par Amal Djebbar
À Châlons-en-Champagne, sur la place du marché, je me fais arrêter net par deux syndicalistes CGT. Gilets rouges siglés, tracts en main, regard assuré. «Bonjour, c'est pour la manif de demain...»
Stop. Pas à moi. Pas à moi qui ai déjà donné. Pas à moi qui ai fait les Gilets jaunes. Alors, je leur sors direct : «Vous pensez vraiment que vos manifs servent encore à quelque chose ?»
Ils tentent leur numéro : «Oui, mais vous savez, il faut...». Je coupe court. Pas de baratin, pas de «vous savez».
J'enchaîne et je déroule : - Le pays est en ruine. - Le travail est broyé. - Les décisions gouvernementales nous étranglent....
Et je leur balance : «Non, laissez tomber les manifs. Ça fait des années que vous défilez. Résultat ? Rien. Tout empire. Et eux, là-haut, ils rigolent».
Je hausse le ton : «Si vous voulez que ça bouge, sortez les fourches. Pas vos banderoles en carton qui ne font peur à personne».
Silence. Ils encaissent, mais leurs visages se crispent. Alors, je les attaque plus fort : «Vous avez une part de responsabilité. Vous avez participé, vous aussi. Vous jouez les rebelles, mais vous servez le système».
Ils froncent les sourcils, mais moi, je continue. Je plante mon regard dans le leur et je lâche : «Le pays est en train de crever, et les gens s'en foutent. Tant qu'ils peuvent bouffer, avoir un téléphone et un écran, ça leur suffit. Vous voulez un vrai soulèvement ? Faites comme au Népal : coupez internet. Vous verrez les cerveaux s'allumer. Tant que les réseaux tournent et que Netflix berce, rien ne bougera».
Silence encore. Ils encaissent, mais rien ne sort.
Enfin, je termine. Je repose leur tract sur la pile, je ne le garde pas. Je les salue poliment. Et je leur promets une seule chose :
«Le jour où vous sortirez les fourches pour déloger nos tortionnaires, j'en serai. Mais pas demain. Pas pour vos manifs inutiles».
Puis je pars. Et eux restent là, plantés sur le trottoir avec leurs flyers. Ils viennent de croiser une vieille revenante des Gilets jaunes, trop amère pour croire encore aux cortèges et trop lucide pour se bercer d'illusion.