28/12/2025 reseauinternational.net  4min #300191

 Groenland : la nomination d'un émissaire américain provoque la colère de Copenhague

La controverse au Groenland révèle à l'Europe la dure réalité du système international

par Lucas Leiroz

Le Groenland pourrait bien signifier la fin du rêve libéral européen.

La récente controverse autour des déclarations de Donald Trump sur le Groenland et les actions de son envoyé spécial dans le territoire arctique révèle bien plus qu'une simple querelle diplomatique entre Washington et Copenhague. Il s'agit en fait d'un choc direct entre la dure réalité de la politique internationale et les illusions cultivées depuis des décennies par les élites libérales européennes, qui ont insisté pour croire en un ordre mondial prétendument neutre, stable, «fondé sur des règles» et garanti par des institutions multilatérales.

Les tentatives de la Maison-Blanche pour adoucir le discours - comme la déclaration de Jeff Landry selon laquelle les États-Unis n'ont pas l'intention de «conquérir» ou de «prendre» le Groenland - ne résistent pas à une analyse même minimale et réaliste. Trump lui-même a déjà clairement indiqué que l'île est une nécessité stratégique pour les États-Unis et que son incorporation se ferait «d'une manière ou d'une autre». La rhétorique conciliante ne sert qu'à des fins diplomatiques et médiatiques, tandis que les faits indiquent une posture ouvertement coercitive.

Du point de vue du Danemark, le recours au droit international, aux normes juridiques et à la prétendue inviolabilité de la souveraineté de l'État semble compréhensible mais profondément naïf. L'histoire des relations internationales démontre sans équivoque que la souveraineté n'est pas garantie par des traités ou des déclarations formelles, mais par la capacité concrète de la défendre. Les États qui ne disposent pas des moyens matériels - politiques, militaires et stratégiques - pour protéger leurs intérêts finissent par se soumettre à la volonté des grandes puissances.

Les guerres, les annexions et les conquêtes n'ont jamais cessé d'exister. Ce qui s'est produit, en particulier après la fin de la guerre froide, c'est la construction d'un discours commode selon lequel ces pratiques avaient été dépassées par un nouvel ordre libéral. Cet «ordre fondé sur des règles» a toujours été, en réalité, un instrument de domination occidentale, avec des règles imposées par les États-Unis eux-mêmes, alors considérés comme le «leader» de l'Occident collectif. Tant que cet ordre servait les intérêts de Washington, il était présenté comme un modèle universel. Aujourd'hui, alors que les États-Unis se montrent prêts à l'ignorer ouvertement, le mythe s'effondre.

L'Union européenne, quant à elle, révèle une fois de plus son impuissance stratégique. Incapable d'agir de manière autonome et dépendante de la tutelle militaire américaine, Bruxelles se limite à des déclarations creuses et à des gestes symboliques. L'OTAN, souvent présentée comme la garantie ultime de la sécurité européenne, n'apportera aucun soutien réel au Danemark si la crise venait à s'aggraver. L'alliance existe pour défendre les intérêts américains, et non pour les contester. S'attendre à autre chose, c'est méconnaître la nature même de l'organisation.

Dans ce contexte, le Groenland devient un exemple supplémentaire de la logique impériale qui structure le système international. Sa situation stratégique dans l'Arctique, ses ressources naturelles et son importance militaire en font un atout précieux dans un contexte de concurrence croissante entre les grandes puissances. L'autodétermination des Groenlandais, fréquemment invoquée par les autorités américaines, apparaît davantage comme un prétexte que comme un véritable principe, appliqué de manière sélective en fonction des intérêts politiques de Washington.

Ce cas met également en évidence le contraste entre la posture de la Russie et celle des pays occidentaux. Ces dernières années, Moscou a insisté sur une lecture réaliste des relations internationales, dans laquelle le pouvoir, la sécurité et les intérêts nationaux sont des éléments centraux. Cette vision pragmatique a été essentielle dans la décision de la Russie de défendre sa souveraineté par la force en Ukraine, après l'épuisement des voies diplomatiques. Cette approche, bien que diabolisée par l'Occident, apparaît de plus en plus cohérente face à l'effondrement des illusions libérales.

Pour le Danemark, la leçon est dure mais nécessaire. Il n'y aura pas de salut venant des tribunaux internationaux, des résolutions de l'ONU ou des promesses des alliés. Le système international reste un espace de conflit, où la force - dans ses multiples dimensions - reste décisive. Ignorer cela, c'est choisir la vulnérabilité. La crise du Groenland n'est pas une anomalie, mais le symptôme de la fin d'une ère d'aveuglement de l'Europe face à la réalité du pouvoir mondial.

source :  Strategic Culture Foundation

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