08/06/2023 infomigrants.net  6min #229599

Lituanie : la détention arbitraire des demandeurs d'asile déclarée inconstitutionnelle

Des migrants enfermés dans le centre de Pabradé en Lituanie, le 6 juillet 2021. Crédit : Reuters

Nouveau revers pour Vilnius. La Cour constitutionnelle a estimé mercredi 7 juin que la détention de migrants arrivés illégalement en Lituanie était contraire à la Loi fondamentale. Le texte est anticonstitutionnel car il « ne permet pas d'étudier la situation personnelle de chaque individu », selon l'arrêt de la Cour, qui fait suite à une plainte déposée par un Irakien maintenu en détention pendant six mois en 2021.

Le 13 juillet de la même année,  le Parlement lituanien a adopté une loi autorisant notamment la détention à grande échelle des demandeurs d'asile. Depuis, dès que les exilés parviennent à franchir la frontière entre la Biélorussie et la Lituanie, ils sont systématiquement placés dans des centres fermés. Leur détention, prévue dans un premier temps pour une durée de six mois, a été allongée à 12 mois en décembre 2021 via des amendements.

« Nous n'avions pas d'autres moyens pour nous protéger »

Agne Bilotaite, ministre de l'Intérieur depuis fin 2020, a réagi rapidement après la décision du Conseil constitutionnel. « Nous n'avions pas d'autres moyens pour nous protéger », a-t-elle dit, jugeant la loi « nécessaire » à la sécurité nationale. « Si je devais prendre à nouveau ce genre de mesures, je le ferais », a jouté Agne Bilotaite.

Des migrants dans le centre de Rudninkai, en Lituanie. Crédit : InfoMigrants

Du côté des organisations de défense des droits humains l'arrêt de la Cour est en revanche un soulagement. « C'est un clair avertissement aux responsables politiques lituaniens : la Lituanie est un État de droit », a martelé à l'AFP Jurate Juskaite, qui dirige le centre lituanien pour les droits humains. « Ce genre de lois, qui permettent que des personnes soient détenues sans décision de justice, sont acceptables dans le régime (du président bélarusse Alexandre) Loukachenko mais pas dans un État démocratique de l'Union européenne », a-t-elle ajouté.

Le texte avait déjà été pointé du doigt l'année dernière par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Elle avait considéré que placer en détention automatique des demandeurs d'asile, au seul motif qu'ils sont entrés illégalement en Lituanie, est incompatible avec la législation de l'UE.

Mais Vilnius a fait la sourde oreille et a continué la même politique. Depuis la promulgation de la loi en juillet 2021, plus de 10 000 migrants ont été détenus en Lituanie alors qu'ils tentaient de pénétrer dans le pays, d'après le ministre des Affaires intérieures.

« Conditions inhumaines » dans les centres de détention

La situation dans ces centres fermés a été maintes dénoncée par les associations.  Amnesty international a enquêté en 2022 sur « l'enfermement arbitraire de milliers » de migrants en Lituanie. Selon l'ONG, les personnes sont détenues pendant des mois dans « conditions sordides dans des centres ressemblant à des prisons ».

Médecins sans frontières (MSF) s'était quant à elle dit, l'an dernier,  « extrêmement préoccupée » par la détention extra-judiciaire des exilés. L'ONG médicale avait affirmé que les « conditions inhumaines » dans lesquelles sont retenus les exilés et le manque de « procédure d'asile équitable » provoquent chez eux une « détresse psychique et mentale ».

Les migrants se disent victimes de violences et de racisme dans les centres de détention lituaniens. Crédit : Picture alliance

InfoMigrants a reçu  nombre de témoignages de personnes racontant leur quotidien en détention. Plusieurs exilés, enfermés dans le centre Pabradé, ont fait état à la rédaction d'intimidation et de racisme de la part des gérants du camp et, parfois, des garde-frontières. « Certains militaires entrent [dans les habitations] avec leurs armes, d'autres ont des tasers. Parfois aussi, ils viennent avec des chiens. Ça fait peur de les voir dans nos chambres »,  avait témoigné Éric, en février. Et d'ajouter : « Certains militaires nous insultent, nous traitent 'd'extra-terrestres' ou de macaques' ».

Les défenseurs des droits pointent aussi régulièrement les atteintes au droit d'asile dans ces structures. Pour Amnesty, « le système d'assistance juridique en place es une imposture ». Les avocats qui représentent les demandeurs d'asile lors des procédures « sont recrutés par le Service de l'immigration alors qu'ils sont censés contester les décisions de ce même service, ce qui les expose donc à un risque de conflit d'intérêts », écrivait l'ONG l'année dernière.

Le camp de Kybartai, à l'ouest de la Lituanie. Crédit : Diala Ghassan / MSF

Pire, des employés du gouvernement en charge des dossiers d'asile ont déclaré à la presse locale avoir été poussés à mener des semblants d'entretiens d'asile dans le but de contraindre les exilés à retourner volontairement dans leur pays d'origine. Après l'entrevue d'une vingtaine de minutes, les fonctionnaires devaient rapidement décider si elles devaient enregistrer le migrant comme « clandestin » ou « demandeur d'asile », ce qui déterminerait son futur.

Des citoyens autorisés à repousser les migrants

Ces mesures ont été mis en place quelques semaines après  l'arrivée de milliers de migrants qui tentaient d'entrer dans l'UE via ce petit pays balte.

La Lituanie a fait valoir que  cet afflux était une « attaque hybride » orchestrée par le régime biélorusse en représailles aux sanctions internationales prises contre Minsk.

Le nombre des tentatives de passage a diminué depuis mais les garde-frontières lituaniens continuent à refuser l'entrée à plusieurs dizaines de migrants par jour.

Un mur a été construit à la frontière entre la Lituanie et la Biélorussie. Crédit : Reuters

L'année dernière,  la Lituanie a achevé la mise en place d'une clôture en fils barbelés haute de quatre mètres le long de la frontière avec la Biélorussie. Elle s'étend sur environ 550 des 700 kilomètres de cette frontière.

Le 25 avril dernier,  une nouvelle loi promulguée en Lituanie permet à des citoyens « volontaires » de patrouiller le long de la frontière. Ces bénévoles sont autorisés à faire usage de la force pour repousser les exilés dans le pays voisin. Ils peuvent aussi procéder à des arrestations.

Une nouvelle fois, les ONG ont fait part de leurs inquiétudes. Elles craignent d'éventuels « dérapages » et critiques des violations du droit international.

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