21/09/2023 reseauinternational.net  4min #234160

La trahison des clercs

par Nassimo

Aujourd'hui, un post sur ma page Facebook m'a fait pratiquement sortir de mes gongs. Il s'agit de ces médecins, certainement spécialistes pour la plupart, venant des pays du Maghreb et faisant la queue, dans une cohue indescriptible, devant le Centre Jean Moulin, sis à Rungis, dans la banlieue parisienne, dans le quartier des affaires (selon certains commentateurs) pour un hypothétique poste de médecin (ou d'infirmier selon les mauvaises langues) dans un désert médical français. En effet, dans les grandes villes de France, il est tout à fait normal que les postes de médecins reviennent de droit aux Français de souche. Ceux, parmi ces gens-là, qui auront la chance d'être sélectionnés (sous quels critères ?) seront certainement dispatchés dans des centres médicaux situés dans des villages du Puy-de-Dôme ou des Vosges où ils auront à faire beaucoup plus de la gériatrie.

Ma première réaction sur ce réseau social (Facebook) a été d'abord celle-ci : «Je suis médecin retraité et cela me fait mal au cœur de voir tout ce beau monde, tous ces médecins (spécialistes) formés en Algérie et dans les autres pays du Maghreb faisant la queue pour pouvoir décrocher un poste d'infirmier ou d'infirmière dans un désert médical français».

Il y a eu beaucoup de réactions à mon premier commentaire.

Les unes allant dans le même sens que ce que je venais de dire et les autres apportant plus ou moins des précisions quant à la motivation essentielle de ces médecins. Il s'agirait apparemment d'une opération d'avoir l'équivalence de leurs diplômes d'origines. Mais pour faire quoi ? Pour travailler en France, pardi ! Ainsi, la France est-elle en tain de siphonner notre sève, notre matière grise, sans que nos pouvoirs publics ne réagissent et mettent fin à cette gabegie.

Un autre commentateur m'a dit, je le reprends texto : «ils n'ont pas le choix, quand ils ont su que Belmadi touche par mois le salaire de 1000 médecins dans un hôpital sans vraiment rien faire». Je rappelle que Belmadi est l'entraineur de l'équipe nationale de football.

À la lecture de cette réponse, mon sang n'a fait qu'un tour dans mes veines et, répétant du tac au tac, j'ai dit : «La médecine est plus que de l'argent. C'est un métier noble. Le médecin doit être au service de son prochain, l'argent ne venant qu'en deuxième position. C'est pour cela d'ailleurs qu'on parle des «honoraires» du médecin et non de «salaire». M'enfin, c'est ma façon de voir les choses, c'est ma philosophie, moi qui ai trimé pendant des années dans le secteur public avant de me diriger vers la profession libérale puis la retraite carrément. Aujourd'hui, je me contente d'une petite retraite mais j'ai la conscience tranquille ; j'ai rempli mon contrat, j'ai assumé mon devoir envers nos concitoyens. Je n'ai, à aucun moment, trahi le serment d'Hippocrate».

Ceci dit, cela me rappelle «La trahison des clercs» de Julien Banda, parce que, tout compte fait, cela ressemble à de la trahison de ces médecins envers le pays qui les a formés.

J'ai deux enfants médecins : une néphrologue et un futur orthopédiste. Ils ont aussi, peut-être, ces idées d'aller exercer leur noble métier sous d'autres cieux sous le prétexte qu'en Algérie les médecins sont mal considérés, mal rémunérés et se sentent mal dans leur peau. C'est, dans une certaine mesure, vrai puisque moi-même j'ai vécu le calvaire, j'ai souffert, j'ai sacrifié ma jeunesse dans une ville de l'intérieur de l'Algérie que je ne connaissais même pas avant d'y être affecté. Mais, petit à petit, je me suis adapté, acclimaté à cet environnement et, aujourd'hui, je n'ai rien à regretter. Riche de cette expérience, je n'encouragerais pas mes enfants à partir ailleurs, l'eldorado et le bonheur pouvant être là où on ne pense pas. Peut-être à Touggourt ou à Illizi...

Cet article a été publié d'abord sur le site Agoravox. Il a fait l'objet d'une bonne appréciation et a généré de nombreux commentaires. J'en retiens particulièrement celui d'un certain Apostilleur qui, entre les lignes, me fait le reproche d'avoir mis en cause la France dans le détournement de ces médecins. En fait, ce n'était pas du tout mon intention. Mon reproche s'adressait plutôt beaucoup plus aux autorités algériennes qui laissent faire ou plutôt qui ne font rien du tout pour retenir ces jeunes médecins fraîchement diplômés.

De mon temps, les médecins affectés dans les régions des hauts-plateaux ou du Sud du pays, par exemple, bénéficiaient de logements : logements cessibles au bout de quelques années d'activité dans les structures sanitaires de ces régions, devrais-je préciser. Il est vrai que les conditions matérielles dans ces dites structures sanitaires laissaient à désirer mais on faisait avec les moyens du bord et on arrivait, malgré tout, à sauver des vies humaines. Quand on aime sa profession, noble par définition, le fait de rendre service, de tout faire, de faire ce qui est humainement possible, pour sauver quelqu'un d'une péritonite appendiculaire - pour rester dans mon domaine de chirurgien - est un pur bonheur. Moralement, le médecin ou le chirurgien est satisfait. Et cette satisfaction vaut plus que tout l'or du monde. Mais, la question que je me pose, aujourd'hui, en tant que retraité, est-ce qu'il existe encore des médecins qui raisonnent comme notre vieille génération. Ou alors, le raisonnement de nous autres, vieille école, est-il périmé ?

 reseauinternational.net