, en tant que monnaie de réserve internationale, pourrait voir son statut fragilisé par des décisions hâtives ou arbitraires.
source : Géopolitique Profonde