01/06/2025 chroniquepalestine.com  8min #279785

 Neuf enfants d'un couple de médecins palestiniens assassinés

Les Israéliens brûlent vifs les enfants de Gaza, et le monde laisse faire


Ward Khalil, cinq ans, a survécu à une attaque aérienne israélienne tôt lundi matin qui a tué sa mère, deux de ses frères et sœurs, ainsi que 33 autres personnes - Photo : Al Jazeera

Par  Ghada Ageel

C'est pourtant simple : des enfants sont brûlés vifs dans leur sommeil ; le monde le voit et ne fait rien.

 Dr Alaa al-Najjar, pédiatre de 36 ans et mère de 10 enfants, a passé la matinée du vendredi 23 mai à faire ce à quoi elle a dédié sa vie : à soigner les enfants à l'hôpital Nasser de Gaza.

En fin de journée, elle n'était plus une doctoresse, mais une femme en deuil qui serrait dans ses bras les restes calcinés et démembrés de ses propres enfants : Yahya, Rakan, Ruslan, Jubran, Eve, Revan, Sayden, Luqman et Sidra. La mort de sept d'entre eux était avérée.

Deux d'entre eux gisaient encore sous les décombres, dont son plus jeune, Sayden, âgé de six mois, qui dormait encore dans sa poussette lorsque Dr al-Najjar l'a embrassé pour lui dire au revoir ce matin-là.

En l'espace d'une minute, sa vie entière a été anéantie par un seul bombardement israélien.

Son mari Hamdy, 40 ans, également médecin, et leur fils Adam, 11 ans, se trouvent en soins intensifs. Leur vie ne tient qu'à un fil du fait de la dégradation du système de santé de Gaza, qui n'est pas due au hasard mais à la barbarie israélienne.

Le ciblage intentionnel des hôpitaux et des cliniques a laissé le  système de santé de Gaza en ruines. En l'espace d'une semaine, douze des infirmières les plus dévouées ont perdu la vie.

Dr Graeme Groom, un chirurgien britannique qui travaille à l'hôpital Nasser et qui les a opérés, a déclaré que le père avait souffert d'une « blessure pénétrante à la tête », tandis que « l'avant-bras gauche d'Adam avait été presque arraché et n'était plus qu'une plaie vive ».

Le corps de leur fille Revan était si brûlé qu'elle était méconnaissable, « il ne lui restait plus de peau, ni de chair », a déclaré son oncle. En larmes, le Dr Alaa a supplié les sauveteurs de lui permettre de prendre sa fille dans ses bras une dernière fois.

Hélas, le nombre de linceuls blancs enveloppant des  corps d'enfants de Gaza continue de se multiplier.

 Yaqeen Hammad est aujourd'hui une de ces enfants qui ont été ensevelis et enterrés. Âgée de seulement 11 ans, Yaqeen était l'une des plus jeunes influenceuses de Gaza.

En si peu de temps, elle incarnait ce que la poétesse palestinienne Rafeef Ziadah appelle l'art palestinien d'« enseigner la vie ». Yaqeen faisait des desserts. Elle distribuait de la nourriture. Elle apportait du bonheur aux enfants qui avaient tout perdu. Dans l'un de ses vidéos, alors qu'elle préparait un dessert, elle a déclaré au monde : « À Gaza, nous n'utilisons pas le mot impossible. » Voilà son crime.

Le 23 mai, le jour où les enfants d'Alaa ont été brûlés vifs, Israël a décidé qu'elle aussi représentait une menace existentielle.

Des frappes aériennes ont ciblé son quartier de Deir el-Balah et mis fin à ses jours. Elle est l'une des 18 000 enfants palestiniens tués depuis octobre, l'une des 1300+ que l'État hébreu a assassinés après avoir rompu le  cessez-le-feu en mars, et l'une des dizaines de tués en l'espace de 48 heures.

Dan Sheehan, éditeur chez Literary Hub, a noté, à propos du deux poids, deux mesures, appliqué aux Palestiniens : « Si une influenceuse israélienne de 11 ans - une fillette qui livrait de la nourriture et des jouets aux enfants déplacés - avait été tuée, l'Empire State Building serait illuminé pour lui rendre hommage et son visage ferait la une de tous les grands médias américains. Son nom serait sur les lèvres de tous les politiciens. »

Mais l'assassinat de Yaqeen ne rencontre que le silence.

 Riyad Mansour, un éminent diplomate palestinien à l'ONU, était si bouleversé par le nombre des petites victimes de la barbarie israélienne qu'il a fondu en larmes pendant son discours. Sur une vidéo, on a pu voir Danny Danon, son homologue israélien, étouffer un bâillement au même moment.

La mort de tous ces enfants palestiniens fait bailler d'ennui les juifs israéliens. Ce n'est pas étonnant puisque 82 % d'entre eux soutiennent l'expulsion des Palestiniens de Gaza.

Comment les Palestiniens pourraient-ils espérer se rendre dans les centres de distribution de l'aide militaire israélienne, avec leurs enfants, sans être tués par l'occupant ? « Comment, » demande le célèbre avocat des droits humains Raji Sourani, « La main qui tue peut-elle devenir la main qui nourrit ? »

Ce n'est évidemment pas possible. Les mains assassines d'Israël s'introduisent partout dans la bande de Gaza pour massacrer les enfants.

 Ward al-Sheikh Khalil, une fillette de cinq ans qui se trouvait dans une école de l'ONU au moment de l'attaque, a été arrachée de justesse à la mort. Elle s'est réveillée au moment où les flammes s'emparaient de la salle de classe où sa famille dormait.

Sa mère et ses frères et sœurs avaient été tués dans l'attaque israélienne. La toiture s'est effondrée, et on la voit dans une vidéo tenter de s'échapper alors qu'elle est enveloppée par la fumée et les flammes. Un médecin l'a sauvée et elle lui a demandé, dans un murmure, si sa mère et ses frères et sœurs étaient « Sous les décombres. »

Une autre fillette a été extraite des décombres de la classe, son corps à moitié brûlé. Sa souffrance a-t-elle-même une chance de toucher les cœurs des dirigeants internationaux ? Et il y a tellement de fillettes qui subissent le même sort ! Et de garçons !

Combien de corps brisés, carbonisés ou ensevelis sous les décombres faudra-t-il encore pour que ce génocide soit reconnu pour ce qu'il est, et stoppé ? 18 000 enfants palestiniens assassinés - des enfants dont on ne saura jamais tous les noms - ne suffisent-ils pas ?

En décembre 2023, l'UNICEF, l'agence de l'ONU pour les enfants, a déclaré : « La bande de Gaza est le lieu le plus dangereux au monde pour les enfants. »

Le 27 mai, l'organisation a déclaré que « depuis la fin de l'accord de cessez-le-feu le 18 mars, 1309 enfants ont été tués et 3738 autres blessés. Au total, plus de 50 000 enfants ont été tués ou blessés depuis le mois d'octobre 2023. Combien en faudra-t-il encore ? Quand la communauté internationale jugera-t-elle que la violence barbare qui se répand en direct à la Télévision dépasse la mesure ? Quand se décidera-t-elle à prendre des mesures radicales, à utiliser son influence et à agir avec courage pour mettre fin à ces meurtres sauvages d'enfants ? »

Lorsqu'un bâtiment est en feu, tous les moyens sont mis en œuvre pour sauver des vies. Tous les efforts sont déployés. Au Vietnam, les cris de Phan Thi Kim Phuc, une fillette de 9 ans brûlée au napalm, ont galvanisé la communauté internationale pour qu'elle mette fin au conflit.

Le corps d'un petit Syrien,  Alan Kurdi âgé de 3 ans, a ému l'opinion publique et a incité un continent entier à accueillir des réfugiés.

Mais, à Gaza, quand des fillettes courent pour échapper au feu, quand on sort leurs petits corps des décombres, quand elles sont brûlées vives au point d'être difficilement reconnaissables, cela ne provoque pas la moindre réaction.

A Gaza, lorsque les enfants sont pris dans le feu des bombardements incessants, le monde tourne le dos. Il semble que rien ne puisse pousser les dirigeants de ce monde à mettre fin à cette infernale boucherie de petits corps innocents.

Comme l'a très bien dit  Jehad Abusalim, le directeur exécutif de l'Institute for Palestine Studies USA : « Pourquoi les images de fillettes brûlées au Vietnam ont-elles ému l'opinion publique mais pas les fillettes brûlées à Gaza ? » Au Vietnam, une seule image - celle d'une petite fille brulée au napalm courant sur la route - a réveillé la conscience des Américains.

« Mais à Gaza, il y a des douzaines d'enfants brûlés chaque jour, des douzaines de fillettes au napalm. Ces images n'arrivent pas sur les médias tardivement, après avoir été filtrées à travers des câbles photo lointains ; elles sont diffusées en direct, sans filtre et sans interruption. Le monde a toutes les preuves qu'il faut. Et même plus qu'il n'en faut. Alors, pourquoi ne réagit-il pas ? »

Une petite lueur d'espoir nous est apportée par les 1200 universitaires israéliens qui ont signé une lettre ouverte sur le calvaire des Palestiniens. Leur sens moral se manifeste par une déclaration très simple : « Nous ne pouvons pas dire que nous ne savions pas. »

Si seulement cette parole de vérité : « Vous ne pouvez pas dire que vous ne saviez pas » pouvait réveiller la conscience de chaque politicien et de chaque diplomate dans le monde occidental !

Auteur :  Ghada Ageel

* Dr. Ghada Ageel est professeure invitée au département de sciences politiques de l'université de l'Alberta (Edmonton, Canada). Chercheuse indépendante, elle participe activement à l'initiative Faculty4Palestine - Alberta.Son nouveau livre,  Apartheid in Palestine: Hard Laws and Harder Experiences, est à paraître aux éditions University of Alberta Press (Canada).

29 mai 2025 -  Al-Jazeera - Traduction : Chronique de Palestine - Dominique Muselet

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