
Philip Weiss parle du déclin de l'influence du lobby sioniste auprès des jeunes aux États-Unis, particulièrement des jeunes juifs. Ce faisant, il aborde le même thème que le Jewish Forward dont je vous avais proposé un article.
Philip Weiss remarque l'impact de la candidature puis de l'élection de Zohran Mamdani à la mairie New-York, élection pour laquelle il a dû battre deux fois, Andrew Cuomo, un «éléphant» du Parti démocrate qui avait refusé contrairement aux usages de se plier au verdict de la primaire du parti.
Dans la foulée du succès de Mamdani, d'autres candidats démocrates non inféodés au lobby sioniste ont rencontré des succès électoraux dans des scrutins municipaux ou d'État.
L'élection de Mamdani a été permise par la réprobation suscitée par les crimes sionistes à Gaza dans la jeunesse mais pas seulement mais aussi peut-être à l'arrivée à maturité de la tendance progressiste du Parti démocrate qui avait déjà pointé le bout de son nez en 2021 en se mobilisant (déjà !) au moment d'une agression sioniste conte Gaza au mois de mai de cette année-là.
Aujourd'hui les acteurs politiques de gauche mais aussi de droite qui se désolidarisent du régime sioniste ont les coudées plus franches que jamais et leur hostilité affichée au comportement de ce régime est devenu un atout.
Il y a encore du chemin car aux États-Unis comme en France ou ailleurs en Occident, il faut s'attendre à voir les tenants d'une cause très impopulaire renforcer leur emprise sur les directions politiques des États, que ce soit par des apports financiers, le chantage ou d'autres moyens dont ils ont le secret, Il ne faut pas considérer autrement le virage sioniste du RN en France qui lui a ouvert le soutien des franges radicales du sionisme. Radicales ne veut pas dire marginales !
Mounadil al Djazaïri
*
Le lobby israélien est en train de s'effondrer sous nos yeux
par Philip Weiss
La communauté juive américaine traverse une crise ouverte concernant son soutien à Israël après deux années de génocide à Gaza. Un élément crucial de cette crise est un sujet autrefois considéré comme trop tabou pour être critiqué : le lobby pro-israélien.
Le mois dernier, un haut responsable de l'organisation juive J Street (organisation juive américaine qui ne participe pas au lobby sans être antisioniste, NdT), qui avait travaillé pour Obama et Harris, a expliqué que la tradition du Congrès de soutenir Israël «quoi qu'il arrive» avait été imposée par un «groupe de juifs bien financé».
«Un petit groupe de juifs américains, organisé et bien financé, a traité cette question comme une question fondamentale lors des élections, et la plupart des candidats ont décidé qu'il n'était pas judicieux de se les aliéner», écrivait Ilan Goldenberg.
Il y a peu, ces attaques contre le lobby israélien (y compris les miennes) étaient balayées d'un revers de main comme des théories du complot antisémites. Aujourd'hui, une importante organisation juive les publie.
Ceci s'explique par le fait que la communauté juive américaine traverse aujourd'hui une crise ouverte concernant son soutien historique à Israël. Des personnalités juives s'attaquent enfin au lobby, une structure politique créée il y a 60 ans par d'importantes organisations juives afin d'assurer une parfaite harmonie entre les gouvernements israélien et américain.
Le catalyseur de la crise a été la victoire surprise du maire élu de New York, Zohran Mamdani, qui a enfreint une règle de la politique américaine : on ne peut être antisioniste et être pris au sérieux dans le système politique américain.
Le lobby pro-israélien a dépensé des dizaines de millions de dollars pour faire battre Mamdani, sous l'impulsion de Bill Ackman et Mike Bloomberg, et pourtant Mamdani a tout de même battu Andrew Cuomo à deux reprises |lors de la primaire démocrate et lors du scrutin municipal, NdT). Après les élections générales du mois dernier, l'establishment juif s'est exprimé avec une véhémence chargée d'inquiétude. L'élection de Mamdani est un «triste» «présage», a déclaré la Conférence des présidents.
«L'intronisation de Zohran Mamdani à Gracie Mansion nous rappelle que l'antisémitisme demeure un danger clair et présent».
L'Anti Defamation League (équivalent américain de la LICRA, NdT) a lancé un dispositif de surveillance de Mamdani, soupçonné d'inciter à la violence antisémite - une accusation fondée sur ses critiques à l'encontre d'Israël. «Mamdani a propagé des discours antisémites... et manifesté une hostilité intense envers l'État juif, contraire à l'opinion de l'immense majorité des juifs new-yorkais».
Si le lobby pensait faire battre Mamdani, il a échoué. Deux semaines après l'élection, Mamdani s'est rendu à la Maison-Blanche et a parlé de «génocide» israélien, et Trump n'a rien fait pour le contredire. Il était grand temps que ce mot soit prononcé à la Maison-Blanche.
Le courage de Mamdani a permis la naissance d'un nouveau discours critique envers Israël, mais celui-ci a été rendu possible par un mouvement sociétal plus large. Les jeunes Américains se retournent contre Israël en raison de sa politique anti-palestinienne de génocide et d'apartheid.
Rahm Emanuel a annoncé la triste nouvelle aux Fédérations Juives, la plus grande organisation juive du pays, le mois dernier. Rappelant qu'Obama s'était rendu en Israël avant d'annoncer sa candidature à la présidence en 2007, Emanuel, lui-même candidat à la présidence, a déclaré qu'en 2028, aucun candidat démocrate n'osera suivre la stratégie traditionnelle (de soutien inconditionnel au régime sioniste, NdT).
«Personne ne quitte l'Amérique pour se rendre à Jérusalem. C'est le mot d'ordre politique».
Emanuel Rahm reçoit le vice-président Joe Biden à Chicago en mai 2021.
Et pas seulement chez les démocrates. Emanuel a déclaré que tous les jeunes, de gauche comme de droite, se retournent contre Israël.
«Voyez la position d'Israël aux États-Unis auprès des moins de 30 ans», a-t-il déclaré. «Oubliez les partis. Prendre position en faveur d'Israël est aujourd'hui un risque politique. Israël est extrêmement impopulaire - je tiens à le souligner pour tous ceux qui soutiennent un État juif - aujourd'hui, pour une génération de moins de 30 ans, les deux dernières années seront aussi déterminantes que la guerre des Six Jours l'a été pour la génération précédente. Mais nous devons être honnêtes quant à la tâche qui nous attend».
Le lobby israélien s'effondre sous nos yeux. Lors de cette même conférence, Eric Fingerhut, ancien membre du Congrès et dirigeant des Fédérations, a déclaré que la mauvaise image d'Israël était le fruit d'un complot international :
«Nous avons subi une attaque planifiée et coordonnée contre la position d'Israël en Amérique du Nord et contre la communauté juive qui soutient Israël. Alimentée par des milliards de dollars d'argent occulte... (provenant) d'Iran, du Qatar, de Chine, de Russie et d'autres pays. Diffusée grâce aux outils de communication les plus sophistiqués jamais inventés...»
La conférence était consacrée au rétablissement de la place d'Israël dans le discours public américain - «une réhabilitation majeure et à long terme du discours sur ce que représente Israël».
Mais la conférence s'est achevée sur un échec spectaculaire. La couverture médiatique s'est concentrée sur un autre fiasco : celui de l'auteure Sarah Hurwitz, ancienne rédactrice de discours d'Obama, qui a déploré que parler d'Israël aux jeunes aujourd'hui revienne à tenter de franchir un «mur d'enfants morts».
«Même les juifs américains sont touchés par la mort de ces enfants», a déclaré Hurwitz.
«TikTok bombarde nos jeunes de vidéos de carnage à Gaza toute la journée. C'est pour ça que tant d'entre nous n'arrivent pas à avoir une conversation sensée avec les jeunes juifs : tout ce qu'on essaie de leur dire est noyé sous un mur de carnage. J'ai beau vouloir leur donner des données, des informations, des faits, ils les entendent toujours à travers ce mur de carnage».
Hurwitz a déclaré que l'enseignement de la Shoah avait échoué auprès des jeunes juifs. Il les amenait à percevoir les Israéliens lourdement armés comme des nazis et leurs cibles palestiniennes émaciées comme des objets de compassion.
Hurwitz a été sévèrement critiquée sur les réseaux sociaux pour ces propos. Pourtant, elle est une figure emblématique pour la communauté juive officielle, car elle affirme avec force que ceux qui nient le droit des juifs à un État juif sont antisémites.
La souveraineté juive au Moyen-Orient est inhérente à la religion juive, affirme Hurwitz, et la puissance militaire d'Israël est la réponse nécessaire à deux mille ans d'antisémitisme. En niant ces vérités, les antisionistes démontrent leur haine des juifs.
Ces idées sont fausses et dangereuses. Si les jeunes Américains haïssent Israël, c'est parce que ce pays a tué des civils palestiniens sans distinction et détruit leurs moyens de subsistance pendant deux ans à Gaza, avec le soutien du gouvernement américain et du lobby israélien.
En novembre dernier, Rachel Wood, star des médias pour enfants, a évoqué la dimension morale de la situation à Gaza en accueillant à New York une jeune fille traumatisée nommée Qamar :
«Je suis profondément désolée pour Qamar que le monde soit resté les bras croisés pendant que son camp était bombardé, qu'elle ait été privée de soins médicaux pendant 20 jours, qu'on ait dû l'amputer d'une jambe et qu'elle ait vécu dans une tente déchirée, inondée et glaciale».
Il n'est pas surprenant que Ms Rachel soit devenue une figure de proue du discours de solidarité avec la Palestine aux États-Unis, grâce à sa clarté, sa simplicité et son sens des responsabilités.
Les médias mainstream font aujourd'hui tout leur possible pour nier ce mouvement. Ils nient que les opinions de ce mouvement sur la Palestine aient joué un rôle dans la défaite de Kamala Harris en 2024. Ils nient qu'elles aient été un facteur important dans la victoire de Mamdani à New York.
Alors même que des candidats dissidents opposés à Israël font leur apparition dans les primaires démocrates à travers le pays.
Ce bouleversement politique est désormais une crise juive, et c'est bien normal. La communauté juive se divise face au soutien communautaire officiel au génocide.
Les juifs qui dénoncent les actions d'Israël ont joué un rôle essentiel dans la coalition de Mamdani. Certains étaient des sionistes libéraux (de gauche dans le vocabulaire américain NdT). Mais le sionisme libéral est lui-même en pleine mutation, abandonnant ses vieux dogmes - comme l'idée que le BDS est antisémite - pour s'aligner sur les jeunes juifs.
Tandis que Sarah Hurwitz, Eric Fingerhut et Jonathan Greenblatt et l'establishment juif se marginalisent, l'argument principal d'Hurwitz est exceptionnaliste : les juifs auraient un rôle particulier à jouer dans le monde, et c'est pourquoi on nous hait.
Il y a là une longue tradition : ce lobby n'a cessé de propager mensonge sur mensonge dans notre débat politique. Les réfugiés n'ont pas le droit de retourner chez eux. Installer 700 000 colons en territoire occupé ne pose aucun problème. Il n'y a pas d'apartheid. Il n'y a pas de génocide. Les guerres menées par Israël contre ses voisins servent les intérêts des États-Unis.
Ces mensonges sont désormais démentis. Quels que soient les idéaux que le sionisme ait défendus à ses débuts, en tant que mouvement de libération européen, ils se sont mués en fanatisme face à la résistance palestinienne. La communauté juive officielle a encouragé ce fanatisme.
Les mensonges du lobby israélien étaient autrefois un sujet tabou en Amérique. Aujourd'hui, la crise qu'engendre le lobby place ce débat sur la place publique.
source : Mondoweiss via Mounadil al Djazaïri
