
par Amal Djebbar
Il fait froid. Un froid qui s'infiltre jusque dans les os, ronge la peau, engourdit l'âme. L'hiver est là, implacable, refermant sur nous un étau chaque jour plus serré. Le soleil se fait rare. Lorsqu'il ose percer les nuages, on retient son souffle, on prie pour qu'il s'attarde, qu'il dépose un peu de lumière sur ce monde en décomposition. Mais il disparaît trop vite, laissant derrière lui une grisaille oppressante.
Les visages sont fermés, crispés par le froid, mais aussi par une lassitude plus profonde. Ici, ce n'est pas seulement l'hiver qui fige tout, c'est l'époque elle-même qui semble s'être arrêtée. Pendant des jours, un épais frimas a noyé la ville, effaçant les contours familiers. Même le clocher avait disparu, avalé par cette brume pesante. Tout est triste ici, sous ce ciel d'acier. Les couleurs s'effacent, englouties par une grisaille qui semble s'étendre à l'infini. Les arbres, figés sous leur carapace de givre, se dressent comme les colonnes d'un palais de glace, immobiles, silencieux, témoins d'un monde qui s'éteint lentement.
Autrefois, la ville vivait. Les rues bruissaient de conversations, les vitrines scintillaient, les passants s'attardaient. Aujourd'hui, tout est vide. Plus personne ne flâne, plus personne ne s'arrête. On traverse, l'air absent, les yeux baissés sur les smartphones. Il n'y a plus rien à voir, plus rien à acheter. L'argent manque, le travail manque, et avec eux, c'est l'avenir qui s'efface.
Je suis prisonnière, ici, dans «le Village». Peu à peu, le monde s'est refermé, insidieusement. L'air est devenu vicié, saturé d'injonctions absurdes. Comme Numéro 6, je suis enfermée dans un espace étouffant, sans porte de sortie, où chaque geste est scruté, chaque pensée disséquée. Ils disent que c'est pour notre bien. Mais qui décide de ce qui est bon ? Qui est le Numéro 1 ?
«Be seeing you»
Ici, tout est sous contrôle. L'œil invisible du pouvoir nous observe en permanence. Il n'y a pas de barreaux aux fenêtres, pas de chaînes aux poignets, mais nous sommes enfermés. Chaque jour, une nouvelle règle, une nouvelle restriction. Chaque jour, le même rituel : les informations biaisées, la musique aseptisée, les visages qui se croisent sans jamais se voir. Pas besoin de murs, le conditionnement suffit. Les médias mentent, abrutissent, inondent d'images vides et de débats insignifiants pour détourner le regard de l'essentiel. Ils masquent la vérité sous des écrans de fumée et empêchent la révolte.
Ils disent que c'est la crise, mais ils ne disent pas tout. Ils cachent l'ampleur du désastre. Pour éviter la panique ou pour mieux nous tenir en laisse, plutôt. Tous les jours, avec leurs «On vous explique», ils dictent ce que nous devons penser, manger, porter. Et certains obéissent, dociles. Le conformisme a triomphé. Dans les rues, les corps sentent la résignation et les hommes en «North Face» puent, au sens propre comme au figuré, la soumission. Ici, l'individu n'existe plus. Il s'efface sous un moutonnisme aveugle, une obéissance sans question.
Obéir. Se taire. Se plier aux nouvelles normes, aux nouvelles humiliations quotidiennes. Lentement, la France glisse vers un monde de contraintes et d'interdits. Tout est sous contrôle, tout est réglementé. Bientôt, il ne nous restera plus qu'un droit : payer. Sinon... les geôles ou l'enfer.
Le but est clair. Nous faire régresser. Nous habituer à moins. Nous apprendre à courber l'échine, à accepter notre déclin sans broncher. À survivre plutôt qu'à vivre.
Mais moi, je refuse. Je ne suis pas un numéro. Je suis une femme. Une femme liiiiiibre.