28/12/2025 ssofidelis.substack.com  9min #300213

Décadence et déclin de l'empire américain

Sold out - par M. Fish

Par  Chris Hedges, le 27 décembre 2025

Au début du XXè siècle, l'Empire britannique était, tout comme le nôtre, en phase terminale. Soixante pour cent des Anglais étaient physiquement inaptes au service militaire, tout comme  77 % des jeunes Américains. À l'instar du Parti démocrate, le Parti libéral admettait la nécessité d'une réforme, mais ne se préoccupait guère des inégalités économiques et sociales qui plongeaient la classe ouvrière dans la misère : logements insalubres, air pollué, absence d'installations sanitaires et de soins de santé de base, tâches pénibles et mal rémunérées.

Pour y remédier, le gouvernement conservateur a  créé un comité interministériel chargé d'étudier une "détérioration de certaines classes de la population", c'est-à-dire, bien sûr, les pauvres des villes. Ce rapport devint célèbre sous le nom de "rapport sur la dégénérescence de notre race". Il a rapidement et justement été comparé à la décadence et à la dégénérescence de la fin de l'Empire romain.

Dans son poème de 1902, The Islanders, Rudyard Kipling, qui a romancé et mythifié l'Empire britannique et son armée,  mettait en garde les Britanniques contre leur complaisance et leur indolence, fruits de leur arrogance et de leurs privilèges. Selon lui, ils n'étaient pas prêts à soutenir l'Empire. Il désespérait du manque d'esprit martial des "fils de la ville protégée - démunis, inexpérimentés, inaptes" et appelait à la conscription obligatoire. Il fustigeait l'armée britannique pour s'être trop appuyée sur des mercenaires et des troupes coloniales, "les hommes qui savaient tirer et monter à cheval", à l'image des mercenaires et des milices de plus en plus nombreux à intégrer les forces américaines à l'étranger.

Il condamnait également le public britannique pour son obsession pour les "frivolités" et les sports spectaculaires, notamment "les imbéciles en flanelle dans les tribunes ou les brutes boueuses devant les buts", des athlètes qui, selon lui, auraient dû combattre en Afrique du Sud. Il prédisait, après la succession de désastres militaires britanniques pendant la guerre des Boers en Afrique du Sud qui venait de s'achever, un déclin imminent de la domination mondiale britannique, semblable aux deux décennies de fiascos militaires américains au Moyen-Orient.

C'est la crainte du déclin des capacités physiques, perçu comme une régression morale, qui a poussé le secrétaire à la Guerre, Pete Hegseth, à  fustiger les "généraux obèses" et à exiger des femmes de l'armée qu'elles se conforment aux "normes masculines les plus strictes" en matière de condition physique. C'est ce qui motive son "Warrior Ethos Tasking", un programme d'amélioration de la condition physique, des normes esthétiques et de la préparation militaire.

Sold out - par M. Fish

Nous vivons un moment historique étrangement similaire. Douze ans après l'avertissement de Kipling, la Grande-Bretagne sombrait dans le suicide collectif de la Première Guerre mondiale, un conflit qui a coûté la vie à plus d'un million de soldats britanniques et du Commonwealth, mettant ainsi un terme aux ambitions impériales britanniques.

H. G. Wells, qui avait pressenti la guerre des tranchées, les chars et les mitrailleuses, était l'un des rares à percevoir les conséquences de cette guerre pour la Grande-Bretagne. En 1908, il publia La Guerre dans les airs, où il affirmait que les guerres futures ne se limiteraient pas aux États-nations antagonistes, mais qu'elles prendraient une dimension mondiale. Ces guerres, comme l'invasion italienne de l'Éthiopie en 1935, la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale, impliqueraient des bombardements aériens aveugles sur les civils. Il évoquait également, dans Le Monde libéré, un scénario de guerre nucléaire.

Près d'un tiers de la population anglaise  vivait alors une pauvreté effroyable, et comme l'a noté Seebohm Rowntree dans son étude sur les bidonvilles, non pas, comme le prétendaient les conservateurs, à cause de l'alcoolisme, de la paresse, du manque d'initiative ou de la responsabilité des pauvres, mais plutôt

"des salaires de misère versés aux travailleurs de York non qualifiés, insuffisants pour fournir logement, habillement, et produits de première nécessité aux besoins d'une famille moyenne".

Les États-Unis comptent l'un des taux de pauvreté les plus élevés parmi les nations industrialisées occidentales, un chiffre estimé par de nombreux économistes bien au-dessus du taux officiel de 10,6 %. En réalité, environ  41 % des Américains sont pauvres ou ont de faibles revenus, et 67 % se  débattent au jour le jour.

Les fondateurs du Galton Laboratory for National Eugenics, un laboratoire financé par Sir Francis Galton, le  père de l'eugénisme, prônaient l'"eugénisme positif", c'est-à-dire l'"amélioration" de la race en encourageant les personnes jugées supérieures - toujours des membres blancs des classes moyennes et supérieures - à fonder des familles nombreuses. L'"eugénisme négatif" consistait à limiter le nombre d'enfants de personnes jugées "inaptes", préconisant la stérilisation et la séparation des sexes.

Winston Churchill, ministre de l'Intérieur dans le gouvernement libéral de H. H. Asquith en 1910-1911, a  soutenu la stérilisation forcée des "faibles d'esprit", qu'il  qualifiait de "danger national et racial" et de "source originelle de la folie".

La Maison Blanche de Trump, pilotée par Stephen Miller, a l'intention de procéder à des purges similaires au sein de la société américaine. Les personnes dotées de caractéristiques héréditaires "négatives", généralement liées à la race, sont considérées comme des contaminants humains que des agents masqués de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE)  terrorisent, incarcèrent et excluent de la société.

Dans des courriels  divulgués en 2019, Miller fait l'éloge du roman de 1973 Le Camp des saints, écrit par Jean Raspail. Ce roman raconte l'histoire d'une flottille de Sud-Asiatiques envahissant la France et détruisant la civilisation occidentale. Les immigrants que l'administration Trump traque actuellement sont décrits comme des "fantômes aux cheveux crépus, à la peau basanée, depuis longtemps méprisés" et des "fourmis grouillantes travaillant dur pour le confort de l'homme blanc". Les foules sud-asiatiques sont décrites comme de "petits mendiants hideux des rues de Calcutta", menés par un "hindou gigantesque" mangeur d'excréments surnommé "le mangeur de crottes".

Telle est, dans sa forme la plus calomnieuse, la thèse de la théorie du "Grand Remplacement", selon laquelle les populations blanches d'Europe et d'Amérique du Nord se verraient "remplacées" par des "races inférieures".

Donald Trump  se vante d'être le "président de la fertilité". Son administration  incitera les couples américains, c'est-à-dire les couples blancs, à procréer davantage afin de contrer la baisse du taux de natalité. Dans le jargon de la droite, ceux qui prônent cette version actualisée de l'"eugénisme positif" sont appelés "pronatalistes". L'administration Trump  réduira également le nombre de réfugiés admis aux États-Unis l'année prochaine à un niveau symbolique de 7 500, la plupart d'entre eux étant des Sud-Africains blancs.

Les alliés de Trump dans les grandes entreprises technologiques œuvrent à mettre en place l'infrastructure nécessaire pour concevoir des enfants dotés de traits héréditaires "positifs". Sam Altman, à qui l'administration Trump a  attribué un contrat militaire d'un an d'une valeur de 200 millions de dollars, a  investi dans une technologie permettant aux parents de modifier génétiquement leurs enfants avant leur conception afin de produire des "bébés sur mesure".

Peter Thiel,  cofondateur de Palantir , une société qui soutient la politique de déportation massive de l'administration Trump, a investi dans Orchid Health, une entreprise de dépistage d'embryons. Orchid  promet d'aider les parents à concevoir des enfants "en bonne santé" grâce à des tests sur les embryons et à une technologie de sélection.  Selon certaines sources, Elon Musk, fervent pronataliste et  adhérent à la théorie du Grand Remplacement, serait un client de cette start-up. L'objectif est de permettre aux parents de  sélectionner les embryons en fonction de leur QI et de choisir "l'intelligence de leurs enfants avant leur naissance", comme le note le Wall Street Journal.

Nous commettons les mêmes erreurs autodestructrices que celles commises par la classe politique britannique qui a provoqué le déclin de l'Empire britannique et orchestré la folie suicidaire de la Première Guerre mondiale. Nous reprochons aux pauvres leur propre paupérisation. Nous croyons en la supériorité de la race blanche sur les autres, écrasant la multitude de voix, de cultures et d'expériences qui contribuent à la vitalité et à la diversité d'une société. Nous cherchons à contrer les injustices et les inégalités économiques et sociales par la virilité exacerbée, le militarisme et la force, accélérant ainsi notre propre décadence et nous précipitant vers une guerre mondiale désastreuse, peut-être avec la Chine.

Wells se moquait de "l'idiotie d'une classe dirigeante privilégiée" incapable d'analyser ou de résoudre les problématiques sociales qu'elle engendre. Il dénonçait l'ignorance et l'incompétence de l'élite politique britannique. Selon lui, ils dévoyaient la démocratie par leur racisme, leur hypernationalisme et leur discours public stéréotypé et manichéen, amplifié par les tabloïds sensationnalistes.

Selon lui, face à une crise, ces mandarins, à l'instar des nôtres, seraient prêts à allumer le bûcher funéraire de l'empire.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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