30/04/2025 ssofidelis.substack.com  8min #276500

Les secrets de Nasser

Les Arabes, la Palestine & Les Arabes, la Palestine et l'importance du timing

Par  Ramzy Baroud, le 30 avril 2025

Les attentes des Palestiniens à l'égard du monde arabe ont changé. Ils n'attendent plus d'appel aux armes ou d'embargo total, juste l'arrêt de toute action soutenant l'adversaire contre deux millions de personnes assiégées à Gaza.

Le président égyptien Gamal Abdel Nasser, au Caire, le 29 mai 1967, dans son discours devant les membres de l'Assemblée nationale, a déclaré :

"La question qui se pose aujourd'hui n'est pas celle du golfe d'Aqaba, du détroit de Tiran ou du retrait de la FINU, mais celle des droits du peuple palestinien... Nous sommes désormais prêts à affronter Israël.... Nous sommes désormais prêts à traiter la question palestinienne dans son ensemble".

Pour la génération de mon père, Gamal Abdel Nasser n'était pas simplement un dirigeant arabe de plus : il a établi la norme à laquelle tous les autres ont été confrontés, et aucun ne l'a jamais tout à fait égalé.

Pour les masses arabes, et les Palestiniens en particulier, Nasser était une icône. Son image héroïque, aux yeux des Palestiniens,  s'est imposée à Al-Faluja, un bastion clé de la résistance contre la prise de contrôle sioniste de la Palestine historique en 1948

Ce petit village du sud de la Palestine a été soumis à un blocus militaire israélien massif, piégeant Nasser, alors major dans l'armée égyptienne, ainsi que des milliers d'officiers égyptiens. Le  blocus a duré plusieurs mois, jusqu'en février 1949, mais seulement après que les soldats égyptiens aient opposé une résistance remarquable

Avec la  signature de l'accord d'armistice israélo-égyptien, les soldats ont finalement été autorisés à se retirer par Gaza. Malgré leur chagrin d'avoir perdu leur patrie, les Palestiniens ont traité ces soldats qui battaient en retraite comme des héros. C'est durant cette période que la légende de Nasser s'est véritablement emparée de l'imaginaire collectif.

Pour cette génération, il aurait été difficile d'associer Nasser à autre chose qu'à une grande bravoure, un sens aigu de l'honneur et un amour profond pour la Palestine. Même après la désastreuse  guerre de 1967, la Naksa, ou "revers", ils ont constamment cherche à justifier le désordre et la mauvaise planification qui ont conduit à la défaite historique de l'Égypte et du monde arabe face à Israël, soutenu par l'Occident

Cette guerre fut particulièrement dévastatrice, permettant à Israël d'augmenter considérablement son territoire,  englobant désormais la péninsule du Sinaï, Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et certaines parties des territoires syriens et jordaniens. L'issue de la guerre a considérablement réduit les espoirs de restituer la Palestine historique à ses occupants palestiniens.

Le 9 juin 1967, Nasser  s'est adressé à la nation pour annoncer sa démission, une décision rapidement annulée, apparemment en raison de fortes pressions populaires en Égypte, mais aussi en Palestine

Les tentatives de dépeindre Nasser comme un dirigeant politique capable de commettre des erreurs, voire égoïste, ont été globalement rejetées par une génération d'historiens l'ayant pour la plupart idéalisé. La raison sous-jacente était peut-être le sentiment que sans Nasser, aucun autre dirigeant arabe ne pouvait véritablement représenter l'aspiration à un renouveau du panarabisme ou du nationalisme arabe

Ce contexte explique pourquoi la récente diffusion par Nasser TV d'une prétendue  conversation audio entre Nasser et l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a suscité de nombreuses réflexions et questions.

Dans cet enregistrement présumé, réalisé peu avant sa mort, Nasser semble moins engagé dans le panarabisme. Ses propos trahissent une méfiance notable envers les dirigeants arabes, même ceux qui ont fortement plaidé en faveur du retour par la force des territoires palestiniens et arabes occupés

"Si quelqu'un veut se battre, qu'il se batte. Si quelqu'un veut lutter, qu'il lutte",

a-t-il déclaré, critiquant ouvertement les "slogans creux" de pays comme l'Algérie, l'Irak, la Syrie et le Yémen du Sud.

Nasser semblait peu enclin à la guerre, avertissant que les appels à "libérer la Palestine du fleuve à la mer" étaient contre-productifs et risquaient d'accélérer la perte de la Cisjordanie et de Gaza (zones déjà occupées).

On pourrait penser que le cynisme de Nasser venait du grand sentiment de trahison des pays arabes, qui n'avaient pas mis leurs promesses en pratique. Mais les propos de Nasser dans cet enregistrement semblent même remonter à avant la Naksa, suggérant que la  guerre de 1948 elle-même avait causé la perte de la Palestine historique

Cette référence prête à confusion, car la guerre de 1948 a été imposée aux Palestiniens et aux États arabes, et les forces arabes, mal préparées et désorganisées, ne sont intervenues qu'après que les milices sionistes, bien entraînées et équipées par les Britanniques, aient déjà largement déterminé l'issue du conflit en Palestine.

La conversation présumée entre Nasser et Kadhafi aurait eu lieu le 3 août 1970, à peu près au moment où le secrétaire d'État américain William Rogers  proposait un cessez-le-feu entre l'Égypte et Israël, un plan qui, s'il avait abouti, aurait mis fin à la guerre d'usure qui faisait rage dans le Sinaï

Ce cessez-le-feu, connu sous le nom de plan Rogers (ou  plan Rogers II), avait pour objectif spécifique d'entamer des pourparlers politiques entre l'Égypte et Israël. Il était tout à fait clair que ces pourparlers porteraient sur l'avenir du Sinaï et des territoires palestiniens nouvellement occupés, à l'exclusion notable de la Palestine historique. L'accord de Nasser à ces pourparlers a été perçu par beaucoup comme une profonde désillusion

Cette analyse n'a pas pour objet d'examiner l'impact durable de Nasser, qui reste un sujet très controversé parmi les Arabes précisément en raison des opinions contrastées qu'il suscite : fondateur du panarabisme moderne et figure importante de la lutte anticolonialiste pour certains, leader faible et égocentrique pour d'autres

Une question plus urgente se pose toutefois quant au timing : qui a intérêt à semer le doute sur la position de Nasser sur la libération de la Palestine à l'heure où les populations palestiniennes et arabes exhortent leurs gouvernements à prendre des mesures unifiées et fermes pour défier Israël ?

La tentative de discréditer le statut respecté de Nasser en le présentant comme une "pseudo-idole" sert probablement les intérêts des gouvernements arabes qui n'ont pas pris de mesures significatives pour demander des comptes à Israël quant à ses opérations en cours à Gaza. Compte tenu du secret qui entoure habituellement les instances officielles arabes, on ne peut s'empêcher de soupçonner une motivation cachée, et potentiellement plus inquiétante, derrière la publication de cet enregistrement.

Néanmoins, pour les Palestiniens, cette révélation, indépendamment de son authenticité ou du moment où elle survient, n'aura probablement pas d'impact significatif Contrairement à la génération post-Nakba, les Palestiniens d'aujourd'hui ont largement dépassé les attentes irréalistes d'une libération par les Arabes. Ce rêve autrefois cher, peut-être un fantasme, a été érodé par des décennies de déceptions et d'attentes non satisfaites.

On pourrait même affirmer que les  événements majeurs du 7 octobre et la résistance actuelle à Gaza, deux initiatives palestiniennes, ont clairement montré que les Palestiniens ont largement surmonté la barrière psychologique consistant à attendre une aide réelle des Arabes

Il ne s'agit pas là de simples spéculations. Le langage des Palestiniens de Gaza et de leurs chefs de la résistance, qui ne dépendent plus des appels officiels arabes aux armes, témoigne de ce changement. Leur position collective est compréhensible, les États arabes ayant largement échoué à aider concrètement les Palestiniens de Gaza, certains coopérant activement avec les États-Unis de manière à soutenir Israël et saper les aspirations palestiniennes

En effet, les attentes des Palestiniens à l'égard du monde arabe ont changé. Ils n'attendent plus d'appel aux armes ou d'embargo total sur Israël, mais plutôt la cessation de toute action soutenant l'adversaire contre les deux millions de personnes assiégées à Gaza.

Si Nasser était aujourd'hui à la tête de l'Égypte, il aurait peut-être évité un conflit militaire direct avec Israël et ses alliés. Il n'aurait tout au moins pas été un soutien clé des intérêts américains, israéliens et occidentaux dans la région, pas plus qu'il se serait aligné sur Washington et Tel-Aviv en sapant la détermination de la Résistance. Ces modestes attentes sont ce qui reste aujourd'hui, soulignant un changement significatif induit par une période de grande vulnérabilité du monde arabe, à la limite de la servilité.

Traduit par  Spirit of Free Speech

Savage Minds

Unveiling Nasser's Secrets

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