31/10/2025 dav8119.substack.com  10min #295000

Les enfants dans la cour maternelle

 Davy Hoyau

Il est certain qu'avec les époques, les cours de maternelles sont devenues des zones de guerre. Dans les années quatre-vingt, on jouait gentiment avec les escargots, les tortues et les fourmis. On escaladait des arbres et on faisait des cascades interdites. D'ici j'entends l'école maternelle voisine comme un brouillard de cris pour se défouler, dans un cour en béton.

Mais ce n'est pas notre sujet. Les grandes personnes commettent de plus grands crimes. Cependant l'analogie avec ce qui se passe dans une cour de maternelle reste entière. John Marsheimer fait également usage de cette analogie dans ses analyses géostratégiques. En temps de guerre, ce sont les canons qui parlent et ce qu'ils disent sont des phrases simples et courtes. Il ne reste qu'à extrapoler leur discours pour en comprendre l'essence et la motivation.

Il est étonnant qu'il y ait encore des gens qui croient que les politiciens agissent par stratégie ou avec intelligence, en prévoyant le coup d'après, ou en faisant des calculs complexes dont eux seuls détiennent la formule. C'est d'autant plus étonnant que par essence c'est exactement ce qu'aimeraient faire croire les dictateurs pour justifier leurs ordres erratiques et inconsistants.

Le fait qu'il se dégage cette sensation selon laquelle ils savent ce qu'ils font, est simplement un effet de la puissance, de la soumission, de l'effroi, et de l'incapacité à pouvoir y faire quoi que ce soit. C'est donc une sensation qui est garantie par la constitution, car si on pouvait discuter les ordres et débattre des raisons, on verrait clairement l'inconsistance des réactions puériles et des crises de nerfs de celui qui a peur que son incompétence ne soit révélée.

Les exemples pour illustrer ceci se multiplient à foison, et nous nous excusons auprès du lecteur de ne prendre que les premières qui nous viennent à l'esprit dans le feu de l'instant de l'époque, mais vraiment c'est une constante dans l'histoire. Sans une connaissance de la psychologie et surtout des outils qu'elle engendre pour interpréter la réalité, les foules de subalternes autant que les foules du public peuvent se retrouver bêtement subjuguées par la stupeur et l'effroi, comme disait Naomi Klein.

Un de ces outils essentiels est ce que nous faisons : la condition humaine et la complexité des sujets nous condamne à n'accéder à la vérité que par l'entremise de représentations schématiques. De celles-ci, on extrapole des humeurs, et elles ne sont qu'un symptôme macroscopique de causes profondes qui ne demandent qu'à être adressées. Le pire ennemi du cerveau est ce sur quoi on n'arrive pas à mettre les mots, et le travail de soin de l'esprit est d'aider à faire cela.

Il ne faut donc pas s'arrêter en haut de la crête du symbolisme pour en extrapoler des raisons profondes et puissamment réfléchies, non, ça c'est le travail de la concrétisation de la réalité qui se dirige toujours en direction de ce qui a besoin d'être expérimenté pour en comprendre l'essence. Et tant qu'on reste sourds à l'essence des choses, les potentialités actualisées dans la réalité ne cessent de pointer vers elles avec de plus en plus de force et de fracas.

Non, ce qu'il faut est prendre un recul saint sur ces tourbillons d'émotions et revenir à ce qui est utile et qui peut agir efficacement sur la concrétion de la réalité. En l'occurrence, il n'y a pas d'autre remède que le dialogue. Et en particulier, dans un monde où le dialogue est rompu entre les peuples et leurs représentants, ce n'est que par inférence que l'idée peut atteindre les sphères hermétiques du pouvoir secret qui n'ose pas se ridiculiser en public en exposant ses vraies raisons d'agir.

*

Prenons quelques exemples topiques dont nous faisons des cas d'école.

1. L'extermination des bovins. On a ici en miniature et de façon objectivement constatable le loisir de mesurer les effets du glissement de sens qui opéré lors d'une chute vers la dictature. Une dictature n'est que la perversion du sens des mots et la prévalence des jugements sur la réalité. C'est à dire une action psychotique. Les prétextes utilisés d'exterminer des cheptel après avoir détecté une maladie s'est mué en prévention de l'apparition de la maladie. Le but est l'extermination des cheptels, pas des maladies, comme c'est indiqué. Dans ce cas banal, l'extermination des êtres vivants est la solution trouvée à la maladie des êtres vivants.

Si on prolonge ce glissement vers les humains on sait ce qu'autoriser cela permettra de faire ensuite. Et surtout c'est un grand classique en communication non-violente, que de dénoncer l'extermination du porteur de problème plutôt que du problème, de s'attaquer à "l'être" plutôt qu'au "faire". C'est une solution qui s'appelle "la paix par le vide". S'il n'y a plus d'être vivant, il n'y a plus de problème, sauf qu'il n'y a plus d'être vivant. Et la solution qui a été trouvée n'est aucunement la promesse de résoudre "le problème" là où il apparaîtra encore, c'est à dire là où se posera la suspicion. La vraie paix est la résolution du problème, pas l'extermination de ce qu'il désigne.

2. Le cas de la Grande-Bretagne a été approfondi lors de notre dernière sortie. Il s'agit du fait que, pour citer Craig Murray, "le simple fait d'éveiller des soupçons constitue une infraction". Encore une fois on a une prévalence du jugement sur l'exploration du monde, ce qui est typique d'une psychose. Lorsqu'un enfant fait cela, cela revient à "il voulait me prendre mon jouet". La réponse sage est "tu peux le lui prêter, il te le rendra après". Il s'agit de créer un discernement, nouveau pour l'enfant, entre "prêter" et "voler".

Ici le dictateur - et ça c'est un effet des dictature modernes : la fonction de dictateur est déléguée à un policier "à moitié instruit" (pour citer l'auteur) - n'est pas en capacité de porter un jugement clairvoyant. Pour lui le fait d'agiter un drapeau palestinien, si cela ne peut être une faute, en fonction du froncement de sourcil de celui qui l'agite, il s'autorise à juger si cette est personne malveillante. Il décide lui-même de la loi, de sa limite, et de son exécution. C'est à dire qu'il fait s'effondrer la limite arbitraire de ce qui est légal ou non sur la personne qu'il prend pour cible. En ceci, le policier, mais surtout le gouvernement, agissent de façon puérile.

3. On a un président français qui semble vivre dans une bulle imaginaire en croyant véritablement sincèrement, de façon inflexible et obstinée, que la Russie est un pays ennemi et cela le terrifie. De ce fait il ne cesse de distordre sa perception de la réalité dans un biais de confirmation qui tend à lui prodiguer comme preuve qu'il a raison à peu près n'importe quel fait approximatif dû au hasard. Cette distorsion fait bien sûr complètement l'impasse sur tout ce qui pourrait la contrarier, ce qui se traduit par un "deux poids, deux mesures".

Il est notable qu'un menteur professionnel soupçonne toujours les autres de mentir. On est dans dans une boucle circulaire où il est obligé de mentir pour répondre au mensonge qu'il soupçonne en raison du fait qu'il ment. Et ce n'est pas ce président en particulier qui est comme cela, mais tous les dirigeants occidentaux. C'est un constat d'échelle. Lorsque Poutine a fait son discours du 24 février 2022, il a clairement exposé les faits, sans aucun commentaire personnel ou interprétation fallacieuse. Pourtant cela n'a ni été entendu ni même écouté, seulement jugé comme une grossière manipulation qui a des buts cachés. (Il a fallu des explications spéciales aux représentants américains pour le leur ré-expliquer, mais ils n'ont quand même rien compris).

4. Partant de là, les dirigeants occidentaux se sont embourbés dans une mystification exponentielle de leur propre berlue. Mais pourquoi font-ils cela ? Ont-ils des buts cachés ? Font-ils semblant de ne pas admettre la réalité ? Ou sont-ils vraiment complètement à côté de la plaque ? Les analystes penchent plutôt pour la seconde solution. Et les stratégies, les actions, les chiffres, une fois décortiqués, montrent clairement que les états-unis n'ont jamais gagné une seule guerre des nombreuses dizaines qu'ils ont lancées. Non pas à escient, dans un but caché, mais par défaillance mentale. C'est ainsi qu'ils ont tenté de s'en prendre à des pays de plus en plus faibles, toujours sans succès.

Les analystes expliquent cette défaillance par le fait d'avoir tellement outrageusement déformé l'histoire réelle qu'il leur est impossible d'en tirer les leçons efficaces et opérationnelles. Ils croient qu'ils sont des super-héros qu'il suffit de se présenter en public en faisant des démonstration de force brute pour que tout le monde courbe l'échine. Mais ce n'est pas comme cela que marche une guerre. Une guerre sert à résoudre un problème et à faire éclater la vérité. Il faut donc savoir ce qu'on fait.

5. Comment ne pas terminer ce tour de piste de l'inanité de la coercition par le bruit, sans passer par la case Palestine. Ici on a véritablement un enfant, la Palestine, qui se fait chahuter par un plus grand que lui dans la cour d'école. Il est martyrisé, harcelé, torturé, battu, et ceci tous les jours de l'année. Non seulement personne ne vient à son secours mais les profs trouvent cela drôle. Ils ne voudraient pas s'attirer de problèmes. Les rares enfants qui trouvent cela injuste et veulent s'interposer, sont immédiatement sanctionnés comme s'ils 'avaient fait que chose de mal. Ils sont une minorité et on le leur montre bien.

Par effet d'insuffisance du crime, la violence ne cesse de croître, jusqu'à atteindre des stades paroxystiques, et changer de dimension de la cruauté. Ce n'est pas suffisant de faire souffrir physiquement, il faut faire souffrir psychologiquement. Pour cela il s'agit de promettre de s'arrêter de frapper si l'enfant accepte de dire ou de faire des choses qu'il ne veut pas ; lui offrir un répit, et reprendre les coups quand même ensuite.

Trump dans l'histoire est le proviseur, qui dit à l'enfant tortionnaire qu'il est complètement d'accord avec ses motivations et qu'il est totalement libre de faire comme bon lui semble. Et lorsque l'enfant battu refuse ou hésite à obéir à ce qu'on lui demande de faire, de se faire du mal à lui-même ou de se déshabiller, le proviseur monte la voix : "Je vais me mettre très très en colère !". Voilà ce qu'il dit, en substance. Littéralement il dit "vous allez connaître l'enfer" alors qu'ils viennent juste de le connaître. (Et surtout que ce sont leurs bourreaux qui vont le connaître, après la fin de leur vie misérable, mais c'est une parenthèse).

Parce qu'il a réussi à contrôler l'enfant-bourreau une seconde en disant "Tût-tût, attend une seconde", le proviseur réclame un prix Nobel de la Paix qu'il pourra afficher dans son bureau pour prouver aux parents qu'il n'est pas le méchant de l'histoire. Mais comme il ne l'a pas eu il dit "Bon, vas-y, continue".

6. De son côté, le bourreau est un cas particulier. Une des conditions pour arrêter de le frapper est que la "tête de Turc" retrouve une de ses dents qui a sauté dans l'égout. Mais elle est inaccessible. Le bourreau interprète cela comme de la provocation gratuite et ostensible, qu'il punit à nouveau violemment.

Il est facile de comprendre que la violence est une musique rythmique qui doit se jouer obligatoirement, quel que soit le contexte ou l'intermède. Qu'elle ne cessera jamais. Que la souffrance et la douleur sont le plaisir et le loisir, le métier et la vocation du bourreau. Qu'il n'a aucun autre centre d'intérêt dans sa vie. Que rien ne le freine, qu'il est même encouragé par le proviseur et les autres profs, et que même parmi les élèves il y en a qui commencent à y prendre goût, à défaut de trouver cela habituel et de s'occuper d'autre chose.

Comme on l'a dit, ceux qui se révoltent sont accusés de n'avoir "rien compris à ce qui se passe", c'est à dire, très explicitement, de ne pas avoir fabriqué intentionnellement les raisons fallacieuses qui justifient le comportement des puissants.

C'est à dire, au fond, de ne pas avoir assimilé le schéma comportemental des bourreaux qui consiste à exercer la violence, la puissance, et les pulsions bestiales, AVANT d'en établir des raisons. C'est à dire de se soumettre.

*

Il est certain que la "guerre" à Gaza (ce n'est pas du tout une guerre mais une extermination de masse) ne cessera pas, à tel point que le plaisir de l'extermination sous-tend de garder vivants et en souffrance les "têtes de turcs". (Ce n'est pas une bonne expression puisque la Turquie est un peu de la partie).

Le seul moment où, par hasard, pour une raison ou une autre, il ne sera plus possible de pratiquer ce sport que constitue l'extermination ethnique, alors ils décideront d'en finir totalement avec eux.

La seule solution est d'intervenir, et de rééduquer l'enfant pour qu'il apprenne que dans la vie, on ne peut pas toujours décider de Comment les choses doivent se réaliser pour obtenir ce qu'on veut, car si on s'y prend mal, on perd des points plutôt qu'on en gagne, et dans ce cas, on perd le droit d'avoir un contrôle sur ce qui nous arrive. Et que si on fait subir cela à quelqu'un d'innocent, cela n'empêchera pas d'y avoir droit d'une façon d'autant plus douloureuse.

 dav8119.substack.com