La pluie battante ne les a pas arrêtés. Mercredi 15 novembre, des dizaines de travailleurs sans-papiers et militants s'étaient rassemblés devant la préfecture du Val de Marne, à Créteil, pour réclamer un meilleur accès aux services de la préfecture. Dans ce département francilien, il est quasi-impossible d'obtenir un rendez-vous pour déposer une première demande de titre de séjour ou un renouvellement.
Sous le auvent qui, autrefois, abritait les files d'attente physiques devant la préfecture de Créteil, Moussa*, un jeune Malien arrivé en France en 2014 et employé dans le bâtiment, dit son incertitude face aux annonces du ministre de l'Intérieur sur la création d'un titre de séjour pour les métiers en tension : "Si ça nous permet d'avoir une carte de séjour, tant mieux, mais ce n'est pas sûr que ça nous fasse avancer". Avancer, c'est à dire parvenir à être payé la même somme que les travailleurs réguliers, pouvoir louer un logement à son nom ou encore pouvoir faire valoir son expérience dans son domaine professionnel.
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Camara Foussim, lui, travaille dans la manutention depuis 2019 pour le même patron. Le jeune Guinéen de 28 ans a les mêmes aspirations que Moussa. Il a déposé un dossier de demande de régularisation en juin mais il n'a toujours pas eu de réponse. En attendant d'avoir des papiers, il vit dans un foyer de travailleurs avec des amis, dans des conditions "pas faciles", confie-t-il pudiquement.
Préfectures inaccessibles
Depuis des mois, les deux jeunes sans-papiers, comme la plupart des personnes présentes à la manifestation, cherchent tous les moyens d'obtenir un accès à la préfecture pour y déposer un dossier de régularisation. Depuis 2020, la dématérialisation des procédures a transformé l'obtention d'un rendez-vous en véritable parcours du combattant.
Devant la préfecture de Créteil, Annie Jubert, la présidente de la fédération de la Ligue des droits de l'Homme (LDH) du 94 raconte avoir vu, d'une manière générale, l'accès à la préfecture se dégrader. "Maintenant, même des gens qui ont des cartes de séjour de dix ans n'arrivent plus à les faire renouveler", s'indigne-t-elle. Les délais de traitement sont tels que les personnes sont parfois convoquées en préfecture pour venir récupérer une carte de séjour déjà expirée, abonde, à ses côtés, Dominique Gaillot, de la LDH d'Orly.
En cause, notamment, des effectifs dédiés à la régularisation de plus en plus réduits et un texte - la circulaire Valls - qui donne un pouvoir discrétionnaire aux préfets dans les admissions exceptionnelles au séjour.
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"Pas de pouvoir discrétionnaire"
Pour Marilyne Poulain, ancienne référente de la CGT sur les travailleurs migrants, le titre de séjour métiers en tension pourrait améliorer la situation, à condition que celui-ci soit de plein droit. "Un titre de séjour de plein droit signifie qu'on n'est pas soumis au pouvoir discrétionnaire du préfet. C'est-à-dire qu'il y a des critères de régularisation établis et que si ces critères ne sont pas appliqués, on peut se retourner en justice contre la préfecture. Alors qu'aujourd'hui, les critères de la circulaire Valls ne sont pas opposables devant un tribunal. La circulaire ne sert qu'à des fins d'orientation. Avec un titre de séjour de plein droit, on va fixer des critères d'obtention mais si on rentre dedans, on est censé l'obtenir", explique-t-elle.
Dans la manifestation de Créteil, certains s'inquiètent aussi de savoir si le titre de séjour métiers en tension sera applicable aux intérimaires. La grande majorité des travailleurs sans-papiers sont en effet employés en contrats courts via des agences d'intérim. Le gouvernement ne s'est pas encore exprimé sur ce point mais, actuellement, la circulaire Valls prend en compte l'intérim dans la mesure de l'ancienneté d'un travailleur.
Une liste des métiers en tension à actualiser
Autre sujet de préoccupation parmi les organisations syndicales et les associations de soutien aux travailleurs sans-papiers : la liste des métiers en tension. Le ministre du Travail a déjà indiqué qu'une concertation avec les partenaires sociaux se tiendrait courant novembre, pour actualiser la liste de ces métiers début 2023. Une mise à jour nécessaire car la liste actuelle est "has been", souligne Marilyne Poulain. "La propreté par exemple n'est pas considérée comme un métier tension pourtant ces sont des postes qui sont occupés par des sans-papiers."
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C'est le cas d'Hassan. Depuis son arrivée en France en 2018, ce Bangladais de 36 ans a toujours travaillé dans le secteur du nettoyage via des agences d'intérim. Il cumule aujourd'hui 56 fiches de paie et remplit les conditions d'une régularisation par le travail au titre de la circulaire Valls. Mais lui aussi a le plus grand mal à accéder à la préfecture.
En mai 2021, il a débuté les démarches pour se faire régulariser. "J'ai réussi à avoir trois rendez-vous en préfecture, raconte-t-il devant les grilles du bâtiment. Mais à chaque fois, alors que mon dossier était complet, on me demandait de ramener d'autres documents."
*Le prénom a été modifié