Par M.K. Bhadrakumar - Le 9 mai 2025 - Indian Punchline
L'un des aspects les plus tristes de l'évolution de l'Inde vers un État de sécurité nationale au cours de la dernière décennie, depuis que notre défunt « premier ministre pacifiste », Manmohan Singh, a pris le pouvoir, a été l'atrophie progressive et l'éclipse virtuelle, aujourd'hui, du mouvement pacifiste dans notre pays.
La mort du mouvement pacifiste marque un échec colossal des partis de gauche en Inde, qui ont toujours été sur ses barricades, mais qui sont entrés en hibernation et sont dans un état de torpeur. Cette situation est largement imputable à l'état d'esprit défaitiste qui a prévalu ces dernières années et à l'absence de leadership.
En réalité, ils ont choisi de disparaître. Les partis communistes n'ont jamais été un groupe politique important en Inde, mais à travers les hauts et les bas, ils ont toujours eu une image et une influence plus grandes que nature et leur voix inspirait le respect. Ce qui les distinguait, c'était leur audace. Mais aujourd'hui, ils ont complètement cessé de courir avec les lièvres et semblent même parfois préférer chasser avec les chiens.
Alors que les nuages de la guerre s'amoncellent à l'horizon, ils prennent des mesures expéditives et quittent les barricades du mouvement anti-guerre. En effet, la scène lugubre d'aujourd'hui est si décourageante parce que, contrairement à 1962, cette guerre est surréaliste et est menée avec enthousiasme et tromperie (par les deux parties), alimentée par une angoisse existentielle liée au problème non résolu du Cachemire.
Une personne a écrit dans les médias sociaux avec un sentiment de désespoir sur ce qu'elle voit autour d'elle : « Je ne suis pas une rédactrice en chef réputée, obligée de retirer une page sous la pression du gouvernement. Je n'ai pas à m'occuper de pièces d'avion dans des champs et à conjecturer comment elles sont arrivées là, ni à reproduire les déclarations molles de partis politiques... Congrès, CPI, CPI M, Owaisi, tous les libtards... Même si les tueurs sont en liberté... »
La dernière partie est importante. Une fois le brouillard du guerre tombé sur les champs de bataille, les objectifs qui ont poussé notre pays à se lancer dans une guerre sont oubliés. Même les Indiens les plus érudits se réjouissent que le système de défense aérienne de Lahore ait été détruit par un drone indien (bien que la BBC signale poliment qu'il n'y a pas de « confirmation indépendante » de la déclaration indienne). Néanmoins, hier après-midi, le conducteur d'une voiture qui me ramenait d'un déjeuner a déclaré en hindi, dans un élan de jubilation : « Monsieur, nous sommes en train de les mettre hors d'état de nuire à Lahore, Rawalpindi et Karachi... ils n'ont nulle part où se cacher ». Et il a utilisé un juron.
C'est là que les partis politiques de l'opposition pourraient jouer un rôle positif en offrant à la nation des perspectives qui donnent à réfléchir et en guidant l'opinion publique. À un moment donné, la raison d'être de la désescalade fera surface. Il est improbable que la désescalade vienne à nouveau des Américains, qui ont bien mieux à faire sous le mandat de Trump.
Le vice-président américain JD Vance a déclaré qu'une guerre potentielle entre l'Inde et le Pakistan ne serait « pas notre affaire ». Il a ajouté sur un ton quelque peu dérisoire : « Nous voulons que la situation se désamorce le plus rapidement possible. Mais nous ne pouvons pas contrôler ces pays«.
Au train où vont les choses, les élites politiques qui sont montées sur leurs grands chevaux auront du mal à descendre lorsque la désescalade deviendra une nécessité impérieuse. Elles sont en train de se piéger elles-mêmes. C'est une raison de plus pour que les partis d'opposition responsables se positionnent en conséquence.
En d'autres termes, ils devraient opter pour une position de modération et de raisonnement. Si la transparence n'est pas permise dans le débat public, une dialectique risque de s'installer entre le chauvinisme et la rhétorique politique stridente (embellie par les médias) qui pourrait bloquer la trajectoire de la guerre, qui n'a en fait pas encore commencé et qui peut encore être évitée.
Nos médias ne sont plus en mesure de jouer ce rôle. En fait, ceux d'entre nous qui connaissent la langue anglaise préfèrent s'en remettre aux médias étrangers réputés pour leur objectivité afin de se faire une idée de ce qui se passe - ou de ce qui pourrait se passer si l'odyssée actuelle, très émotionnelle, se poursuivait.
Le magazine The Economist, qui a une grande tradition journalistique, a titré son éditorial de mercredi de la manière suivante : « La chance se trouve entre la désescalade et le désastre pour l'Inde et le Pakistan ». Comme l'article se trouve derrière un paywall, je me permets d'en reproduire quelques extraits :
« Le spectacle de l'Inde et du Pakistan vacillant au seuil de la guerre, puis reculant, est à la fois alarmant et familier. Cette fois-ci, les chances de désescalade restent favorables, comme par le passé. Pourtant, les deux dernières semaines ont montré que les relations entre les deux puissances nucléaires [...] sont de plus en plus instables et dangereuses. Il est plus important que jamais que les deux parties s'attaquent à leurs différends, notamment à la complaisance inconsidérée du Pakistan à l'égard des groupes militants, qui les menacent eux-mêmes et menacent l'Inde.Les duels d'artillerie le long de la frontière de facto au Cachemire gagnent en intensité et tuent des civils... Ce schéma s'est déjà produit à plusieurs reprises depuis 2000. La combinaison d'un Pakistan instable, d'une course aux armements et de l'indifférence extérieure est dangereuse... il existe une voie de sortie de l'Armageddon.
Malheureusement, si l'on ne s'attaque pas aux causes sous-jacentes du conflit, celui-ci ne manquera pas de reprendre de plus belle. L'Inde doit mettre fin à sa répression autodestructrice de la partie du Cachemire qu'elle contrôle. Celle-ci est à majorité musulmane et a été soumise à une administration plus centralisée depuis 2019, ce qui a entraîné une militarisation, des restrictions à la liberté d'expression et des violations des droits de l'homme. Mais le plus gros problème est la tolérance du Pakistan à l'égard des militants, qu'il considère depuis longtemps comme une source d'influence asymétrique... La stratégie habituelle du Pakistan consiste à parrainer des attaques déstabilisantes, puis à appeler à la stabilité...
Avec un peu de chance, la dernière flambée de violence s'inscrira dans le schéma habituel. Mais tôt ou tard, la chance tournera ».
L'éditorial critique le soutien du Pakistan au terrorisme et souligne que la communauté internationale devrait exercer une pression soutenue sur ce pays pour qu'il s'amende. Cela n'empêche pas le magazine d'appeler un chat un chat. Il reconnaît également que l'Inde doit s'attaquer aux causes profondes du problème. Nos partis d'opposition, en particulier les communistes et le Congrès, doivent à la nation d'exprimer des opinions constructives et équilibrées dans une telle situation de crise nationale. S'ils manquent d'idées, l'éditorial de The Economist peut leur servir de guide.
Comme le dit l'adage, le patriotisme est le dernier refuge des crapules. Nos notions de patriotisme ne peuvent qu'alimenter le chauvinisme, qui, comme le montre l'histoire moderne, est voué à revenir comme un boomerang à un moment ou à un autre. Le 9 mai nous le rappelle cruellement : c'est le 80e anniversaire de la défaite de l'Allemagne nazie.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.