Par Thomas Fazi, le 28 septembre 2025
Au-delà du prolongement d'une guerre impossible à gagner, avec les destructions et les pertes humaines que cela implique, un vol aussi effronté éroderait encore davantage la confiance dans la monnaie et les institutions financières européennes.
Parmi toutes les sanctions imposées à la Russie ces trois dernières années, aucune n'a été aussi radicale et sans précédent que le gel des réserves de change de Moscou, d'une valeur d'environ 300 milliards de dollars, soit près de la moitié de ses réserves totales. Washington avait déjà gelé les avoirs d'adversaires moins puissants comme l'Afghanistan, l'Iran, la Syrie et le Venezuela. Mais aucun de ces pays n'avait la stature de la Russie : une économie du G20 et la plus grande puissance nucléaire mondiale. Aucune des 63 banques centrales appartenant à la Banque des règlements internationaux (BRI) à Bâle, souvent décrite comme la "banque centrale des banques centrales", n'avait jamais été soumise à de telles mesures, même pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ce gel a bouleversé ce qui était depuis longtemps considéré comme un principe sacré de la finance internationale : la neutralité des réserves des banques centrales. Il est aussi clairement illégal. En vertu du droit international coutumier, les actifs souverains détenus à l'étranger bénéficient d'une immunité de confiscation. Cette protection est confirmée par divers traités, notamment la Convention des Nations unies de 2004 sur les immunités juridictionnelles des États (qui n'a toutefois pas été ratifiée par tous les pays). En privant la Russie de l'accès à ses réserves, l'Occident a franchi une ligne rouge qui pourrait être qualifiée de vol pur et simple, un acte de gangstérisme financier international qui bafoue les protections nationales et internationales en matière de propriété.
Le message est sans équivoque : désormais, Washington et ses alliés sont prêts à instrumentaliser les fondements mêmes du système financier international. Comme l'a observé Wolfgang Münchau à l'époque, il s'agit du "plus grand pari de l'histoire de la guerre économique", qui a d'un seul coup sapé la confiance mondiale non seulement dans le dollar américain, mais aussi dans l'ordre financier occidental dans son ensemble. Pour les pays non occidentaux, en particulier la Chine, qui détient plus d'un trillion de dollars d'actifs américains, la nécessité d'accélérer la "dédollarisation" a soudainement pris un caractère d'urgence existentielle. Il est en effet largement reconnu que le gel des réserves russes a impulsé une tendance à la dédollarisation déjà en cours depuis 2022.
On aurait pu croire que les répercussions de cette décision inciteraient les gouvernements occidentaux à faire preuve de davantage de retenue. Or, Bruxelles s'apprête désormais à doubler la mise. Jusqu'à présent, les réserves de la Russie sont restées gelées, mais intactes. Cependant, la pression monte au sein de l'UE pour aller plus loin et utiliser ces fonds. Environ 200 milliards d'euros d'actifs immobilisés sont actuellement détenus chez Euroclear, la société de compensation basée à Bruxelles. Le chancelier allemand Friedrich Merz a récemment appelé l'UE à saisir ces réserves pour les affecter à l'effort de guerre de l'Ukraine. Dans une interview accordée au Financial Times, il a suggéré d'utiliser ces actifs pour débloquer un prêt de 140 milliards d'euros en faveur de Kiev.
Il s'agit là d'un revirement spectaculaire de la part de Berlin. Pendant des années, l'Allemagne, ainsi que plusieurs autres membres de l'UE, a rejeté catégoriquement la confiscation des actifs, avertissant que cela pourrait compromettre la crédibilité de l'euro en tant que monnaie de réserve et risquerait de provoquer une escalade dangereuse de la part de Moscou. Mais alors que Washington, sous Donald Trump, réduit son soutien à l'Ukraine, les dirigeants européens craignent de devoir bientôt porter seuls ce fardeau. Le revirement de Merz en est le reflet.
Le mécanisme proposé est complexe. Les États membres garantiraient d'abord le prêt, puis ancreraient son remboursement dans le prochain budget à long terme de l'UE, à partir de 2028. Merz a laissé entendre que le plan devrait être adopté à une "large majorité", impliquant ainsi une structure qui éviterait l'unanimité et neutraliserait les veto de la Hongrie ou de la Slovaquie. Mais l'opposition ne vient pas seulement des dissidents habituels du bloc.
La Belgique elle-même n'est guère favorable à ce plan. La raison en est simple : les bénéfices d'Euroclear provenant des actifs russes immobilisés sont déjà imposés à hauteur de 25 % par le gouvernement belge, qui utilise cette manne pour financer ses dépenses de défense, conformément à l'objectif de 2 % du PIB fixé par l'OTAN. Confier le contrôle de ces fonds à Bruxelles priverait la Belgique de cette source de revenus. Cette situation met en évidence les contradictions internes de la position de l'UE. Si Bruxelles présente le débat en termes de solidarité avec l'Ukraine et de défense de la souveraineté européenne, les gouvernements nationaux ont conscience des intérêts fiscaux et financiers en jeu.
Les conséquences de la proposition de Merz seraient de taille. Au-delà de perpétuer une guerre impossible à gagner, avec toutes les destructions et pertes humaines que cela implique, elle porterait un nouveau coup à la confiance dans la monnaie et les institutions financières européennes. Comme vient de le rappeler très clairement le Premier ministre belge :
"Si l'on constate que la monnaie de la banque centrale peut disparaître lorsque les politiciens européens le jugent opportun, les pays pourront décider de faire sortir leurs réserves de la zone euro".
Le risque existe bel et bien. Les banques centrales du monde entier ont déjà commencé à délaisser les monnaies occidentales depuis le gel de 2022. La confiscation ne fera qu'accélérer cette tendance. L'euro, déjà monnaie de réserve secondaire derrière le dollar, verrait son statut s'effondrer si les investisseurs et les gouvernements le jugent trop vulnérable aux dérives politiques. Ce que les dirigeants européens qualifient de démonstration de force pourrait s'avérer n'être qu'un nouvel acte d'autosabotage retentissant, érodant toujours plus la crédibilité de l'Occident, en s'aliénant les pays du Sud et favorisant l'émergence de systèmes financiers alternatifs.
Traduit par Spirit of Free Speech