14/05/2025 ssofidelis.substack.com  8min #277903

La Cia, de l'Irak à l'Iran

Par  Shivan Mahendrarajah, le 13 mai 2025

Un plan américain élaboré en 2002 pour briser l'Irak avant de l'envahir est en train d'être réactivé contre l'Iran, avec des sabotages, des assassinats et une guerre psychologique déjà en cours.

Le 11 septembre 2001, alors que la fumée s'élevait encore des tours jumelles et du Pentagone, deux réunions - l'une à Tel-Aviv et l'autre à Washington - ont placé l'Irak dans le collimateur. Le Premier ministre israélien de l'époque, Ariel Sharon, a convoqué une réunion d'urgence de son cabinet de sécurité nationale et a décidé de profiter des attentats pour pousser à la guerre contre l'Irak de Saddam Hussein.

Des agents israéliens infiltrés dans l'administration Bush, réputée belliciste, ont été chargés de promouvoir ce plan. Dans le même temps, l'ancien secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld et son adjoint Paul Wolfowitz ont initié des discussions internes sur la nécessité de cibler l'Irak.

Selon le témoignage de l'ancien secrétaire d'État Colin Powell devant la  Commission du 11 septembre,

"c'est Wolfowitz - et non Rumsfeld - qui a fait valoir que l'Irak était en fin de compte la source du problème terroriste, et devait donc être attaqué".

C'est lui qui a soutenu que l'Irak était à l'origine du problème terroriste. Au Pentagone, "Wolfowitz a continué à faire pression pour intervenir en Irak".

Le 11 septembre, le jour même des attentats terroristes - alors que Washington avait immédiatement identifié les dirigeants d'Al-Qaïda basés en Afghanistan comme les responsables -, le directeur de la CIA, George Tenet, a autorisé la création du Groupe des opérations en Irak (IOG), dirigé par Luis Rueda et John Maguire, deux vétérans des opérations secrètes.

En moins de 24 heures, les deux hommes ont ébauché un plan de déstabilisation de l'Irak. Baptisé DB/ANABASIS ("DB" étant le nom de code de la CIA pour l'Irak), ce plan a été activé bien avant toute déclaration officielle de guerre, et bien avant que l'opinion publique américaine ne soit préparée à soutenir les allégations fallacieuses concernant la présence d'armes de destruction massive en Irak.

Approuvée par le président américain George W. Bush en février 2002 et dotée d'un budget de 400 millions de dollars, DB/ANABASIS était un plan détaillé de sabotage, de désinformation, de guerre psychologique, de soulèvements armés et de renversement du gouvernement.

En résumé : alors que le monde avait les yeux rivés sur Al-Qaïda et l'Afghanistan, l'Irak avait déjà été choisi comme première cible.

Transfert de cible : de l'Irak à l'Iran

En janvier 2002, le président Bush prononçait son tristement célèbre discours sur "l'axe du mal", dans lequel il associait l'Iran et l'Irak. Ce discours, rédigé par le néoconservateur David Frum, était, tout comme Oded Yinon - auteur du " plan Yinon" -, un disciple d'Ariel Sharon.

Il suivait la logique stratégique du rapport " A Clean Break" rédigé en 1996 pour Benjamin Netanyahu par Richard Perle, Doug Feith et David Wurmser, entre autres. Le plan initial visait l'Irak, l'Iran et la Syrie. Afin de dissimuler les implications israéliennes, la Corée du Nord a été ajoutée comme leurre.

La stratégie était simple : renverser d'abord l'Irak, puis l'Iran. Une fois ces deux pays tombés, la Syrie et le Hezbollah seraient des proies faciles.

L'Irak est tombé en 2003. La Syrie est en ruines. Aujourd'hui, l'Iran est le dernier domino. Et l'arsenal autrefois utilisé contre l'Irak est dépoussiéré et redéployé. Il s'agit de la version révisée de l'ANABASIS de la CIA, mais cette fois-ci, c'est l'Iran qui est dans le collimateur.

Opération DB/ANABASIS

Les grands thèmes de l'ANABASE sont appliqués à l'Iran aujourd'hui : sanctions pour affaiblir l'économie, sabotages et assassinats pour instaurer peur et confusion, et opérations psychologiques pour diviser l'opinion publique.

Les groupes d'opposition iraniens sont au cœur de cette nouvelle campagne. En 2012, l'ancien président américain Obama a retiré le Mujahideen-e-Khalq (MEK) de la liste des organisations terroristes du département d'État américain. Le MEK a été transféré en Albanie, où il opère désormais depuis le camp d'Ashraf, lançant des cyberattaques et des attentats terroristes contre la République islamique.

La CIA exploite également les séparatistes kurdes et baloutches pour ses opérations. Le Mossad, souvent en collaboration avec la CIA, est soupçonné d'avoir orchestré l'assassinat de scientifiques tels que Mohsen Fakhrizadeh et des attentats terroristes à Téhéran (2017), Ahvaz (2018), Chahbahar (2019) et Shah Cheragh (2022, 2023). La récente attaque de  Kerman (2024) s'inscrit dans le même schéma.

Les manifestations qui ont suivi la mort de  Mahsa Amini ont été rapidement récupérées par la CIA - ou par des agents alignés sur le Mossad, armés de cocktails Molotov et d'armes à feu - contrairement aux manifestations précédentes.

Les incendies à Bandar Abbas, Karaj et  Mashhad s'inscrivent également dans le cadre de l'ANABASIS. Ce ne sont pas des accidents, mais des actes de sabotage économique et psychologique.

La guerre cachée : impact psychologique et stratégique

"M. Bond, il y a un dicton à Chicago : 'La première fois, c'est le hasard. La deuxième fois, c'est une coïncidence. La troisième fois, c'est l'œuvre de l'ennemi'" - Goldfinger (1959).

Un analyste iranien respecté a qualifié les sabotages à Bandar Abbas, Karaj et Mashhad d'attaques "grossières" visant à "faire payer le prix fort". Mais  l'impact militaire et psychologique est sous-estimé : comme au Liban, ces actes détruisent les infrastructures, tuent des civils et suscitent des réactions de panique.

Le sabotage est plus efficace lorsqu'il semble fortuit tout en coïncidant avec des moment clés de la vie politique. Lorsque l'ancien président du Parlement Ali Larijani est apparu à la télévision durant la panne d'électricité à Karaj, le message était clair : vos dirigeants ne sont pas en mesure de vous protéger.

De telles opérations suscitent des craintes. Les services de sécurité iraniens se voient contraints d'enquêter sur leurs collègues, les membres de leur famille et même leurs amis. Alors qu'ils courent après des fantômes, la confiance s'effrite. Le contre-espionnage s'en prendra au personnel de sécurité des sites touchés, alimentant la paranoïa. Téhéran devient obsédé par les infiltrés et les taupes étrangers.

Durant la guerre froide, le KGB était passé maître dans l'art d'amener la CIA à soupçonner ses propres agents de trahison. La "chasse aux taupes" qui en a résulté, menée par le chef du contre-espionnage de la CIA James Angleton, a dévasté le moral des troupes. La même dynamique est à l'œuvre aujourd'hui en Iran.

Fin de partie : l'effondrement de l'intérieur

La stratégie de la CIA vise à détruire l'unité de l'Iran et à démoraliser sa population avant de déclencher une guerre ouverte. Washington et Tel-Aviv espèrent que l'Iran, comme l'Irak avant lui, s'effondrera de l'intérieur sous la pression d'une population désabusée.

Maguire a déclaré un jour que l'opération DB/ANABASIS avait pour but de "régler ses comptes" avec Saddam. Une telle approche, qui réduit la politique étrangère à une vendetta, domine toujours les cercles stratégiques américains. Au Pentagone et à la CIA, certains voient l'Iran à travers le prisme de la  crise des otages de 1979 et du soutien apporté par Téhéran à l'insurrection irakienne et aux talibans.

Les troupes américaines, en particulier l'armée d'occupation américaine - qui a subi le plus gros des attaques à l'IED en Irak - nourrissent une  profonde animosité envers le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) iranien. Une variante particulièrement meurtrière de l'IED, la charge creuse ( EFP), a été attribuée à la conception iranienne, les services du renseignement israéliens s'empressant de pointer du doigt l'Iran.

Cette animosité, combinée à la fibre pro-israélienne et à une vision manichéenne du monde, pousse de nombreux membres de l'administration Trump à se rallier à Netanyahu, comme Mike Waltz, fervent partisan de la confrontation avec l'Iran. Selon  Foreign Policy :

"Nous assistons à une lutte idéologique entre les partisans d'une politique étrangère 'réaliste' America First, en particulier à l'égard de l'Iran, et une faction néoconservatrice bien implantée qui milite pour un changement de régime dans un énième pays du Moyen-Orient".

Trump se plaint de l'" État profond", mais ne comprend pas sa véritable nature : un réseau qui ne cherche pas à le faire emprisonner, mais à contourner la présidence elle-même pour faire avancer des agendas de longue date. Pour l'État profond comme pour Israël, l'Iran constitue l'enjeu ultime depuis des décennies.

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