05/01/2023 arretsurinfo.ch  6 min #221888

Notre péché est notre honte

Angela Merkel dévoile la duplicité de l'Occident

Angela Merkel: «Les accords de Minsk de 2014 était une tentative de donner du temps à l'Ukraine. Elle a également utilisé ce temps pour devenir plus forte, comme on le voit aujourd'hui. L'Ukraine de 2014/15 n'est pas l'Ukraine d'aujourd'hui. Comme on l'a vu avec la bataille pour Debaltseve [ville de cheminots dans le Donbass, oblast de Donetsk] début 2015, Poutine aurait pu facilement la déborder à l'époque. Et je doute fort que les pays de l'OTAN auraient pu faire autant à l'époque qu'aujourd'hui pour aider l'Ukraine».

Angela Merkel. Photo Wikimedia

«Il semble que la guerre ait été la seule option jamais envisagée par les adversaires de la Russie»

De récents commentaires formulés par l'ancienne chancelière allemande Angela Merkel ont mis en lumière la duplicité du jeu joué par l'Allemagne, la France, l'Ukraine et les Etats-Unis avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février.

Par Scott Ritter*

Alors que le soi-disant «Front de l'Ouest» (les Etats-Unis, l'OTAN, l'Union européenne et le G7) continue de prétendre que l'invasion de l'Ukraine par la Russie était un acte d'«agression sans provocation», la réalité est bien différente: On a trompé la Russie en lui faisant croire qu'il existait une solution diplomatique aux violences qui avaient éclaté dans la région du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, à la suite du coup d'Etat de Maidan à Kiev en 2014, qui avait été soutenu par les Etats-Unis. Au lieu de quoi, l'Ukraine et ses partenaires occidentaux ne faisaient que gagner du temps jusqu'à ce que l'OTAN puisse mettre en place une armée ukrainienne capable de capturer le Donbass dans son intégralité, ainsi que d'expulser la Russie de Crimée.

Dans une interview accordée récemment au magazine Die Zeit, Mme Merkel a fait allusion aux accords de Munich de 1938. Elle a comparé les choix que l'ancien Premier ministre britannique Neville Chamberlain a dû faire face à l'Allemagne nazie à sa décision de s'opposer à l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, lorsque la question a été soulevée lors du sommet de l'OTAN à Bucarest en 2008. En retardant l'adhésion à l'OTAN, puis en faisant pression en faveur des accords de Minsk, Mme Merkel pensait gagner du temps pour permettre à l'Ukraine de mieux résister à une attaque russe, tout comme Chamberlain pensait gagner du temps pour permettre au Royaume-Uni et à la France de rassembler leurs forces contre l'Allemagne d'Hitler.

Le bilan de cette rétro-analyse est stupéfiant. Oubliez, pour un instant, le fait que Mme Merkel comparait la menace posée par le régime nazi d'Hitler à celle de la Russie de Vladimir Poutine, et concentrez-vous plutôt sur le fait que Mme Merkel savait que l'invitation de l'Ukraine à rejoindre l'OTAN déclencherait une réponse militaire russe. Plutôt que d'écarter catégoriquement cette possibilité, Mme Merkel a mené une politique visant à rendre l'Ukraine capable de résister à ce genre d'attaque russe. Il semble que la guerre ait été la seule option jamais envisagée par les adversaires de la Russie.

Poutine: Minsk était une erreur

Les commentaires de Mme Merkel vont de pair avec ceux formulés en juin par l'ancien président ukrainien Petro Porochenko à plusieurs médias occidentaux. «Notre objectif», avait déclaré Porochenko, «était en premier lieu de faire cesser la menace, ou du moins de retarder la guerre - de s'assurer un délai de huit ans pour rétablir la croissance économique et créer des forces armées puissantes.» Porochenko a clairement indiqué que l'Ukraine ne s'était pas rendue en toute bonne foi à la table des négociations concernant les accords de Minsk.
Poutine, lui aussi, est parvenu à cette conclusion. Lors d'une récente réunion avec les épouses et les mères des troupes russes combattant en Ukraine, y compris quelques veuves de soldats tombés au combat, Poutine a reconnu que les accords de Minsk avaient été une erreur et que le problème du Donbass aurait dû être résolu à l'époque par la force des armes, compte tenu notamment du mandat que lui avait confié la Douma russe concernant l'autorisation d'utiliser les forces militaires russes en «Ukraine», et pas seulement en Crimée.

La tardive prise de conscience de Poutine devrait donner des frissons à tous ceux qui, en Occident, sont encore convaincus qu'il est possible de parvenir à un règlement négocié du conflit russo-ukrainien. Il n'est pas un seul des interlocuteurs diplomatiques de la Russie qui ait fait preuve d'un minimum d'intégrité lorsqu'il s'est agi de s'engager honnêtement et donc de façon crédible en faveur d'une résolution pacifique des violences ethniques qui ont découlé des événements sanglants du Maïdan en février 2014, lesquels ont entraîné le renversement d'un président ukrainien démocratiquement élu et certifié par l'OSCE.

Réponse à la résistance

Lorsque les russophones du Donbass ont résisté au coup d'Etat et se sont battus pour préserver cette élection démocratique, ils ont proclamé leur indépendance vis-à-vis de l'Ukraine. La réponse du régime putschiste de Kiev a été de déclencher à leur encontre pendant huit ans une violente agression militaire, ce qui a provoqué la mort de milliers de civils. Poutine a attendu huit ans pour leur faire reconnaître cette indépendance, puis a lancé en février une invasion à grande échelle du Donbass. Il avait auparavant temporisé en espérant que les accords de Minsk, garantis par l'Allemagne et la France et approuvés à l'unanimité par le Conseil de sécurité de l'ONU (y compris par les Etats-Unis), permettraient une résolution de la crise en conférant une autonomie au Donbass, qui serait cependant resté partie intégrante de l'Ukraine. Mais le gouvernement de Kiev n'a jamais appliqué les accords et les Occidentaux n'ont pas exercé de pression suffisante pour qu'il le fasse.

Le désengagement dont a fait preuve l'Occident, alors que s'effondraient tous les fondements de la légitimité présumée - qu'il s'agisse des observateurs de l'OSCE (dont certains, selon la Russie, fournissaient à l'armée ukrainienne des renseignements sur les forces séparatistes russes), du Format Normandie réunissant l'Allemagne et la France, censé garantir la mise en œuvre des accords de Minsk, ou encore des Etats-Unis, dont l'assistance militaire «défensive» autoproclamée à l'Ukraine de 2015 à 2022 n'était guère plus qu'un loup déguisé en agneau - tous ces éléments n'ont fait que souligner la dure réalité: il ne pourra jamais y avoir de règlement pacifique des problèmes qui sous-tendent le conflit russo-ukrainien.

Et il n'y en aura jamais

Il semblerait que la guerre ait été la solution privilégiée par le «Front occidental» et qu'elle soit également celle que recherche la Russie aujourd'hui.

Qui sème le vent, récolte la tempête.

A la réflexion, Mme Merkel n'avait pas tort de citer les Accords de Munich en 1938 comme un précédent à la situation actuelle en Ukraine. La seule différence est qu'il ne s'agissait pas dans ce cas de nobles Allemands cherchant à repousser les brutes russes, mais plutôt d'Allemands (et d'autres Occidentaux) déloyaux cherchant à tromper des Russes crédules.

Cela ne pourra que mal finir pour l'Allemagne, l'Ukraine ou quels que soient les autres qui, en se drapant dans le manteau de la diplomatie, ont dissimulé l'épée qu'ils tenaient cachée dans leur dos. •

Scott Ritter

Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines américains qui, au cours de sa carrière de plus de 20 ans, a notamment travaillé dans l'ex-Union soviétique à la mise en œuvre d'accords de contrôle des armements, dans l'état-major du général américain Norman Schwarzkopf pendant la guerre du Golfe et, plus tard, comme inspecteur en chef des armes de l'ONU en Irak de 1991 à 1998.

(Traduction Horizons et débats)

Publié le 13 décembre 2022 -  Zeit-fragen.ch

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