par Gideon Levy
Les termes de l'accord qui se dessine avec le Hamas sont présentés par Israël comme impliquant un «prix douloureux». Cela repose sur l'hypothèse que tout ce qui est bon pour le Hamas doit être mauvais pour Israël et que tout ce qui est mauvais pour les Palestiniens est bon pour nous : un jeu à somme nulle.
Israël s'est convaincu qu'il ne devait pas signer un accord qui profiterait au Hamas de quelque manière que ce soit ; cet accord ne peut être que néfaste pour Israël et ne peut qu'entraîner un prix douloureux.
Nous ne devrions pas accepter ces hypothèses. Certains éléments de l'accord sont bons à la fois pour Israël et pour le Hamas. Le «prix» n'est pas toujours vraiment un prix. Il n'est pas toujours aussi douloureux qu'on veut nous le faire croire.
La libération des prisonniers de sécurité palestiniens et la cessation des combats profiteront au Hamas. Peut-être profitera-t-elle aussi à Israël. Quoi qu'il en soit, l'alternative sera bien pire pour Israël. Le Hamas ne libérera pas ses captifs sans condition, tout comme Israël ne libère pas les siens prisonniers sans obtenir quelque chose en retour, et il en a des milliers à l'heure actuelle.
Israël a appris aux Palestiniens qu'ils ne peuvent obtenir la libération rapide de leurs prisonniers détenus par Israël qu'en les échangeant contre des otages. D'ailleurs, les deux camps ont des otages : de nombreux détenus palestiniens ont été arrachés à leur lit et n'ont jamais été jugés.
Les prisons israéliennes regorgent de prisonniers de sécurité qui, contrairement à la présentation qui en est faite dans la propagande médiatique, ne sont pas tous des «terroristes avec du sang sur les mains».
Parmi eux se trouvent de nombreux prisonniers politiques d'un régime qui interdit aux Palestiniens toute forme d'activité organisationnelle. Beaucoup d'autres ont été reconnus coupables de délits mineurs et condamnés à des peines draconiennes. S'il fallait encore prouver l'existence de l'apartheid israélien, ce serait par les systèmes judiciaires distincts pour les Juifs et les Palestiniens.
Dans les prisons israéliennes, il y a aussi d'ignobles meurtriers palestiniens. Mais nombre d'entre eux ont purgé leur peine et méritent d'être un jour libérés, tout comme leurs compagnons d'infortune juifs. La libération de vétérans âgés de la lutte armée palestinienne ne fera aucun mal à Israël.
Il y en a même dont la libération profitera à Israël, en premier lieu Marwan Barghouti, mais pas seulement lui. Si Israël est sérieusement intéressé à trouver un partenaire pour changer la réalité des guerres sans fin, il peut être trouvé derrière les barreaux israéliens. La prochaine génération de dirigeants palestiniens est détenue dans les prisons israéliennes, de Megiddo à Nafha.
Les luttes de libération à travers l'histoire, y compris celle du peuple juif, ont produit des dirigeants courageux qui sont sortis des prisons de leurs conquérants. Il y aura des familles juives endeuillées qui ont perdu leurs proches il y a des années et qui ne veulent pas voir les assassins libérés. C'est compréhensible, mais on ne peut certainement pas leur permettre de dicter ce qui est dans l'intérêt d'Israël.
«Israël tue x 000 Palestiniens : c'est la faute au Hamas» - Peter Sully, Australie
La ligne de conduite la plus sage qu'Israël aurait dû adopter il y a longtemps était de libérer volontairement les prisonniers de sécurité, en guise de geste et pas seulement de concession dans le cadre des négociations. Mais il n'y a aucune chance que cela se produise - c'est trop intelligent. Libérer 1500 prisonniers, comme le demande le Hamas, n'est ni un désastre ni une souffrance. Cela permettra aux otages de rentrer chez eux. Le désastre et la douleur ne se produiront que s'ils ne sont pas sauvés.
Il ne serait pas non plus désastreux ou douloureux de mettre fin à cette guerre maudite, au cours de laquelle Israël a perdu son humanité sans atteindre ses objectifs grâce à des tueries et des destructions aveugles, comme on n'en voit que dans les guerres les plus brutales.
La dignité d'Israël sera en effet atteinte, le Hamas sera couronné vainqueur de la guerre - un vainqueur douteux mais un vainqueur quand même (même s'il s'était déjà couronné lui-même le 7 octobre). Même si la «victoire totale» de Benjamin Netanyahou était obtenue, ce qui n'arrivera évidemment jamais, le Hamas a gagné la guerre. Il vaut donc mieux y mettre fin.
Nous devons mettre de côté les clichés et les slogans éculés dont les Israéliens ont été abreuvés et examiner calmement les questions importantes : L'accord est-il vraiment si mauvais ? En quoi ? Existe-t-il un meilleur accord ?