
par le Dr. Eloi Bandia Keita
Commencer une guerre est aisé, la conclure lʼest beaucoup moins.
Lecture serrée dʼun «plan de paix» en 25 points
On peut sourire du style, moquer la posture, mais il faut reconnaître à Trump une vraie dextérité dans lʼingénierie du rapport de force : lʼart de transformer une sortie de crise en mécanisme de conservation dʼavantages. Son catalogue en 25 items ressemble à ces contrats où la «paix» reconduit, en langage juridique, la logique de la guerre. Imaginez la scène : dans la jungle des puissances, un «roi» lion sʼest retrouvé encorné par le buffle quʼil voulait dévorer. Suspendu aux cornes, il rédige à la hâte un protocole pour redescendre sans perdre sa crinière. Voilà le décor. Entrons dans la partition, point par point - non plus en aphorismes, mais en développant ce que chaque clause installe comme architecture de long terme.
01 - Le Maïdan comme matrice
Repartir du «printemps» ukrainien, cʼest reconfigurer lʼamont de la souveraineté. On érige un récit inaugural où la rupture dʼéquilibres internes devient prétexte à redéfinir lʼordre externe. Autrement dit : si la souveraineté a été «mise en cause» en 2014, la paix dʼaujourdʼhui ne peut que la «restaurer»... mais selon les conditionnalités de ceux qui se posent en garants. La cause devient serrure ; le gardien tient la clé.
02 - Lʼeffet de manche sans contenu opératoire
On connaît ces paragraphes ronds, politiquement séduisants, juridiquement diffus. Ils posent des principes, multiplient les adverbes («pleinement», «durablement»), diluent la contrainte. Cʼest la rhétorique du «consensus» : on écrit beaucoup pour que chacun y lise ce quʼil veut, puis on plaide le texte contre lʼadversaire.
03 - Lʼéconomie de la promesse
Dans la diplomatie de sortie de conflit, la promesse est une monnaie à faible coût immédiat et à haut rendement symbolique. On promet des garanties de sécurité, de reconstruction, dʼaccès aux marchés. La pratique montre pourtant que ces promesses sont indexées au cycle électoral et à lʼopinion domestique ; elles se déprécient dès que le vent tourne. On capitalise sur lʼinstant, en pariant sur lʼamnésie des lendemains.
04 - Juge et partie
Installer lʼarbitre dans le camp dʼun protagoniste, cʼest programmer des contentieux sans fin. Les mécanismes dʼarbitrage «indépendants» hébergés, financés ou pilotés par une partie au litige fabriquent de lʼéquité de façade. On légalise la partialité par la procédure : la forme blanchit le fond.
05 - Les «garanties» sur lʼénergie, lʼexport, la stabilité
Ces clauses empilent des objectifs incompatibles : sécurité énergétique, relance macro, stabilité sociale, tout à la fois et tout de suite. Or, la reconstruction et lʼouverture commerciale exigent des horizons, pas des injonctions. Ici, la «garantie» sert dʼécran à un pilotage extérieur des flux : qui contrôle lʼénergie et les corridors contrôle le tempo politique.
06 - Le militaire en négatif
Dire «pas dʼoption militaire» tout en détaillant des schémas de déploiement, de formation, dʼexercices conjoints, cʼest pratiquer la dénégation performative. On fabrique un environnement de force en jurant que la force nʼest plus lʼoutil. Le lexique pacificateur masque un continuum de pression.
07 - Le «si nous avions su»
Cette antienne installe deux effets : la moralisation du récit (nous, responsables et raisonnables, face à lʼirrationalité adverse) et la déshistoricisation (lʼours sʼest «réveillé», donc corrigeons «lʼerreur»). Elle sert à sanctuariser des lignes rouges nouvelles sous prétexte dʼéviter la répétition du passé - et justifie, au passage, une présence consolidée.
08 - Lʼencerclement qualitatif
Même si lʼon concède que lʼadhésion formelle de lʼUkraine à lʼOTAN est tactiquement repoussée, lʼarchitecture de projection en Pologne, Roumanie, Baltique se densifie. La «non-adhésion» de lʼun devient la sur-adhésion des autres. On substitue lʼextension par capillarité à lʼélargissement par acte unique.
09 - La désescalade à géométrie variable
Réduire un front en Europe tout en durcissant ailleurs est une constante impériale. La paix localisée alimente la pression périphérique. Dans les Amériques ou en Indo-Pacifique, on externalise le coût stratégique de la détente européenne. La soupe refroidit ici, elle bout là-bas.
10 - Les clauses cosmétiques
On place des engagements moraux, de la transparence, des «revues trimestrielles». Ce sont des sparadraps pour lʼopinion. Ils offrent des communiqués, pas des garde-fous. Leur utilité : fabriquer de lʼimage pendant que la machine réelle se met en place.
11 - LʼEurope «consolidée» en pare-chocs
Le renforcement européen est moins une autonomisation quʼune fonctionnalisation : lʼUE devient plate-forme logistique, financière et normative dʼun dispositif dont le centre de décision demeure transatlantique. Lʼalliance est le mot ; lʼattelage, la réalité.
12 - Lʼanti-corruption comme conduit financier
Rien de plus efficace que la probité proclamée pour organiser la circulation de flux. Les agences, fonds fiduciaires, «task forces» anti-blanchiment peuvent servir de robinets sélectifs. On contrôle le tuyau et le compteur ; lʼeau va où il faut, quand il faut.
13 - «Réintégrer lʼéconomie mondiale»
Formule-poème qui feint dʼignorer le basculement multipolaire. Lʼéconomie mondiale ne se confond plus avec son segment euro-atlantique. Réintégrer peut signifier se ré-aligner sur un sous-ensemble, au prix dʼun désalignement dʼopportunités ailleurs.
14 - La spoliation juridicisée
Saisies, affectations dʼintérêts sur avoirs gelés : le cambrioleur met une robe de magistrat. On appelle «réparation» la captation des ressources adverses pour financer lʼeffort du camp ami. Lʼeffet réel : la doctrine dʼextraterritorialité sʼancre, le précédent devient norme.
15 - Recréer les mécanismes dʼobservation
On détruit hier ce quʼon reconstitue aujourdʼhui, mais sous pilotage plus serré. Les commissions mixtes, inspections, vérifications deviennent des outils dʼaccès à lʼinformation sensible. Le contrôle est recodé en coopération.
16 - La non-agression... asymétrique
On exige de Moscou ce quʼon ne sʼimpose pas à soi-même : lʼimmobilité doctrinale face à la mobilité capacitaire dʼen face. Ce «unilatéralisme de la retenue» a une vertu : si lʼautre bouge, il est hors la loi ; si vous bougez, vous «adaptez la posture».
17 - La résurrection opportuniste des traités
Détricoter un régime de maîtrise des armements puis, quand la situation se durcit, redemander sa mise en place, cʼest une manière dʼacheter le temps stratégique. On gèle les progrès adverses tout en consolidant les siens, sous bannière «retour au bon sens».
18 - Lʼépouvantail nucléaire
Agiter le spectre dʼun Ukraine atomisé réécrit lʼintention stratégique de Moscou et moralise lʼagenda occidental. Cʼest de la politique domestique emballée en doctrine. On parle moins des raisons structurelles du conflit que de lʼhorreur potentielle évitée par nos soins.
19 - La «liberté dʼalignement» subventionnée
Accorder à Kiev le «choix souverain» de ses partenariats, mais sous perfusion financière et militaire, revient à rendre la liberté conditionnelle. Vous choisissez, mais avec la carte bancaire dʼautrui - et un plafond fixé par lui.
20 - Rebaptiser les causes
On renomme, on «re-narre» : discriminations linguistiques, paramilitarisme, ingérences passées sortent du cadre. À la place, un lexique apaisant («réconciliation», «pluralisme») qui dépolitise le conflit. On peint le mur sans traiter les fissures.
21 - Cartes maritimes et couloirs terrestres
Ce qui paraît un compromis aujourdʼhui (accès, ports, enclaves) devient demain une fabrique à litiges. Les géographies litigieuses sont des mines à retardement. On croit fixer la carte, on prépare des contentieux.
22 - La ruse procédurale
Quand la force brute nʼest pas disponible, on neutralise par le droit, la norme, le délai. Cʼest la «victoire au greffe». Les commissions, comités, délais de mise en conformité occupent le terrain, grignotent la capacité dʼinitiative adverse.
23 - Lʼaccès garanti aux ressources
Sous couvert dʼintégration économique, on grave des droits de passage, de prise, de transit. Le voisin vient se servir «légalement». On ferme la porte politique, on laisse la fenêtre économique grand ouverte.
24 - Humanitaire à géométrie variable
On érige la protection des civils en boussole, mais à latitude sélective. Là où lʼallié frappe, on nuance ; là où lʼadversaire frappe, on fulmine. La norme devient instrument, non repère. La paix, rhétorique ; la guerre, pratique.
25 - Le final démocratique
Il faut un scrutin pour sceller le récit. On fabrique une respectabilité procédurale qui rend la configuration future «respectable». Lʼhomme (ou la femme) qui sort des urnes hérite dʼun encadrement qui le dépasse : les clauses veillent.
26-27-28 - Toute analyse ou commentaire gâchera la sauce et donc le plaisir...
Conclusion :
Ce que racontent vraiment ces 25 points Trois messages, au fond.
Dʼabord, la codification de la défaite. La «paix» organise la continuité structurelle des avantages du camp fort : finance, corridors, normes, présence capacitaire. On gèle la situation en encadrant juridiquement la marge de manœuvre de lʼautre.
Ensuite, la fonctionnalisation de lʼEurope. LʼUE est décrite comme pilote de sa sécurité ; en réalité, elle se trouve configurée en espace de mobilité militaire, dʼachats coordonnés et de financement. Autonomie proclamée, dépendance opératoire.
Enfin, la projection systémique. Ce qui se «règle» ici déplace la pression làbas : Baltique, Arctique, Sahel, Indo-Pacifique. La paix régionale nourrit lʼactivation globale.
Et maintenant ?
Plaise au ciel que tout cela soit faux, ou que lʼissue désamorce les lectures les plus sombres. Mais si ces 25 points devaient devenir architecture, il ne sʼagirait pas dʼun cessez-le-feu ; plutôt dʼune paix de procédure, avec grenades dégoupillées dans les notes de bas de page.
La morale de lʼhistoire tient en deux lignes :
• Il est toujours plus facile dʼallumer lʼincendie que de tracer les coupe-feu.
• Quand un «plan de paix» ressemble à un mode dʼemploi pour verrouiller lʼadversaire, on nʼéteint pas la braise ; on la couvre dʼun tissu légalement ignifugé en attendant quʼelle reprenne à lʼair libre.
Puisse-je me tromper de bout en bout : ce serait la meilleure nouvelle. À défaut, restons lucides sur la nature véritable de ce qui se signe quand on dit «paix».
Analyse géopolitique approfondie - et un brin ironique