C'est un fait grave survenu en 1960, mais étrangement caché sous le tapis de l'oubli. Le 4 mars de cette année-là, un cargo français transportant notamment des armes belges explose alors qu'il accostait à La Havane. Plus de 70 morts, dont 6 marins français. On n'a jamais su, sans doute parce qu'on n'a jamais voulu savoir, qui et pourquoi avait fait cela. Mais 60 ans plus tard, Hernando Calvo Ospina perce le mystère dans « Un navire français explose à Cuba ». Dans l'introduction du livre que nous vous proposons, il explique comment il a eu accès à des documents essentiels pour son enquête. (IGA)
J'ai eu la chance d'avoir pu consulter les archives de la French Lines & Compagnies dans la ville française du Havre. C'est là qu'est conservé le patrimoine historique de la Marine marchande française, de ses compagnies maritimes et de ses ports, parmi lequel se trouvent les archives de la Compagnie générale transatlantique, plus connue sous le nom de la Transat.
Cette compagnie était la propriétaire du bateau La Coubre, qui transportait de l'armement acheté en Belgique et destiné au gouvernement cubain. Ce navire a explosé le 4 mars 1960 près d'un quai du port de La Havane, causant près de 200 blessés et environ cent morts, dont six marins français.
Depuis le départ, le gouvernement cubain a tenu Washington pour responsable, et le dirigeant Fidel Castro en a expliqué en détail les raisons. Jusqu'à aujourd'hui, les États-Unis rejettent l'accusation, mais malgré les décennies qui ont passé, ils refusent de déclassifier tout document lié à cette explosion.
Les principaux médias français ont donné très peu d'importance à un événement aussi horrible. De façon incompréhensible, le gouvernement français y a à peine prêté attention.
En France, on n'a pas l'habitude de déclassifier des informations qui puissent être liées à des institutions de sécurité de l'État. Toutefois, il était étonnant que l'entreprise maritime refuse de montrer les documents en sa possession. On en est même venu à dire, dans certains articles de presse, qu'ils ne seraient rendus publics qu'en 2110.
Ce qui est sûr, c'est qu'une bonne partie des documents ont été classés pendant vingt-cinq ans à partir de 1960, les derniers jusqu'en 2010. Après cette date, leur accès a été limité pendant le transfert des archives du lieu où elles étaient conservées jusqu'au lieu actuel, toujours au Havre, à cause du nouveau type de classement.
Je remercie l'archiviste de la French Lines & Compagnies pour sa patience ; elle m'a donné le privilège d'être le premier à copier les plus de 1 500 pages que la Transat avait conservées comme un trésor sur La Coubre et son explosion.
Je tiens à préciser que j'ai voulu être certain d'obtenir la totalité des archives. Face à mon inquiétude, j'ai reçu un courrier dans lequel elle m'a assuré : « Je vous confirme la transmission complète des éléments concernant La Coubre. »
Pourquoi avait-on interdit ces archives au public pendant tant d'années ? La réponse orale que j'ai obtenue a été que malgré le temps passé, il y avait des documents grâce auxquels des assurances ou des personnes auraient pu entamer des actions contre la compagnie maritime qui était une entreprise d'État à l'époque.
C'est plausible. Mais après avoir lu et analysé chaque page copiée, j'ai la certitude qu'on a voulu aussi cacher des informations qui auraient pu permettre d'éclaircir ce terrible événement. Le lecteur en jugera et se fera son opinion dans les pages qui suivent.
D'autre part, j'ai été surpris par la réaction si positive des enfants et petits-enfants des victimes face à mon projet. Ils étaient, disons, déconcertés, car cela leur semblait étrange que quelqu'un s'intéresse à « l'affaire » au bout de presque soixante ans. En effet, après le 4 mars de cette année-là, l'événement a été ignoré au bout de quelques semaines puis il est tombé dans l'oubli total en France. Et combien suis-je reconnaissant de l'accueil que m'ont réservé les deux marins français que j'ai rencontrés et interviewés !
Si en France les personnes qui ont entendu parler de l'explosion de La Coubre sont rares, à Cuba, son histoire reste présente, et pour cela, chaque année, on rend hommage aux victimes cubaines et françaises.
Pour ma part, je remettrai les copies de ces documents aux membres des familles des disparus des deux nations. Ils leur appartiennent.
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