Par Max Blumenthal et Wyatt Reed, 7 juillet 2025
Après une enquête d'AP accusant une société de mercenaires américains de tirer sur des civils en quête d'aide à Gaza, la société a publié ce qu'elle présente comme de nouvelles images pour minimiser les retombées. Mais ces images ne font qu'accroître les accusations pesant sur cette opération entachée de scandales.
Le 2 juillet, Associated Press a publié un reportage contenant de courtes vidéos montrant des mercenaires américains, associés à la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), ouvrant le feu sur des populations en quête d'aide à Gaza, lors d'un incident survenu dans le sud de la ville en mai dernier. Ces images ont été fournies par un ancien employé d'UG Solutions, une société chargée d'assurer la sécurité des sites de distribution de la GHF.
"Je crois que tu en as touché un", dit un mercenaire à un autre après une rafale de coups de feu.
"Ouais, mec !", s'exclame un autre.
Afin de limiter les impacts de l'enquête d'AP, UG Solutions a diffusé à la presse deux vidéos d'une durée de plus de sept minutes.
Ces images récemment publiées offrent un aperçu sans précédent des interactions troublantes entre la population affamée de Gaza et des Américains bien armés, manifestement mal préparés, chargés d'assurer la sécurité des opérations d'aide chaotiques de la GHF.
Filmées par l'un de ses propres employés, ces images auraient été diffusées dans le but de prouver que les agents d'UG Solutions n'ont pas tiré à balles réelles sur des foules de Palestiniens non armés. Selon une déclaration d'UG Solutions, ces vidéos
"permettent non seulement de clarifier les événements, mais aussi de fournir un contexte qui réfute les informations rapportées par l'AP et montre que les accusations sont infondées".
Cependant, une analyse plus approfondie réalisée par The Grayzone démontre que la vidéo est tout sauf disculpatoire.
On y voit notamment un groupe hétéroclite de mercenaires qualifier de "coups de semonce" les salves de tirs dirigés vers une foule de civils palestiniens, dont ils savent qu'ils ne représentent aucune menace, avant de demander par radio l'intervention de l'armée israélienne, connue pour avoir la gâchette facile.
Après une série de coups de feu tout proches, on entend un mercenaire d'UG Solutions informer l'armée israélienne par radio : "Nous tirons des coups de semonce. - Tirs de semonce, ça vient de nous", dit-il. Comme tous les autres dans la vidéo, il s'exprime avec un accent américain.
Quelques secondes avant les coups de feu, on voit un agent d'UG Solutions, dans le coin inférieur gauche de l'écran, pointer son fusil en direction de civils venus chercher de l'aide.
Ces preuves clés contredisent les déclarations d'un porte-parole d'UG Solutions selon lesquelles il
"n'a pas connaissance d'une vidéo montrant des coups de feu tirés par un contractant de UG Solutions".
Tout en discréditant leur propre version des faits, la vidéo d'UG Solutions souligne également l'état chaotique des opérations prétendument humanitaires de la GHF.
Une caméra cachée expose le "travail d'amateurs" des mercenaires.
Dans la vidéo, le mercenaire qui filme reconnaît que lui et ses collègues sont incapables d'échanger ne serait-ce que quelques phrases en arabe avec la foule affamée.
"Je pense que je vais me noter quelques mots en arabe", dit-il, avant d'énumérer une série d'expressions reflétant le manque de formation de son équipe et son incapacité totale à communiquer : "Demain. Retour. Rentrez chez vous. Stop".
Le mercenaire reconnaît tacitement qu'en l'absence d'aide à la traduction, lui et son équipe ont dû compter sur les Gazaouis anglophones en quête d'aide.
"Nous avons pu compter sur quelques Palestiniens qui, comme vous l'avez dit, parlent assez bien anglais et nous ont beaucoup aidés."Je pense que la plupart d'entre eux ne sont pas animés de mauvaises intentions, car ils sont vraiment désespérés",
poursuit l'Américain, soulignant l'absence de véritables menaces pour la sécurité.
Un autre mercenaire à proximité renchérit : "Ils sont désespérés comme pas permis".
Plus tard, le caméraman s'est plaint que des déplacés avaient arraché un lampadaire et un arbre à proximité, sans doute pour faire du bois de chauffage, puis a déploré que la foule désespérée ait également emporté les tables de distribution de la GHF.
Cette vidéo troublante semble corroborer l'analyse d'un haut responsable d'UG Solutions, qui a qualifié les missions de l'entreprise à Gaza d'"amateurisme".
Des espions américains et des membres de l'État islamique coopèrent avec Israël. Quel est le risque ?
UG Solutions coordonne ses actions militaires dans la bande de Gaza assiégée avec une autre société de mercenaires privés américains, Safe Reach Solutions, fondée par l'ancien agent de la CIA, Philip Reilly.
Les deux opèrent sous les auspices de la Gaza Humanitarian Foundation, proche de Trump, ayant reçu un investissement initial de McNally Capital, une société de capital-investissement fondée par l'héritier Ward McNally. The Grayzone a rapporté que la GHF semble également avoir reçu un financement substantiel du Mossad et du ministère de la Défense israélien.
Depuis, le département d'État américain a promis 30 millions de dollars pour maintenir à flot les opérations de la GHF, minées par des scandales.
Au 6 juillet 2025, plus de 700 personnes ont été tuées par les seules factions armées opérant dans les "zones humanitaires", à savoir la GHF, Israël et le clan du chef de gang bédouin Yasser Abu Shabab. Anciennement aligné sur l'État islamique, ce dernier a récemment été nommé adjoint des forces de l'ordre locales d'Israël.
Plusieurs soldats israéliens ont déclaré au quotidien Haaretz avoir reçu l'ordre de tirer sur toute personne se rendant dans les centres de distribution de la GHF pour y chercher de l'aide, faisant de nombreuses victimes.
"Là où j'étais posté, entre une et cinq personnes ont été tuées chaque jour", a déclaré un soldat au journal israélien. "Ils sont considérés comme une force hostile : zéro mesure de contrôle des foules, pas de gaz lacrymogène, juste des tirs à balles réelles avec tous les moyens imaginables : mitrailleuses lourdes, lance-grenades, mortiers".
Traduit par Spirit of Free Speech
Rédacteur en chef de The Grayzone, Max Blumenthal est un journaliste primé et auteur de plusieurs livres, dont les best-sellers Republican Gomorrah, Goliath, The Fifty One Day War et The Management of Savagery. Il a rédigé des articles pour diverses publications, réalisé de nombreux reportages vidéo et plusieurs documentaires, dont Killing Gaza. Blumenthal a fondé The Grayzone en 2015 afin de mettre en lumière, à travers le journalisme, l'état de guerre perpétuelle de l'Amérique et ses dangereuses répercussions sur le plan intérieur.
Wyatt Reed est rédacteur en chef de The Grayzone. En tant que correspondant international, il a couvert des événements dans plus d'une douzaine de pays. Suivez-le sur Twitter/X à @wyattreed13.