par Amos Harel
L'intensification des combats à Gaza n'a fait qu'aggraver la situation d'Israël, et la seule solution du Premier ministre est de s'enfoncer encore davantage dans le bourbier. Pendant ce temps, ses ministres tentent déjà de normaliser les inévitables pertes militaires et la mort imminente des otages.
La crise entre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le chef d'état-major des Forces de défense israéliennes, Eyal Zamir, au sujet de la prochaine phase de la guerre dans la bande de Gaza est encore plus grave que ce que les médias ont rapporté cette semaine.
Il est plus difficile que jamais de savoir ce que Netanyahou a vraiment l'intention de faire : à ce stade, non seulement parce qu'il garde toutes ses options ouvertes, mais aussi parce qu'il est prêt à tout. Néanmoins, la tension entre les deux hommes est réelle.
Netanyahou a peut-être d'autres objectifs (apaiser l'aile messianique de droite de sa coalition gouvernementale, dissuader le Hamas), mais il semble actuellement se concentrer sur la persuasion de l'armée de se préparer à une occupation totale ou quasi totale de Gaza.
Tôt vendredi matin, après une réunion marathon, le cabinet a approuvé le plan de Netanyahou visant à préparer la prise de contrôle de la ville de Gaza. Zamir pense que cela serait désastreux. Il n'est pas inconcevable qu'il soit poussé à démissionner, ou licencié, en raison de ce différend, ce qui provoquerait de nombreux séismes secondaires au sein de l'armée israélienne.
Le conflit entre les deux hommes découle directement de l'impasse dans laquelle se trouve la guerre. Tout au long de cette guerre, la plus longue de l'histoire d'Israël, les partisans de Netanyahou ont affirmé qu'il mettait en œuvre une stratégie ordonnée qui avait permis d'obtenir des résultats importants (Iran, Liban, Syrie, coups portés au Hamas) malgré quelques accrocs en cours de route. Mais dans la pratique, il a plongé Israël dans de graves difficultés.
De mai à juillet, il y avait une possibilité de parvenir à un accord au moins partiel avec le Hamas sur la libération des otages, ce que Netanyahou prétendait vouloir. Mais sa décision d'étendre la guerre en lançant une vaste opération terrestre en mai, connue sous le nom d'opération «Les chars de Gédéon», après avoir violé unilatéralement un cessez-le-feu, n'a pas donné les résultats escomptés par lui-même et l'armée.
C'est également à ce moment-là que le fiasco de l'aide humanitaire a commencé. La Gaza Humanitarian Foundation, basée aux USA, n'a pas atteint les objectifs ambitieux qui lui avaient été fixés en matière de distribution de l'aide aux Gazaouis - ce qui était prévisible dès le départ - et la fin du contrôle du Hamas sur l'aide n'a pas mis l'organisation à genoux. Au contraire, une nouvelle catastrophe humanitaire s'est développée à Gaza, pire encore que celles qui l'ont précédée. Les propagandistes propalestiniens l'ont ensuite amplifiée par un flot de mensonges et de guerre psychologique.[sic]
La position d'Israël à l'étranger s'est encore détériorée, le gouvernement usaméricain a exercé des pressions et, il y a deux semaines, Netanyahou a été contraint d'ouvrir les portes de Gaza et d'inonder l'enclave d'aide, contrairement à toutes ses déclarations précédentes. Pourtant, les dommages causés à la population de Gaza sont si importants qu'il faudra beaucoup de temps pour les réparer. Et ne parlons même pas de l'attitude de la communauté internationale envers Israël. Ce que les touristes israéliens ont vécu en Grèce n'était qu'un début. Le nombre d'alertes concernant des attaques potentielles contre des Israéliens et des Juifs à l'étranger est en forte augmentation.
Cette semaine, nous avons appris que le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui avait tenté il y a deux mois de refuser l'allocation de 700 millions de shekels (175 millions d'euros) pour sécuriser les centres de distribution de l'aide de la GHF, alloue désormais sans sourciller 3 milliards de shekels supplémentaires à ce projet. «Les Palestiniens ne m'intéressent pas, mais détruire le Hamas, oui», a-t-il expliqué. Pendant ce temps, les Gazaouis qui tentent désespérément d'obtenir de la nourriture pour leurs familles dans les rares centres de distribution continuent de mourir, sous les balles ou piétinés à mort.
Un garçon palestinien mange du tahini cru près d'un centre de distribution de
la GHF samedi. Photo Eyad Baba/AFP
À la mi-juillet, avant que la crise alimentaire n'éclate, un accord partiel sur les otages semblait proche. Israël a fait grand cas de l'occupation de deux couloirs dans la région de Morag, au sud de Gaza, afin de pouvoir les céder dans le cadre de l'accord. Les hauts responsables de la défense se montraient prudemment optimistes, comme si le cessez-le-feu initial de 60 jours en discussion allait cette fois déboucher sur un plan plus large pour mettre fin à la guerre. Mais le Hamas a rapidement saisi la nouvelle donne et, depuis lors, il n'a montré aucun signe de flexibilité dans les négociations. Il a même ajouté deux exigences : la libération des membres capturés de sa force d'élite Nukhba, qui a perpétré le massacre du 7 octobre, et le report de la libération du dernier otage jusqu'au début de la reconstruction de Gaza. Il a commencé à mettre en avant la nécessité de reconstruire Gaza, en partie pour signaler son intention de rester au sein du gouvernement du territoire.
Ces exigences ont provoqué la colère de Netanyahou et du président Trump et ont conduit les négociations dans une impasse. En réalité, toute la guerre est au point mort. Les négociations ont été suspendues, les négociateurs israéliens ont été rappelés du Qatar et les combats à Gaza sont plus statiques que jamais en raison de la crise humanitaire et de l'absence de décision sur la suite des opérations militaires. Pour utiliser une analogie sportive, Netanyahou préfère jouer large plutôt que direct. Il ne cherche pas une victoire rapide. Il veut laisser ouvertes autant d'options que possible et gagner du temps tout en évitant toute menace pour sa coalition gouvernementale.
Netanyahou donne l'accolade à Eyal Zamir, au QG de la défense à Tel-Aviv,
fin juin. Photo Maayan Toaf/GPO
L'absence de progrès ouvre la voie à une crise avec les hauts responsables de l'armée israélienne, qui pourrait se traduire par un affaiblissement de l'armée et des attaques contre le chef d'état-major. À l'instar de la «ville humanitaire» de Rafah qui n'a jamais vu le jour ou du plan d'émigration des Gazaouis qui n'aboutit à rien, une telle crise donnerait aux médias un nouveau sujet de discussion. L'attente tendue des réunions décisives et des fuites permet de détourner quelque peu l'attention des échecs du gouvernement : la prolongation d'une guerre sans objectif, les cris des familles des otages, le projet de loi scandaleux visant à légaliser l'exemption du service militaire pour les ultra-orthodoxes et les mauvaises performances des ministres. Pendant ce temps, le temps passe et le gouvernement survit.
Une guerre perpétuelle pourrait également aider Netanyahou à atteindre son deuxième objectif : assurer sa victoire aux prochaines élections, même si tous les sondages prédisent sa défaite. Pour ce faire, il suffirait de saper systématiquement le processus démocratique sous le couvert de la guerre et de ses nécessités.
Zamir n'a pas non plus de solution satisfaisante à la crise qui s'est créée. L'offensive terrestre de mai n'a pas atteint son objectif et, selon Zamir, c'est parce que le gouvernement n'a pas tiré parti de ses succès pour mener une diplomatie efficace. Aujourd'hui, incapable de contraindre le Hamas à signer un accord, Israël improvise des solutions alternatives. Zamir a profité de l'accalmie des combats pour réduire les effectifs militaires à Gaza. L'armée a également pris des mesures pour réduire la charge pesant sur les réservistes cette année et a mis fin à sa politique de prolongation automatique du service des soldats appelés sous les drapeaux par des ordres d'appel d'urgence.
Normalisation de l'abandon
Le conflit avec Netanyahou s'est intensifié à la suite d'un article publié vendredi dernier par le journaliste chevronné Nahum Barnea dans le quotidien à grand tirage Yedioth Ahronoth. Barnea a écrit que Zamir envisageait la possibilité de démissionner si les décideurs politiques l'obligeaient à conquérir toute la bande de Gaza. Le cabinet du Premier ministre, suivant son habitude, a tenté de faire pression sur le chef d'état-major pour qu'il se dissocie de l'article, mais Zamir a refusé, même si la formulation sans équivoque du titre l'a apparemment quelque peu surpris.
Les raisons de la frustration de Zamir sont compréhensibles : le cabinet de sécurité ne se réunit pratiquement jamais (à la place, il y a des réunions des chefs des factions de la Knesset, un forum dépourvu de toute autorité légale) ; les rencontres personnelles entre Zamir et le Premier ministre sont rares ; et la guerre est menée à la sauvette, sans qu'aucune politique claire ne soit définie.
Une sympathisante des otages capturés le 7 octobre 2023 brandit des pancartes lors d'une
manifestation exigeant la libération immédiate des otages et la fin de la guerre, à Tel-Aviv
le 7 août 2025. Photo Ammar Awad/ REUTERS
Pendant ce temps, la famille Netanyahou a lancé une offensive contre Zamir. Alors que le père fait entendre sa voix dans les coulisses, le fils et la mère agissent selon leurs méthodes : via les réseaux sociaux et des fuites dans les médias. Yair Netanyahou a tweeté des accusations infondées contre le chef d'état-major, affirmant qu'il préparait un coup d'État militaire, et s'est dissocié de la responsabilité de son père dans la nomination de Zamir (en réalité, le Premier ministre avait fièrement déclaré lors de la cérémonie de nomination en mars que c'était la troisième fois qu'il voulait Zamir à ce poste).
Sara Netanyahou aurait déclaré avoir averti son mari de ne pas nommer Zamir, car il ne serait pas capable de résister à la pression des médias. Comme dans une république bananière, la presse a rapporté que Netanyahou père voulait en fait Zamir, mais que la mère et le fils avaient fait pression pour la nomination du général David Zini, qui a entre-temps été nommé à la tête du service de sécurité Shin Bet - une décision dangereuse.
Cette semaine, des correspondants diplomatiques et militaires ont reçu des fuites détaillées - d'une manière qui soulève des doutes quant au sérieux de la discussion - sur les plans exigés par Netanyahou : la conquête de la ville de Gaza et des camps de réfugiés au centre de la bande de Gaza. Il s'agit de deux des trois enclaves dans lesquelles l'armée israélienne a contraint la population palestinienne à se réfugier et où sont détenus les otages israéliens (la troisième est la région de Mawasi, sur la côte sud de la bande de Gaza).
De hauts responsables de l'armée israélienne ont averti que cela nécessiterait une opération terrestre de plusieurs mois et des actions visant à passer la zone au peigne fin et à la purger de tout terroriste, ce qui pourrait prendre jusqu'à deux ans. L'opération nécessiterait quatre à six divisions, ce qui représente un nombre astronomique de jours de réserve supplémentaires. Et l'intention est de continuer à pousser la population par la force vers le sud de la bande de Gaza tout en essayant de la contraindre à émigrer. Zamir, en revanche, a proposé d'encercler les enclaves actuelles, d'exercer une pression militaire sur elles depuis l'extérieur et d'essayer d'épuiser le Hamas, sans mettre en danger la vie des otages. Cela ne semble pas non plus être une solution gagnante.
Trump semble avoir donné le feu vert à Netanyahou pour étendre l'opération à Gaza, à condition que les forces agissent rapidement, sans s'attarder inutilement sur place. Dans le même temps, il a contraint le Premier ministre à autoriser l'acheminement de l'aide. Pour l'instant, Netanyahou, avec le soutien de Trump, s'efforce de mener une opération de grande envergure, malgré les risques. Il adhère également à des idées irresponsables qui circulent dans son entourage, selon lesquelles, après avoir occupé la ville de Gaza, il sera possible de gérer la distribution de la nourriture sur place par le biais des clans locaux.
Il existe toutefois une issue : si le Premier ministre évite de présenter un calendrier rigide, il sera toujours possible de brouiller les pistes quant au rythme de mise en œuvre et d'espérer qu'entre-temps, une autre solution émergera grâce à la menace militaire.
Les serviteurs du Premier ministre, les ministres et les députés, s'affairent à normaliser la guerre et à préparer le terrain pour que l'opinion publique accepte d'abandonner les otages à la mort. Cela commence par l'affirmation que les civils qui ont été enlevés chez eux et lors du festival de musique Nova sont en réalité des «prisonniers de guerre», c'est-à-dire des soldats capturés qui doivent attendre la fin de la guerre, à une date inconnue, pour être libérés, et cela se termine par le silence imposé aux familles des otages à la Knesset.
Zamir a un avantage certain : l'armée est toujours derrière lui. La majorité absolue des officiers le croit et partage ses considérations. Netanyahou, dont les partisans envisagent des scénarios de destitution et de remplacement, devra en tenir compte. La combinaison du danger pour la vie des soldats et des otages et d'une confrontation publique entre le Premier ministre et le chef d'état-major pourrait faire basculer l'opinion publique contre Netanyahou.
Réservistes à Gaza, en mars. Photo porte-parole de l'armée israélienne
Si Zamir fait ce qu'Eli Geva a fait pendant la guerre du Liban en 1982 - en tant que commandant de la 211e brigade blindée, il avait démissionné de l'armée pour protester contre la guerre -, nous entrerons en territoire inconnu. Cela risque d'entraîner un refus plus important de servir, en particulier parmi les unités de réserve, et de voir enfin naître un nouveau mouvement des Quatre Mères, efficace et plus virulent, à l'image de celui qui avait vu le jour en 1997 contre la guerre au Liban.
L'état réel de l'armée, qui combat à Gaza depuis 22 mois, peut être déduit d'un message publié par un major de réserve, commandant d'une unité qui utilise du matériel de génie lourd. «Au cours des trois dernières semaines, j'ai pu constater de près la gravité du problème», écrit-il. «Le manque d'organisation, l'incertitude et l'absence d'objectif opérationnel clair - des sentiments qui reviennent dans tous les cadres... Le résultat sur le terrain : les forces se déplacent sans contexte, sans continuité et sans objectif clair. Les troupes de combat le ressentent également, non seulement dans la charge, mais aussi dans un sentiment de mépris total pour les opérations».
Lorsque les choses sont clairement énoncées, et non par des sources anonymes, les médias sont obligés de les rapporter de manière directe. Mais la plupart du temps, ils s'efforcent de brouiller les événements à Gaza sous une épaisse couche de patriotisme, de camaraderie guerrière et d'édulcoration.
6 août 2025 : une fillette palestinienne devant le centre de santé Sheikh Radwan, dans le nord
de la ville de Gaza, après sa destruction lors d'une frappe nocturne. Photo Omar Al-Qattaa/AFP