28/08/2020 francais.rt.com  13min #178548

La Corée du Nord, une forteresse isolée qui nourrit les fantasmes du monde médiatique

Du fait de méthodes décriées aussi bien dans le domaine nucléaire que concernant les droits de l'homme, Pyongyang fait face à une hostilité ouverte sur la scène internationale, qui semble également imprégner la couverture médiatique du pays.

Au-delà des discrètes ouvertures commerciales qu'elle a réussi à développer à travers son histoire - et qui font l'objet d'une enquête détaillée dans Le monde selon Kim Jong-un de Juliette Morillot et Dorian Malovic, paru en 2018 aux éditions Robert Laffont - la République populaire et démocratique de Corée (RPDC), avec ses 26 millions d'habitants, constitue une forteresse on ne peut plus isolée sur la scène internationale.

Dans un climat de tensions extrêmes lié à  la volonté nord-coréenne de poursuivre ses démarches dans le domaine de la défense nucléaire*, le pays fait l'objet d'une couverture médiatique manichéenne, avec d'un côté la façade dithyrambique d'une nation brillant de mille feux, telle que présentée par les autorités nord-coréennes aux journalistes étrangers  lors de voyages encadrés dans le pays ; de l'autre, une couverture médiatique étrangère extrêmement critique contre un régime politique auquel sont attribués tous les malheurs de la population, ou presque.

*Infographie interactive sur l'ambition nucléaire nord-coréenne :

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De fait, au-delà de la question nucléaire, l'ONU accuse de longue date la Corée du Nord de violations systématiques et généralisées des droits de l'homme, dénonçant des pratiques de torture, des meurtres extrajudiciaires ou encore l'existence de camps d'internement. Accusations que Pyongyang a toujours balayées, en les qualifiant de propagande étrangère.

En tout état de cause, les allégations visant la RPDC lui valent la reconduction régulière de sévères sanctions à son encontre qui, «à défaut d'avoir prouvé leur efficacité en termes de dissuasion, étranglent chaque jour un peu plus la population nord-coréenne», comme nous l'explique Juliette Morillot, journaliste et spécialiste de la péninsule coréenne, qui se rend régulièrement sur place depuis 1982 et a co-écrit plusieurs ouvrages sur les deux Corées, dont le livre susmentionné, ou encore La Corée du Nord en 100 questions, paru en 2016 aux éditions Tallandier.

Emballement autour d'une affaire douteuse de chiens

Force est de constater que la rhétorique accusatoire à l'encontre du système politique nord-coréen imprègne quasi-systématiquement le traitement médiatique de ce pays. Au risque, parfois, de prendre quelques libertés avec l'éthique journalistique. En témoigne, en tout cas, un exemple récent.

«Kim Jong-un ordonne aux Nord-Coréens de donner leurs chiens pour qu'ils soient mangés», a rapporté  Cnews, mot pour mot, le 17 août 2020, parmi une avalanche de titres racoleurs allant dans le même sens, le même jour.

Voilà de la titraille bien affirmative pour une info qui provient d'une source anonyme citée par un média déjà épinglé pour des #fakenews sur la Corée du nord...
PS : je n'ai pas + d'info sur cette affaire de chiens, je suis juste dubitatif sur la démarche journalistique

Problème : comme l'a souligné trois jours plus tard le journaliste Thomas Deszpot dans un article paru sur le site de  LCI, il s'agissait là d'«une "information" aux sources douteuses», repris par la presse anglo-saxonne et américaine (comme le Daily Mail ou le New York Post), sur laquelle se sont appuyés à leur tour les médias français. Les médias anglo-saxons ont relayé une source anonyme citée par un quotidien sud-coréen : le Chosun Ilbo, qui avait déjà été épinglé pour de fausses informations publiées au sujet de la RPDC.

«Par le passé, Chosun Ilbo a notamment affirmé qu'un émissaire du régime avait été exécuté à son retour d'un sommet diplomatique avec les Etats-Unis []... L'homme censé être mort avait fini par réapparaître publiquement quelques semaines plus tard... Une autre rumeur, en 2013, indiquait que Kim Jong-un avait fait exécuter une chanteuse populaire avec laquelle il avait eu une aventure quelques années auparavant. Une histoire semble-t-il également montée de toutes pièces puisque l'artiste s'était produite par la suite dans un rassemblement public», relève notamment LCI, reprenant pour partie des informations de la  Deutsche Welle, publiées en juin 2019.

Alors qu'un fossé coupe la RPDC du reste du monde, nous avons tenté de sonder celui qui sépare la propagande officielle nord-coréenne et la couverture médiatique étrangère de ce territoire de près de 121 000 kilomètres carrés.

Des médias étrangers peu scrupuleux dans leur couverture de la RPDC

Au sujet de la récente polémique sur les chiens de compagnie dont Kim Jong-un forcerait les propriétaires à se débarrasser «pour qu'ils soient mangés», la journaliste Juliette Morillot est catégorique : «Dans une telle situation, les autorités nord-coréennes auraient publié un communiqué informatif en ce sens auprès de la population, ce qui n'a pas été le cas.» En outre, peu répandue dans le pays, la possession de certaines races de chien de compagnie dans la capitale, constituerait «un élément de statut» social, explique la spécialiste coréanophone, jugeant peu probable que Kim Jong-un se mette ainsi à dos l'élite de Pyongyang.

«En Corée du Nord comme en Corée du Sud, on mange du chien même s'il est vrai qu'au sud, plusieurs marchés canins d'élevage ont récemment fermé, comme celui de Songnam», explique par ailleurs Juliette Morillot, qui évoque un aliment traditionnellement prisé en été. «Il s'agit évidemment de chiens d'élevage, pas d'animaux de compagnie ! Ici on appelle ça la viande sucrée, et c'est très populaire pour se prémunir contre la canicule», relate-t-elle encore.

© Kyrill Kotikov, journaliste RT France
Une rue de Pyongyang, en septembre 2018.

La coréanologue ne tarit pas de commentaires sur le journal sud-coréen à l'origine de la rumeur, le Chosun Ilbo, qu'elle considère de façon générale comme un quotidien autrefois respectable mais dont la ligne conservatrice, héritée d'anciens régimes sud-coréens intensément hostiles à la RPDC, se traduit parfois par un manque de rigueur dans les informations relayées.

Jusque dans les années 2010, personne ne parlait coréen. Il s'est dit toutes les conneries du monde sur la Corée du Nord par des gens qui n'y avaient jamais mis les pieds et qui étaient très influencés par les régimes conservateurs sud-coréens.

L'affaire des chiens constitue d'ailleurs d'un sujet qui, selon Juliette Morillot, permet de comprendre, en partie, l'approche médiatique occidentale et sud-coréenne à l'égard de la RPDC. «Jusque dans les années 2010, personne ne parlait coréen. Il s'est dit toutes les conneries du monde sur la Corée du Nord par des gens qui n'y avaient jamais mis les pieds et qui étaient très influencés par les régimes conservateurs sud-coréens», estime la journaliste selon qui «la diabolisation de Pyongyang» a toujours été conforme à certains agendas politiques, tant pour préserver le système très libéral économiquement de la Corée du Sud que pour justifier une présence militaire américaine dans la région, bien avant l'ère Trump.

«On ne pouvait voir la RPDC qu'à travers un prisme idéologique», considère la journaliste, qui affirme percevoir dorénavant un lent changement à ce sujet, notamment depuis  la rencontre historique entre Kim Jong-un et son homologue américain Donald Trump, au mois de juin 2018.

Nord-Coréens qui fuient, «esclaves modernes» : entre vérité et récits trompeurs

Cependant, Juliette Morillot attire notre attention sur l'existence d'autres acteurs clés à l'origine d'une couverture médiatique biaisée sur la RPDC : «Les évangéliques et les organisations humanitaires avec qui ils sont en lien, n'hésitent pas à utiliser des réfugiés nord-coréens pour leur cause. Et il n'est pas rare que ces derniers exagèrent leur propos en échange de rétribution», affirme-t-elle. Longtemps, des militants évangéliques se seraient ainsi installés entre la Chine et la RPDC, afin d'aider des Nord-Coréens à faire défection, avec des méthodes que critique vivement Juliette Morillot. «Ils leur faisaient apprendre la bible, ils les endoctrinaient et, surtout, ils en ont parfois renvoyé en Corée du Nord [où ils sont susceptibles d'être considérés comme des traîtres] pour qu'ils soient les martyrs de demain», affirme-t-elle après avoir personnellement eu écho de telles pratiques.

En tout état de cause, plusieurs citoyens américains ont déjà été arrêtés en Corée du Nord, accusés par Pyongyang d'actions hostiles contre le pays : «Pyongyang affirme que Kenneth Bae []... est un militant chrétien évangéli[que], envoyé en Chine de 2006 à 2012 pour mettre sur pied "des bases de complot" et encourager les Nord-Coréens à "perpétrer des actes hostiles pour abattre le gouvernement, tout en menant une campagne de diffamation"», peut-on par exemple lire dans un article du  Monde (avec AFP) de 2014. Condamné en 2013 à 15 ans d'internement, Kenneth Bae a finalement été relâché l'année suivante, et a plus tard fondé l'ONG «Nehemiah Global Initiative», soit «Initiative mondiale de Néhémie», du nom d'un personnage biblique.

Tout témoignage payé est un témoignage perverti

Loin de nier le fait que certains réfugiés aient pu bénéficier d'une aide salutaire dans certaines situations, Juliette Morillot s'inquiète en revanche de leur instrumentalisation par certains : «Vous savez qu'en Corée du Sud, un journaliste doit payer pour interviewer des réfugiés Nord-Coréens, la somme varie selon qu'on souhaite obtenir le témoignage d'une femme, d'un homme ou celui d'un enfant», s'indigne la journaliste française, qui affirme que des réfugiés sont ainsi encouragés à exagérer leurs propos : «Il y a toujours une part de vrai dans ces témoignages, mais tout témoignage payé est un témoignage perverti.»

Quant aux travailleurs Nord-Coréens en mission à l'étranger, décrits dans plusieurs documentaires réalisés à ce sujet comme des «esclaves des temps modernes», certains voyant par exemple leurs conditions de travail évoluer sans qu'ils aient leur mot à dire, Juliette Morillot refuse de généraliser le terme d'«esclavage» et souligne le contexte qui pousse nombre de citoyens de la péninsule à briguer ces postes d'«expatriés». Elle pointe par ailleurs le fait que les pays employant des travailleurs nord-coréens ont été encouragés à  les renvoyer dans leur pays pour respecter les sanctions de l'ONU.

Chacun, quel que soit sa position dans la société, s'efforce de contribuer à ce qui est considéré comme un effort de guerre

«Il y a des listes d'attente monstrueuses pour les missions à l'étranger, on paye des bakchichs pour être envoyé. Celui ou celle qui accède à un tel poste n'est pas payé à proprement parler mais obtient du régime que sa famille restée au pays soit privilégiée []... Le peu d'argent qu'ils parviennent à amasser leur permet de s'établir à leur retour», affirme-t-elle, convenant du fait que l'«intérêt de telles missions est peu lisible à nos yeux d'occidentaux».

L'observation rappelle un passage du Monde selon Kim Jong-un, qu'elle a co-écrit avec Dorian Malovic (journaliste à La Croix), dans lequel les auteurs insistent : «Rentrer dans la logique nord-coréenne permet de percevoir comment fonctionne le pays : []... chacun, quel que soit sa position dans la société, s'efforce de contribuer à ce qui est considéré comme un effort de guerre.»

© Kyrill Kotikov, journaliste RT France
Les portraits de Kim Il-sung et Kim Jong-il, affichés sur un mur d'une école de Pyongyang, septembre 2018.

Comme nous le répète aujourd'hui Juliette Morillot, il est difficile de le concevoir dans nos systèmes politiques occidentaux, mais les Nord-Coréens auraient un attachement profond à la dynastie des Kim, «ils expriment un amour sincère pour leurs dirigeants». Et la journaliste de rappeler certaines spécificités culturelles de la péninsule, deux Corées confondues, où prédomine par exemple «un amour pour tout ce qui est militaire». «Le "nous" est plus important que le "je", ça vient de l'héritage confucianiste, additionné à la dimension communiste au Nord», relate-t-elle encore, évoquant également «le sentiment de fierté» des Nord-Coréens, d'être «une exception culturelle».

Quid du système d'information destiné aux Nord-Coréens ?

Après avoir évoqué avec elle le manichéisme médiatique dont fait l'objet la RPDC, il nous a paru intéressant d'interroger Juliette Morillot sur l'information fournie aux Nord-Coréens. Catégorique, elle nous affirme que la dynastie des Kim s'avère - sans surprise - particulièrement regardante quant à l'information qui circule sur son propre territoire.

Il y a plusieurs chaines télévisées ainsi que des journaux officiels du Parti, tout est strictement contrôlé par l'Etat

«Il y a plusieurs chaines télévisées ainsi que des journaux officiels du Parti, tout est strictement contrôlé par l'Etat», décrit la journaliste coréanophone, qui nous explique qu'en termes d'actualités étrangères par exemple, l'information est filtrée de façon à montrer aux Nord-Coréens certaines problématiques propres au «camp ennemi». Ainsi, si la presse étrangère adopte régulièrement une démarche engagée dans sa couverture de la RPDC, les médias d'Etat nord-coréens ne se privent pas de traiter, à l'adresse de leur population, le mouvement de contestation Black Lives Matter qui secoue la société américaine. Les Gilets jaunes français n'auraient en revanche pas bénéficié du même privilège, selon notre interlocutrice.

Par ailleurs, au-delà des théâtrales interventions de  la célèbre présentatrice vedette nationale Ri Chun-hee, aujourd'hui âgée de 77 ans, un renouvellement dans les rangs des personnes chargées de commenter l'actualité pour les Nord-Coréens semble s'opérer, selon Juliette Morillot. Elle nous rapporte en outre un événement récent, inédit pour le pays : il y a eu, pour la première fois en Corée du Nord, une retransmission en direct, à l'occasion de la couverture médiatique du  typhon Bavi.

© KIM Won-Jin Source: AFP
Des Nord-Coréens regardent sur un écran géant la télévision publique, avec ici la célèbre présentatrice Ri Chun-hee, en avril 2018, à Pyongyang.

«On parle beaucoup des chiffres du Covid-19», relate-t-elle encore, rappelant la décision prise par les autorités nord-coréennes de fermer les frontières avec la Chine, face à une pandémie dont la pénétration sur le territoire pourrait durement éprouver le système de santé du pays. Pyongyang, comme l'a récemment confirmé l'OMS, aurait procédé à quelque 2 767 tests de dépistage, et «tous les individus ont été testés négatifs», ainsi que le rapporte ce 27 août le média en ligne  NK News.

Pour contourner le système d'information étatique, de nombreux Nord-Coréens utiliseraient le réseau téléphonique ou Internet chinois, interdit mais disponible dans le nord du pays. «Ils ont des infos via leur portable et il y a de nombreux aller-retours en Mandchourie, où l'on parle coréen. L'accès à l'information se fait également à travers des clés USB et des cartes SD qui circulent entre les citoyens», explique Juliette Morillot, avant de préciser que la situation est plus complexe dans le sud du pays, où le réseau chinois n'est pas disponible.

La Corée du Nord, éternel mouton noir ?

Depuis l'époque de Kim Il-sung, fondateur et premier président de la Corée du Nord qu'il dirigea jusqu'à sa mort en 1994, proclamé quatre ans plus tard «Président éternel de la République», Pyongyang exerce un contrôle considérable sur la vie quotidienne des Nord-Coréens.

Guidée par une volonté indélébile d'accéder à une totale indépendance pour le pays, conformément à l'idéologie du «Juche» (que nous décrivons dans l'infographie présente en début d'article), la dynastie communiste des Kim a toujours fait face à une intense hostilité sur la scène internationale. Ce climat imprègne quasi-systématiquement la couverture médiatique étrangère du pays, dont il est difficile d'obtenir une approche journalistique mesurée, particulièrement dans le traitement de l'information à chaud.

Le système politique nord-coréen, qui recourt à des méthodes largement décriées par la communauté internationale, avance pour sa part en faisant fi des critiques qui fusent à son encontre. Insolence d'un système encore très mal connu ?

Fabien Rives

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