Max Blumenthal
The Grayzone a obtenu un courrier privé rédigé par le directeur de l'Anti Defamation League, Jonathan Greenblatt, menaçant d'instrumentaliser le passé nazi de la compagnie musicale BMG si ses responsables ne mettaient pas fin à un important contrat avec Roger Waters. BMG a nié publiquement l'influence du lobby israélien sur sa décision d'annuler le contrat de Waters.
Lorsque la société d'édition musicale BMC a rompu le contrat de travail avec Roger Waters, le co-fondateur des Pink Floyd a affirmé que la décision était aiguillonnée par une campagne du lobby israélien comme mesure de rétorsion financière contre son soutien affirmé à la Palestine. The Grayzone a obtenu communication d'une lettre de menace privée adressée par le PDG de la l'Anti-Defamation League aux directeurs exécutifs de BMG qui confirme l'accusation portée par le musicien.
« Étant donné que votre société mère, le Groupe Bertelsmann, a fait des efforts louables et nécessaires pour réparer son passé nazi », avertissait le directeur de l'ADL dans sa lettre du 16 juin 2023, « il serait profondément malheureux que ces efforts continuent à être ternis par une conduite aussi douloureuse et injurieuse ».
Dans un entretien avec The Grayzone, Waters a décrit la lettre de menace de l'ADL comme le point culminant d'une campagne d'intimidation qui a commencé bien avant les attaques du 7 octobre en Israël. La pression de l'ADL a eu pour effet non seulement la fin de l'accord de la compagnie de publier l'enregistrement du 50e anniversaire de « The Dark Side of the Moon », mais également le départ du PDG de BMG.
« En ce qui concerne les attaques menées contre moi par l'ADL et tout le reste du lobby, l'opinion publique a été absente pendant longtemps, mais elle ne l'est plus », a commenté Waters pour The GZ. « L'affirmation que je serais antisémite parce que je me suis élevé contre la tentative de génocide de la population indigène de Palestine est morte et engloutie. La population mondiale a vu à travers le mur de haine et le tissu des mensonges. »
La menace de l'ADL réfute le déni par le groupe BMG de l'influence du lobby israélien
Jusqu'à maintenant, BMG a officiellement nié toute influence extérieure sur sa décision de mettre fin à son contrat avec Waters, tandis que les médias dominants ont généralement minimisé le rôle du lobby israélien sur cette décision.
Dans un reportage sur la décision de BMG en janvier, la revue commerciale soutenant la culture institutionnelle Variety a dépeint Waters comme paranoïaque pour avoir pointé le rôle du lobby israélien dans le sabotage de son contrat. Variety l'a accusé de débiter « des conspirations contre le fait qu'il affirmait publiquement ses opinions ».
Parallèlement, une source de la société BMG a nié toute pression externe qui aurait influencé sa décision, insistant face à Variety que « BMG est en désaccord avec Roger sur sa version des faits ». Cette source ajoutait que le PDG Thomas Coesfeld « aurait sûrement pris sa décision de sa propre initiative ».
Citant des sources internes à BMG, Variety a même prétendu que Coesfeld avait rejeté un accord pour publier un nouvel enregistrement du succès des Pink Floyd, « The Dark Side of the Moon » immédiatement après être entré en fonction le 1er juillet 2023.
Cependant Variety ignorait apparemment la lettre menaçante que le directeur de l'ADL Jonathan Greenblatt a envoyée le 19 juin 2023 à Hartwig Masuch, alors PDG de BMG et à Thomas Rabe, président du conseil de la maison mère Bertelsmann.
Greenblatt commençait sa lettre avec une litanie d'accusations douteuses d'antisémitisme concernant Waters, presque toutes fondées sur son soutien public à la libération de la Palestine. Le directeur de l'ADL mettait ensuite ses demandes sur la table : « Nous pensons qu'il serait prudent pour BMG Music de reconsidérer vos relations d'affaires avec M. Waters et le fait de représenter son catalogue de musiques ».
Greenblatt concluait par une menace voilée, dans le style d'un parrain mafieux, invoquant le caractère sensible et potentiellement préjudiciable de révélations sur le passé de l'entreprise.
Greenblatt n'a pas répondu à un email de The Grayzone lui demandant de commenter sa campagne de lobbying.
[En pièce jointe à l'article, The Grayzone reproduit la lettre de Greenblatt à Hartwig Masuch, faisant part de « sa profonde consternation et sentiment d'outrage face aux comportements sur scène du bassiste de Pink Floyd sous contrat actuel avec BMG ». Est reproché à Waters d'utiliser ses plates-formes pour comparer l'État d'Israël avec le IIIe Reich.]
L'Anti Defamation League cible le passé nazi de la firme Bertelsmann et ses relations récentes avec Kanye West
Durant la Deuxième Guerre mondiale, Heinrich Mohn a tiré profit de ses relations étroites avec les officiels nazis pour transformer ses presses, les faisant passer de petit producteur de tracts religieux à une centrale éditoriale d'envergure nationale. Bien que non-membre du parti nazi lui-même, Mohn a fait don de coquettes sommes aux corps SS de la machine militaire de Hitler.
Thomas Coesfeld, le PDG actuel de BMG, est l'arrière-petit-fils de Heinrich Mohn et le petit-fils de Reinhart Mohn, qui a dirigé Bertelsmann durant l'après-guerre jusqu' à sa mort en 2009.
Rabe, de son côté, n'est pas étranger aux campagnes de pression de l'ADL. Dans son rôle de président du conseil de surveillance de Adidas, Rabe a dû faire face à des accusations selon lesquelles il aurait agi trop lentement pour endiguer les dégâts lorsque la star mascotte de la firme, Kany « Ye » West, a lancé une série de tirades contre ce qu'il appelait « la mafia juive souterraine des médias ».
Le 20 octobre 2020, Greenblatt de l'ADL a interpelé Rabe et le PDG de Adidas Kasper Rorsted dans une lettre publique. « Nous sommes surpris et inquiets que Adidas, une marque qui promeut l'inclusion et la diversité, continue non seulement à soutenir la ligne de produits « Ye », mais à mettre en vente de nouveaux produits alors qu'il continue à partager d'odieuses idées antisémites à ses 31 millions de followers », s'est plaint Greeblatt.
Adidas a laissé tomber « Ye » 5 jours après les déclarations de Greenblatt. Le mois suivant Rorsted était renvoyé de son poste de PDG.
Tandis que Waters se préparait à se rendre en Allemagne pour une tournée européenne, Greenblatt de l'ADL a perçu qu'il avait une occasion d'extorquer plus de concessions de la part de Bertelsmann.
Alors que BMG se prépare à signer, les lobbyistes d'Israël frappent
Le 25 janvier 2023, le PDG de BMG Hartwig Masuch se rendait à Gstaad en Suisse, pour assister en personne à l'enregistrement du 50e anniversaire de « The Dark Side of the Moon » qui devait s'appeler « DSOTM REDUX ». « Hartwig a aimé l'album », a commenté Waters auprès The Grayzone. « Et il m'a dit, oui, nous à BMG nous voulons fermement sortir cet enregistrement et passer contrat avec vous. »
Alors que Waters commençait à mixer l'album le mois suivant, son équipe managériale a informé Masuch que « DSOTM REDUX » ferait sa première à Londres en juin lors de la célèbre manifestation à la Roundhouse.
Mais les troubles ont frappé le 3 février, lorsque les médias allemands ont rapporté que les édiles municipaux de Francfort avaient enjoint à une salle locale d'annuler le show de Waters au motif qu'il était « un des antisémites les plus largement connus au monde ». L'accusation ne se fondait sur aucune déclaration publique de Waters, mais sur la politique allemande semi-officielle de soutenir Israël comme une forme de réparation pour l'Holocauste, politique qui a conduit Berlin à assimiler toute et n'importe quelle forme de solidarité avec la Palestine à de l'antisémitisme.
Waters a immédiatement engagé des procédures légales pour combattre l'annulation de Francfort.
En même temps, des éléments pro-israéliens se sont concentrés sur une partie de la performance de Waters tirée du fameux opéra rock des Pink Floyd, « The Wall », dans laquelle Waters apparaît comme le protagoniste « Pink Floyd » en proie à une folie hallucinatoire, habillé d'un uniforme nazi et aboyant des ordres délirants à l'adresse du public. Alors que n'importe qui familier avec « The Wall » aurait reconnu un numéro de satire d'un démagogue autoritaire, une posture théâtrale clairement antifasciste, les lobbyistes d'Israël ont cyniquement tordu l'imagerie pour diaboliser Waters aux yeux des crédules autorités allemandes.
Les organisations de lobbying israélien ont de même essayé de distordre une présentation visuelle qui apparaissait durant le show de Waters, commémorant des femmes tuées par des entités politiques répressives. Parce que Waters a présenté Shireen Abu-Akleh, journaliste palestinienne tuée par les forces d'occupation israéliennes à Jenin en 2022, à côté de nombreuses femmes martyres incluant Anne Frank, la jeune fille néerlandaise tuée par les autorités d'occupation nazies, les lobbyistes d'Israël l'ont accusé de « dénigrer » la mort de Frank. La présentation de Waters commémorait cependant également Sophie Scholl, la jeune femme allemande décapitée en 1943 par le régime nazi pour avoir organisé une résistance contre le pouvoir hitlérien.
Fin avril, Waters avait obtenu le droit légal de se produire à Francfort. Cependant, le lobby israélien commençait tout juste à serrer l'étau autour de BMG.
« Il a été contacté par Jonathan Greenblatt de l'ADL »
Le 3 mai 2023, le PDG de BMG, Masuch, s'est envolé pour Paris afin d'assister au premier des deux shows de l'Accor Arena. Le lendemain, il a rencontré Waters pour lui communiquer des nouvelles troublantes : le directeur exécutif de Bertelsmann Thomas Rabe n'avait pas encore approuvé les 5 millions de dollars d'avance pour « DSOTM REDUX ».
« Quand j'ai demandé à Masuch pourquoi ils mettaient ce délai, il m'a dit que Rabe avait été contacté par Jonathan Greenblatt de l'ADL », a rapporté Waters auprès de The Grayzone. « Ainsi l'action de Rabe ne sortait pas de nulle part ; ils le menaçaient en agitant tout l'imbroglio autour d'Adidas et de Kanye West au-dessus de sa tête. Ils étaient en train de lui dire en substance : « Vous avez merdé avec Kanye et Adidas, mais vous pouvez vous rattraper en annulant le contrat d'enregistrement avec Roger. » »
Le 17 mai, Masuch a quitté soudainement son poste à BMG et a été remplacé par Coesfeld. Selon les termes rendus publics du contrat avec Masuch, il était prévu qu'il passe le relais à Coesfeld sept mois plus tard, le 1er janvier 2024. Selon un communiqué à la presse de BMG soigneusement formulé, « en raison de projets personnels pour son futur, Hartwig Masuch a demandé un départ anticipé ».
Waters a loué Masuch en tant que « type solide » qui avait fait une tentative vaillante de résister à la force d'inertie face aux pressions du lobby israélien.
La date du départ de Masuch a coïncidé avec l'arrivée de Waters à Berlin pour une série de concerts. Les médias israéliens et pro-israéliens ont accueilli son apparition avec un déluge de diffamations clairement coordonnées. Le ministère des Affaires étrangères israélien est intervenu une semaine plus tard déclarant sur Twitter : « Bonjour à tous sauf à Roger Waters qui a passé la soirée à Berlin (oui Berlin) à salir la mémoire d'Anne Frank et des 6 millions de Juifs massacrés durant l'Holocauste ».
[Éléments de contextualisation ajoutés par les lecteurs sur Twitter : « Roger Waters incarne le personnage de Pink Floyd, une star du rock sujet aux overdoses qui sombre dans la folie, hallucinant qu'il est un dictateur à un meeting fasciste et que le public est ses supporters. C'est un rôle incarné de façon illustre par Bob Geldof dans le film « Pink Floyd : The Wall »]
Le 16 juin, l'ADL a amplifié son opération de sabotage avec la lettre de Greenblatt adressée à Masuch et Rabe. La lettre confirme que Greenblatt cherchait à faire chanter Bertelsmann avec la menace de faire resurgir son passé nazi.
Plus tard ce même jour, Waters a appris que Masuch avait parlé au téléphone avec Greenblatt et que Greenblatt avait postposé un rendez-vous avec le cofondateur des Pink Floyd pour un déjeuner à New York. Pour Waters, la proposition du PDG de l'ADL suggérait une manœuvre expérimentale, le genre de tactique que l'ADL avait employée dans le passé pour extorquer des donations colossales à de riches célébrités prises dans les filets de l'organisation.
« Même maintenant », dit Waters avec regret, « je me secoue la tête avec un sentiment d'incrédulité que ce lobbyiste d'Israël se léchait les lèvres de faire annuler mes contrats avec BMG, tout en entretenant le projet de me racketter durant un repas. Difficile de croire à cette merde ».
Source originale: The Grayzone
Traduit de l'anglais par Martine pour Investig'Action