Par Omer Bartov, le 8 octobre 2025
L'offensive de Netanyahu contre Gaza est un génocide, mais les Israéliens refusent de le reconnaître. Ce phénomène s'inscrit dans une perspective historique, et trouve son origine dans la création d'Israël.
En juin 2024, je me suis rendu en Israël pour la première fois depuis l'attaque du Hamas du 7 octobre et l'assaut des Forces de défense israéliennes (FDI) sur Gaza qui a suivi. Depuis, je suis à la fois consterné et intrigué par la capacité extraordinaire de tant d'Israéliens à justifier, nier, ignorer ou éviter délibérément de parler et de réfléchir à l'extermination systématique en cours de la bande de Gaza et des Palestiniens qui y vivent.
Cette réaction n'est pas unique. Et elle n'est certainement pas surprenante pour une population qui se perçoit comme victime alors même qu'elle est collectivement complice d'une entreprise génocidaire menée en son nom (et par des soldats qui sont les fils et les filles, les petits-enfants, les conjoints et les parents d'une grande partie de ses citoyens). Mais comme j'ai grandi en Israël, servi dans l'armée israélienne et que j'ai de la famille et des amis dans ce pays, mon sentiment de choc et de consternation est douloureusement intime.
Ayant passé la majeure partie de ma carrière à étudier le déni collectif, je suis en mesure de voir comment ces réactions israéliennes s'inscrivent dans un schéma historique. Au cours des années 1980, mes recherches ont confronté le dernier grand déni de l'Allemagne d'après-guerre : le mythe de la pureté de la Wehrmacht, ou armée nazie. Quarante ans après la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ont progressivement "accepté" leur responsabilité dans l'Holocauste, après s'être initialement considérés comme les principales victimes d'Hitler. Mais ils adhéraient toujours à l'argument selon lequel, contrairement à la Gestapo et aux SS, les soldats allemands réguliers auraient mené une guerre décente, sinon nécessaire et justifiable, contre l'Armée rouge sur le front oriental, afin de protéger l'Europe d'un "déluge bolchevico-asiatique". Vu sous cet angle, l'armée allemande n'avait pas grand-chose à voir avec les crimes terribles qui ont été perpétrés dans le dos des soldats.
Il a encore fallu une décennie pour que les Allemands reconnaissent que leurs propres pères et grands-pères ont en fait été complices d'une guerre criminelle au cours de laquelle quelque 26 millions de citoyens soviétiques ont été tués, pour la plupart des civils, dont un grand nombre de Juifs.
Au début des années 1990, je me suis intéressé de plus en plus à l'Holocauste. Le tout premier article que j'ai publié était une critique de plusieurs livres majeur sortis à l'époque. L'un d'entre eux était Assassins of Memory: Essays on the Denial of the Holocaust [Les assassins de la mémoire : essais sur la négation de l'Holocauste] du brillant historien juif français Pierre Vidal-Naquet, publié à l'origine en 1987. Le livre disséquait le phénomène très répandu du "révisionnisme", connu en France sous le nom de "négationnisme", dont le but était de nier ou minimiser l'Holocauste. Il ne s'agissait pas d'une simple tendance de droite ou néonazie. En effet, dans les années 1970 et 1980, il s'agissait d'un courant intellectuel et universitaire, incarnée par le spécialiste en littérature Robert Faurisson, qui appliquait sa technique d'analyse textuelle pour nier l'existence des chambres à gaz.
La France a ensuite adopté en 1990 la loi Gayssot, qui érige en délit la négation des crimes contre l'humanité commis par les nazis. Pourtant, les cas de "négationnisme" ont persisté dans le milieu universitaire français. Comme l'a souligné l'historien Henry Rousso en 2006, la France était le seul pays où la négation de l'Holocauste est devenue un sujet d'intérêt public et a donné lieu à de nombreux débats, mesures politiques et actions judiciaires. Elle a trouvé un soutien à l'extrême droite et dans les franges de l'extrême gauche, où l'antisémitisme a également connu une renaissance. Que les arguments négationnistes aient été propagés dans certaines universités françaises leur a conféré une certaine légitimité scientifique, en partie parce que les "révisionnistes" remettent en question le statut de la vérité dans l'histoire et soulèvent la possibilité que diverses interprétations du passé, y compris de l'Holocauste, puissent être tout aussi vraies les unes que les autres.
Vidal-Naquet a souligné que ces révisionnistes avaient des principes communs. Ils croyaient qu'"il n'y avait pas eu de génocide et que ce qui le symbolisait, la chambre à gaz, n'avait jamais existé". Que la "solution finale" n'était rien d'autre que "l'expulsion des Juifs vers l'Europe de l'Est" qui, comme l'affirmait Faurisson à propos des Juifs français, n'a jamais été rien d'autre que leur rapatriement, puisque "la plupart des Juifs de France venaient de l'Est". Que le nombre de victimes juives était bien inférieur à ce qui avait été affirmé - pas plus de 200 000 selon Faurisson, et certainement pas plus d'un million selon d'autres révisionnistes.
À cela s'ajoutaient des affirmations selon lesquelles, si l'Allemagne portait une part de responsabilité dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, celle-ci était partagée par les Juifs. De plus, le principal ennemi de l'humanité à l'époque était l'Union soviétique et non le nazisme, et le "canular" de l'Holocauste serait une invention des Alliés, élaborée par les Juifs, et en particulier par les sionistes.
La logique de ces manifestations de déni, note Vidal-Naquet, s'apparente à la blague freudienne sur une bouilloire en cuivre empruntée.
"Lorsqu'il récupère sa bouilloire, B se plaint qu'elle a un gros trou, la rendant inutilisable. Voici la défense de A : 1. Je n'ai jamais emprunté la bouilloire à B. 2. La bouilloire avait un trou lorsque je l'ai empruntée à B. 3. J'ai rendu la bouilloire en parfait état".Vidal-Naquet suggère que la blague "peut être étendue au-delà de Freud. Pourquoi A ne dirait-il pas : c'est moi qui ai prêté la bouilloire à B, et elle était en parfait état". En effet, écrit-il, "il existe toute une littérature prouvant que les véritables meurtriers des Juifs et, surtout, des Allemands, étaient des Juifs : des kapos juifs, des partisans juifs, etc. Le meurtre collectif, qui n'a jamais eu lieu, était donc pleinement justifiable et justifié".
Ce déni a incité le cinéaste français Claude Lanzmann à documenter l'Holocauste à travers les témoignages de ceux qui l'ont vécu dans son film obsédant de 1985, Shoah. Pour Vidal-Naquet, le film de Lanzmann constitue
"une grande œuvre d'histoire", capable de "restituer un passé bien réel".
À l'inverse, l'objectif du révisionnisme de l'Holocauste n'est pas de réviser notre compréhension du passé, mais de le nier complètement.
Si le négationnisme de l'Holocauste reste un phénomène relativement marginal, plusieurs États et organisations responsables de génocides se sont livrés à un déni assourdissant. La Turquie, par exemple, nie encore officiellement le génocide bien documenté des Arméniens par ses prédécesseurs ottomans pendant la Première Guerre mondiale. Ironiquement, c'est précisément ce génocide qui a incité l'avocat juif polonais Raphael Lemkin, qui a finalement inventé le néologisme, "génocide", en 1944, à rechercher une nouvelle définition juridique de la détruction de tout un groupe. Lemkin a mené ce travail dans les années qui ont précédé l'invasion nazie de la Pologne, qui a détruit sa propre famille.
Ce qui est tout aussi révélateur dans le livre de Vidal-Naquet, cependant, c'est sa compréhension, dès les années 1980, des moyens subtils grâce auxquels révisionnisme et déni peuvent fonctionner. Ceux-ci sont bien plus complexes que les tromperies logiques, les théories littéraires tortueuses et la falsification ou la mauvaise interprétation de documents pratiquées par des révisionnistes et des négationnistes tristement célèbres tels que Faurisson et l'historien britannique David Irving.
Comme Vidal-Naquet l'a expliqué avec lucidité, l'Holocauste a fini par jouer un rôle important dans les attaques et la défense de l'État d'Israël.
"Dans le cas du génocide des Juifs", écrit Vidal-Naquet, "il est clair qu'une idéologie juive, le sionisme, exploite le grand massacre d'une manière parfois scandaleuse".
Identifiant un phénomène qui n'a fait que s'amplifier depuis qu'il a écrit ces mots, l'historien, décédé en 2006, reconnaît qu'en Israël,
"le génocide des Juifs cesse brusquement d'être une réalité historique, vécue de manière existentielle, pour devenir un outil courant de légitimation politique, utilisé pour obtenir un soutien politique au sein du pays et pour faire pression sur la diaspora afin qu'elle suive sans condition les orientations de la politique israélienne".
Plus important encore, et tout aussi controversé aujourd'hui qu'il y a quarante ans, il observe que l'un des effets secondaires de cette situation a été
"une confusion constante et habilement entretenue entre la haine nazie et la haine arabe".
Touchant le nerf sensible au cœur de l'exploitation israélienne de l'Holocauste, Vidal-Naquet affirme enfin qu'en Israël,
"la Shoah sert de justification perpétuelle dans tous les domaines, en légitimant le moindre incident frontalier comme marquant une reprise du massacre, en assimilant les Palestiniens (envers lesquels les Israéliens sont tout de même coupables d'erreurs indéniables) aux SS". Et ce, bien que même à l'époque, sans parler d'aujourd'hui, "la grande majorité des habitants d'Israël n'a pas connu directement la persécution nazie".
De manière tout aussi perverse, souligne-t-il, de nombreux Juifs de la diaspora comprennent Israël de la même manière.

Ces observations perspicaces nous préparent mieux au moment présent. Aujourd'hui, les Israéliens sont nombreux à nier le génocide perpétré par leur pays à Gaza. On reconnaît clairement ici des éléments de la logique du négationnisme français, ainsi que l'argumentation tordue des universitaires allemands du milieu des années 1980, tels qu'Ernst Nolte, qui affirmait que le génocide nazi des Juifs trouvait son origine dans les crimes des bolcheviks.
Parallèlement, le déni israélien doit beaucoup à une autre logique identifiée par Vidal-Naquet, ainsi que par des observateurs israéliens peu communs tels que le regretté historien Yehuda Elkana : en tant que nation née des cendres de l'Holocauste, Israël a le droit - sinon le devoir, et en tout cas la licence - de traiter toutes les menaces qui pèsent sur lui comme des menaces existentielles, semblables à celles des nazis. Et de faire tout son possible pour les éradiquer.
Ce déni doublé d'auto-justification n'a pas débuté le 7 octobre, même si le massacre perpétré par le Hamas a déclenché une combinaison particulièrement meurtrière de peur, de dégoût, de haine et de violence. Il remonte au déni fondamental sur lequel repose l'État, à sa naissance même par le feu et l'épée. Le grand déni de ma génération, celle née dans la première décennie après la création d'Israël en 1948, concerne le mécanisme qui nous a permis de grandir dans un État à majorité juive, sur une terre qui, peu avant notre naissance, comptait deux fois plus de Palestiniens que de Juifs.
Confronté à mes origines européennes à l'âge de quarante ans, c'est en prenant conscience de l'effacement de la vie juive en Europe de l'Est que j'ai pris conscience et déploré l'effacement de la vie palestinienne dans ce qui est devenu l'État d'Israël. En d'autres termes, ma propre biographie, comme celle de tant de mes pairs, est profondément enracinée dans le déni. Pour cette première génération de Juifs nés en Israël, la Nakba - terme arabe signifiant "catastrophe" et désignant l'expulsion de 750 000 Palestiniens de ce qui est devenu l'État d'Israël pendant sa guerre d'indépendance autoproclamée - n'a jamais eu lieu. Et si elle a eu lieu, c'était de manière volontaire. Les Palestiniens ne sont partis, nous disait-on, que parce que les dirigeants des États arabes voisins leur avaient promis qu'ils reviendraient bientôt en vainqueurs derrière les armées arabes victorieuses, qui jetteraient les Juifs à la mer.
De plus, l'expulsion, censée être complète, n'a jamais eu lieu. Le nouvel État s'est retrouvé avec une minorité arabe gênante, qui était étrangère au nouvel État juif et rappelait que la Palestine était sa patrie bien avant l'arrivée des sionistes modernes.
C'est ainsi que la Nakba, niée par Israël et commémorée comme une catastrophe historique par les Palestiniens, a refait surface en 2023. Au lendemain de l'attaque du Hamas, de nombreux Israéliens ont appelé à une deuxième Nakba, une "Nakba de Gaza", qui achèverait enfin cet événement maintes fois nié et effacé, survenu sept décennies plus tôt. C'est précisément la Nakba que tous les Palestiniens sous domination israélienne ont toujours redoutée. C'est l'aboutissement de la Nakba qu'ils ont vécue à plusieurs reprises depuis sa première occurrence en 1948, comme un événement de dépossession transformateur. Pourtant, alors même que la Nakba de Gaza se produit, elle est également niée, sous couvert d'autodéfense, de boucliers humains, de dommages collatéraux et sous prétexte de ne pas avoir le choix, tout comme lors de sa première occurrence en 1948.
Car le déni n'est pas seulement, comme l'a noté Vidal-Naquet, quelque chose qui se produit après coup. Il fait partie intégrante de l'événement lui-même. Même dans le cas des nazis, à quelques exceptions notables près, comme la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, où les responsables nazis ont défini les grandes lignes de la "solution finale de la question juive", et le discours prononcé par Himmler en octobre 1943 devant les officiers SS à Posen, où il a qualifié le massacre de "page glorieuse de l'histoire", les auteurs de ces crimes n'aiment généralement pas s'identifier comme tels. Il est certain que depuis que les termes "crimes contre l'humanité", "nettoyage ethnique" et "génocide" sont entrés dans l'usage, ceux qui s'en sont rendus coupables ont tendance à détester que leurs actions soient qualifiées ainsi.
Qu'en est-il du grand public ? Sous le régime nazi, par exemple, les Allemands savaient et niaient être au courant de la persécution et du meurtre final des Juifs. Les spectacles publics tels que le pogrom de novembre 1938, connu sous le nom de Nuit de cristal ou Kristallnacht, ont été remplacés par des déportations vers l' "est" effrayant et par des rumeurs terrifiantes mais aussi fascinantes sur l'extermination de masse. Ces dernières étaient souvent confirmées par des soldats en permission et des civils membres du personnel d'occupation.
Lorsque les bombardements stratégiques de leur pays se sont intensifiés, les Allemands les ont vaguement décrits comme une vengeance juive. Cette prédilection à parler de vengeance pour des crimes simultanément niés a été remarquée par Hannah Arendt dès 1950, lorsqu'elle s'est rendue en Allemagne pour la première fois depuis qu'elle avait fui les nazis. Elle a relaté cette expérience dans un article poignant publié dans le magazine américain Commentary.
Cette population n'avait aucun droit et vivait sous un régime militaire de plus en plus oppressif. Une telle situation ne pouvait que susciter une résistance, y compris violente, qui a entraîné à son tour une répression encore plus féroce. Gaza a été assiégée pendant 16 ans après sa prise de contrôle par le Hamas en 2007, période durant laquelle elle a subi un contrôle strict de l'alimentation, de l'eau et de l'électricité, ainsi que des entrées et sorties du territoire. Les observateurs politiques et les agents des services du renseignement israéliens ont depuis longtemps averti que ce n'est qu'une question de temps avant que la rage des deux millions de personnes emprisonnées dans ce lieu, l'un des plus densément peuplés et des plus pauvres au monde, n'explose.
Et lorsque cela s'est produit, la violence a immédiatement été perçue comme un événement inexplicable et surprenant, impossible à prévoir. La seule cause plausible serait la haine irrationnelle et innée des Palestiniens envers les Juifs. Tout ce qui s'est passé auparavant a été nié, sciemment ou non. L'horloge a été remise à zéro à 6h30 du matin le 7 octobre, lorsque l'attaque a commencé : tout a changé et l'histoire a dû être réécrite.
Puisque la violence du Hamas a été sans précédent, et qu'elle a incarné une intention si sauvage et prétendument génocidaire, la réponse devait être tout aussi inédite et destructrice. Et pourtant, des précédents ont été cités : non pas ces décennies d'occupation, d'oppression et de déshumanisation des Palestiniens, mais l'Holocauste. Le massacre d'environ 1 200 personnes, dont environ 800 civils israéliens, a été instantanément présenté comme le plus grand massacre de Juifs depuis l'Holocauste. La réponse devait correspondre à ce lien improbable entre Auschwitz et Gaza. Seulement, cette fois-ci, les Juifs n'étaient plus sans défense et ne dépendaient pas de la pitié et des troupes des Gentils. De plus, puisque l'attaque a été assimilée à l'Holocauste (certains ont même affirmé qu'elle était pire), le Hamas a été alors considéré comme les nazis des temps modernes, comme l'ont rapidement qualifié les commentateurs des médias mainstream et les politiciens en Israël, mais aussi dans des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni.
Ainsi, le déni de l'occupation (un mot considéré en Israël comme étant des sentiments d'extrême gauche), le déni de la supériorité militaire d'Israël sur les Palestiniens, le déni du refus de l'État, depuis des décennies, de parvenir à un compromis politique et de céder des terres, et le déni du contexte du 7 octobre, ont légitimé une réponse à une attaque nazie imaginaire, à laquelle on pouvait cette fois apporter la bonne réponse, soit l'anéantissement total. Un génocide pour un génocide, le rêve secret et inconscient de tant de générations d'Israéliens qui ne se sont jamais remis de l'image de leurs ancêtres menés comme des moutons à l'abattoir.

Il ne s'agit pas seulement d'un déni des circonstances immédiates, mais aussi d'un déni de l'histoire. C'est une tentative de revenir sur les lieux du crime originel, en l'occurrence la Shoah, et d'en inverser les résultats. Pendant la guerre de 1948, certains survivants de l'Holocauste ont raconté avoir combattu les Arabes en imaginant qu'ils tuaient leurs oppresseurs nazis. En 2023, aucun de ceux qui combattaient le Hamas n'avait vécu l'Holocauste. Mais l'État a fait tout son possible pour défendre son propre projet d'occupation et d'oppression en entretenant ce souvenir - un déni de la réalité de l'oppression des autres en rappelant sa propre persécution et son propre meurtre, ou plutôt ceux de ses ancêtres.
Pour finir, le déni d'une réalité est manifeste, réalité indéniable pour tout observateur objectif. Et ici, le mécanisme si bien décrit par Vidal-Naquet, dans lequel deux réalités contradictoires sont simultanément considérées comme vraies, s'est mis en place avec une efficacité remarquable. Premièrement, il n'y aurait pas de génocide à Gaza, car Israël a été créé en réponse au génocide des Juifs. Toute accusation de génocide contre Israël, surtout après avoir été victime d'un massacre prétendument similaire à l'Holocauste, est donc un sacrilège et un mensonge. Deuxièmement, il n'y aurait pas de génocide à Gaza, car si Israël avait voulu en commettre un, il aurait tué des centaines de milliers, voire des millions de personnes immédiatement. Après tout, Gaza n'aurait rien à voir avec l'Holocauste : pas de camps d'extermination, ni de fosses d'exécution. Comme il n'y a pas d'Auschwitz ni de Babi Yar à Gaza, il ne peut donc pas s'agir d'un génocide. Or, le génocide serait précisément ce que le Hamas avait en tête pour Israël ; il faudrait donc éradiquer le Hamas, même si cela implique un génocide.
En même temps, comme le Hamas utiliserait la population comme bouclier humain, il ne resterait pas d'autre choix que de nuire aux civils, uniquement en tant que dommages collatéraux. Le meurtre d'innocents serait regrettable, mais le Hamas en serait responsable. De toute façon, personne ne serait innocent à Gaza, car tous les habitants soutiendraient le Hamas. Et même les enfants, s'ils ont la chance de grandir, finiraient par rejoindre le Hamas et par vouloir nous assassiner, d'autant que nous avons tué toute leur famille. Mais le génocide n'existe pas à Gaza. Le seul génocide est celui perpétré par les nazis, et le génocide que le Hamas envisageait de commettre contre les Juifs israéliens, raison pour laquelle il doit être détruit. Si quelqu'un tente de commettre un génocide contre l'État juif, il n'y a pas d'autre choix que de l'éradiquer.
Une logique circulaire similaire de déni et de permis de tuer a été employée concernant la famine. Le 8 octobre 2023, le ministre israélien de la Défense de l'époque, Yoav Gallant, a proclamé que Gaza ne recevrait ni nourriture, ni eau, ni électricité, que les membres du Hamas n'e seraient que des animaux humains et seraient traités comme tels. Mais les implications de cette déclaration ont été niées, comme s'il s'agissait de paroles prononcées dans un accès de rage après le massacre perpétré par le Hamas. Lorsque Israël a effectivement mis en œuvre ces politiques, asphyxiant progressivement la population, après avoir déjà détruit ses maisons, usines de traitement de l'eau et réseau électrique, et lorsque l'armée israélienne a délibérément pris pour cible les infrastructures médicales, les travailleurs médicaux et les médecins de la bande de Gaza, l'intention évidente de ces actions a été niée. L'argument avancé était qu'elles visaient uniquement à détruire le Hamas, dont la présence omniprésente n'aurait laissé d'autre choix à l'armée israélienne.
Et lorsque des rapports provenant de Gaza ont fait état d'une crise humanitaire croissante et d'une pénurie alimentaire, Israël a réagi en créant, avec les États-Unis, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), qui a fait converger deux millions de personnes affamées vers quatre points de distribution. Dans ces centres, des centaines de personnes ont été abattues dans le cadre d'une politique brutale consistant à utiliser des balles, des obus de char et de l'artillerie pour contrôler la foule. Et tout cela a été mis en oeuvre alors que le gouvernement israélien nie qu'il y a, de fait, une famine à Gaza.
Ainsi, la réalité dans laquelle vivent la plupart des Israéliens repose sur plusieurs niveaux de déni, amplifiés par la grande majorité des médias du pays. Pourtant, les preuves montrent qu'Israël a utilisé la famine comme un arme de guerre dès le début, comme ses dirigeants l'ont annoncé en octobre 2023. Elles montrent également que l'objectif du gouvernement israélien, comme le proclament encore aujourd'hui de nombreux politiciens, a été de rendre Gaza inhabitable pour la population, de déplacer les Palestiniens vers la partie la plus méridionale de la bande de Gaza et de rechercher des pays qui accueilleraient le plus grand nombre possible de personnes, tandis qu'Israël persécute et décime ceux qui y vivent.
Les preuves montrent que la grande majorité des 66 000 (chiffre officiel actuel des autorités palestiniennes) à 100 000 (chiffre que certaines études, notamment dans The Lancet, estiment être le chiffre réel) personnes tuées à Gaza sont des civils. Parmi eux, jusqu'à 20 000 sont des enfants, et les dommages psychologiques et physiques à long terme infligés à la population, en particulier aux enfants, marqueront des générations. Les preuves montrent que les atrocités, qui auraient pu être considérées comme un nettoyage ethnique, sont devenues un génocide parce que les habitants de Gaza n'ont nulle part où aller. Les zones dites "sûres", qui ne cessent de rétrécir, ont été prises pour cible à plusieurs reprises.
Enfin, les preuves montrent que l'utilisation même du terme "guerre" pour qualifier ce qui se passe à Gaza depuis au moins l'été 2024 est un euphémisme pour désigner une campagne systématique d'anéantissement. L'ONU estime que plus de 70 % des bâtiments, dont 92 % des logements de Gaza, la plupart des écoles, hôpitaux, mosquées, universités, parcs, musées, terres cultivables, archives et tous les autres bâtiments publics ont été détruits ou endommagés. Et l'appel à une victoire totale sur le Hamas en est venu à signifier l'éradication de la société palestinienne à Gaza, car, comme l'ont répété depuis début octobre 2023 les Israéliens, y compris le président Isaac Herzog, tous les Palestiniens de Gaza sont responsables des horreurs du 7 octobre. Mais en septembre, une commission indépendante de l'ONU a conclu qu'Israël a commis un génocide dans la bande de Gaza.
Au moment où ces lignes sont écrites, un cessez-le-feu semble imminent. La plupart des Israéliens souhaitent aujourd'hui que la guerre cesse, selon l'avis général. Ils souhaitent que les otages kidnappés par le Hamas soient libérés et, dans une large majorité, veulent le départ de Benjamin Netanyahu et de son cabinet corrompu et sanguinaire. Cependant, la plupart de ces personnes n'éprouvent que peu ou pas d'empathie pour la population de Gaza. Tout comme les Allemands d'après-guerre, il semble encore impossible à l'Israélien moyen de reconnaître que l'armée israélienne est impliquée dans une guerre criminelle et génocidaire. Leurs liens personnels et familiaux avec l'armée, qui se transmettent de génération en génération, sont tels qu'il leur faudra du temps, ou un véritable processus de restitution, de vérité et de réconciliation avec les Palestiniens, pour reconnaître, comme l'ont fait les Allemands plus de quatre décennies après la Seconde Guerre mondiale, que l'armée israélienne mène une opération d'extermination. Ce déni persistera probablement jusqu'à très tard chez les soldats actuellement en service.
Mais, à l'instar de ce qui s'est produit dans d'autres pays à d'autres époques, Israël ne pourra affronter ses crimes que s'il est contraint d'en payer le prix fort, et non grâce à un processus d'introspection. Ce n'est qu'à ce moment-là que les murs du déni commenceront à se fissurer. Pour que cela se produise, les puissances américaines et européennes devront sortir de leur déni apparent de la réalité de la situation sur le terrain. En tant que signataires de la Convention des Nations unies sur le génocide, c'est leur obligation. En tant que protecteurs présumés du droit international et des droits de l'homme, c'est leur devoir. Tant qu'elles n'agissent pas, elles se rendront complices de ces horreurs et de ce déni.
Traduit par Spirit of Free Speech