29/11/2021 entelekheia.fr  10min #198600

Mccloy, l'Américain pro-nazi qui a aidé à façonner l'Allemagne d'après-guerre

John McCloy, dont il va être question ici, n'est pas, et de très loin, le seul Américain haut placé dont les sympathies le portaient vers l'Allemagne nazie. On pourra aussi lire, par exemple, sur  Prescott Bush, le père et grand-père de deux présidents des USA et ce n'est que le début d'une longue liste  amplement documentée.


Par Kit Klarenberg
Paru sur  RT sous le titre The pro-Nazi US official who helped shape post-war Germany
Des dossiers du FBI récemment déclassifiés ont jeté une lumière importante sur les accointances nazies de John McCloy, l'assistant au Secrétaire d'État américain à la guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, révélant une proximité dans ses relations qui n'était pas connue auparavant.

McCloy est un personnage extrêmement important de l'histoire des États-Unis au XXe siècle : outre son rôle pendant la guerre, il a été président de la Banque mondiale, haut-commissaire des États-Unis pour l'Allemagne, président du think tank Council on Foreign Relations et conseiller de tous les présidents, de Franklin D. Roosevelt jusqu'à Ronald Reagan. [1]

Que McCloy ait  effectué un travail juridique important pour plusieurs entreprises de l'Allemagne nazie avant la guerre - dont le géant de la chimie IG Farben, célèbre pour avoir fabriqué le Zyklon B, le gaz à base de cyanure utilisé dans les camps d'extermination pendant l'Holocauste - et qu'il se soit enrichi au passage est un fait relativement bien connu, mais généralement relégué à une note de bas de page dans ses biographies officielles.

Cependant, les  documents nouvellement publiés [2] montrent avec force détails que ses liens avec l'appareil nazi étaient bien plus profonds et plus suivis qu'une simple relation commerciale. On notera en particulier un mémorandum officiel datant de janvier 1953, préparé par l'agent spécial du FBI D.M. Ladd pour Edward Allen Tam, directeur adjoint du Bureau, à sa demande expresse, qui offre « un résumé des informations de nos dossiers concernant John McCloy ».

On y apprend qu'en septembre 1939, quelques semaines à peine après l'invasion de la Pologne par l'Allemagne et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, McCloy s'est adressé au bureau du FBI à New York, l'informant qu'un ressortissant allemand résidant dans le New Jersey, qui avait effectué un travail « considérable » pour lui dans le cadre de récents litiges liés au  sabotage présumé d'usines de munitions aux États-Unis, envisageait de déménager dans un autre État en raison d'antipathies locales à son encontre.

McCloy a déclaré qu'il annonçait cette intention car il ne voulait pas que les autorités soupçonnent son associé « d'essayer d'éviter la détection du FBI. » Ironiquement, le mémorandum note que l'individu en question était en fait un « agent allemand connu », qui faisait à l'époque l'objet d'une enquête de contre-espionnage diligentée par le Bureau.

Plus important encore, le dossier explique en détail comment, à la mi-octobre 1940, un mois après la nomination de McCloy au poste de Secrétaire adjoint à la guerre, et alors que la Luftwaffe menait une guerre éclair sur Londres toutes les nuits, McCloy avait informé le quartier général du FBI qu'il « connaissait personnellement de nombreux responsables du gouvernement nazi, y compris [Hermann] Goering, avec qui il entretenait une amitié personnelle assez étroite ».

Il a poursuivi en révélant que, « il y a peu de temps », quelqu'un qu'il connaissait avait appelé du bureau de Goering à Berlin, déclarant qu'une personne entrerait bientôt en contact avec lui, « et que toute déclaration que cette personne ferait à McCloy serait faite au nom de Goering et du gouvernement allemand actuel ».

Cette personne anonyme a effectivement pris contact par la suite, disant à McCloy qu'elle avait « reçu l'ordre de s'assurer les services de quelqu'un aux États-Unis comme « vitrine » d'un mouvement pacifiste qui ne devait pas sembler être d'inspiration allemande ».

Il aurait refusé d'apporter son aide, et on ne sait pas si le projet d'astroturfing [3] s'est concrétisé ou s'il a été examiné par le FBI. Néanmoins, le fait que des nazis de haut rang aient été disposés à l'informer d'activités clandestines prévues sur le sol américain, malgré son rôle au sein du gouvernement, illustre le lien « plutôt étroit » auquel il avait fait référence. En outre, s'il n'était apparemment pas disposé à aider les nazis à cette occasion, il allait plus que compenser cette trahison en tant que haut-commissaire américain pour l'Allemagne.

McCloy a  dit un jour de son mandat en Allemagne, qui a duré de septembre 1949 à août 1952, « J'avais les pouvoirs d'un dictateur mais je pense que j'étais un dictateur bienveillant. » Il a  gracié des dizaines de criminels de guerre nazis, libérant ou réduisant les peines de la plupart des chefs d'escadrons d'extermination SS, tout en reconnaissant que leurs crimes étaient « historiques par leur ampleur et leur horreur », et n'a exécuté que cinq des 15 condamnations à mort prononcées lors des procès de Nuremberg.

Dans un rebondissement glaçant, McCloy  opérait depuis le siège de son ancien client IG Farben - 23 de ses directeurs, parmi lesquels des membres de la SS, avaient été jugés pour crimes de guerre, et 13 condamnés. En 1951, tous ont été libérés. L'industriel allemand Alfried Krupp, condamné à 12 ans de prison pour crimes contre l'humanité en raison de la manière génocidaire dont il employait des esclaves dans ses usines, a également  été gracié.

Pour sa part, le chef du contre-espionnage de la Gestapo, Klaus Barbie, n'a carrément pas été poursuivi du tout par les forces d'occupation américaines - en fait, il avait  été recruté comme espion et a rendu compte des activités des services de renseignement français dans la zone d'occupation allemande de la France, bien que Paris l'ait condamné à mort par contumace la même année pour les innombrables crimes contre l'humanité qu'il avait commis alors qu'il était en poste dans le pays, sous le régime de Vichy.

Lorsque les Français ont appris que le  « Boucher de Lyon » travaillait pour les États-Unis, ils ont demandé directement à McCloy de le leur remettre. Il a refusé, affirmant que « les allégations des citoyens de Lyon ne peuvent être prises en compte car elles ne sont que des ouï-dire ». Le haut-commissaire savait pourtant que ce qu'il disait était faux. Le nom de Barbie, semble-t-il, était répertorié dans le propre bureau de McCloy comme faisant partie du CROWCASS, le Registre central des criminels de guerre et des suspects pour la sécurité, qui notait qu'il était recherché pour « le meurtre de civils, et la torture et le meurtre de personnel militaire. »

Barbie s'est installé en Bolivie en 1951 avec l'aide des États-Unis, par l'intermédiaire d'une  « ratline » de la Central Intelligence Agency. C'était l'un des nombreux nazis qui avaient fui en Amérique latine pour échapper à la justice. Il a ensuite  participé à une série de coups d'État de la CIA dans la région, a formé des agents de la CIA et des enquêteurs militaires à la torture et a même  joué un rôle dans la traque et la capture du révolutionnaire argentin Che Guevara.

Lire aussi  Cocaïne : Klaus Barbie, les USA et la connexion nazie

En 1965, il a également été  recruté par le Bundesnachrichtendienst, le service de renseignement extérieur de l'Allemagne de l'Ouest, sous le nom de code « Adler » (aigle). Au passage, les origines de cette agence remontent à McCloy. En 1950, il avait  nommé Reinhard Gehlen - chef des services de renseignements militaires nazis pour le front de l'Est, responsable de la gestion des unités de guérilla collaborationnistes antisoviétiques et de la mise en œuvre d'un programme d'interrogatoire brutal de prisonniers de guerre soviétiques - conseiller du gouvernement ouest-allemand en matière de renseignements.

À ce moment-là, Gehlen avait dirigé pendant cinq ans un réseau d'espionnage composé d'anciens officiers de la Wehrmacht et de la SS axé sur l'Union soviétique pour le compte de l'armée américaine, qui, en 1947, était devenue étroitement affiliée à la CIA [qui venait d'être créée, NdT]. En 1956, l'Organisation Gehlen a été officiellement transférée au gouvernement ouest-allemand, qui l'a rebaptisée Bundesnachrichtendienst (BND). Gehlen en a été le premier président jusqu'à sa retraite en 1968.

Gehlen avait été  mis à l'abri de toutes poursuites, et en fait avait été recruté pour diriger l'organisation par Allen Dulles, qui allait plus tard devenir le premier chef de la CIA. Renvoyé de son poste par le président John F. Kennedy à la suite du fiasco de la baie des Cochons en 1961, Dulles a ensuite été nommé à la tête de la Commission Warren, qui a enquêté sur l'assassinat de Kennedy. Il en était allé de même pour son ami de longue date, McCloy, qui  affirmait être arrivé sur l'enquête « en pensant qu'il y avait une conspiration », mais qui en est ressorti convaincu que Lee Harvey Oswald avait agi seul.

L'influence de Dulles y était  pour beaucoup - le chef du service d'espionnage déchu avait également tenté d'influencer les autres membres de la commission, en  distribuant aux membres, lors d'une première réunion, des exemplaires d'un livre selon lequel les assassins de présidents sont toujours des marginaux et des solitaires, et en déclarant : « Vous trouverez ici un schéma que nous retrouverons, je pense, dans cette affaire ».

Cependant, trois membres de la commission - Richard Russell, Thomas Hale Boggs et John Sherman Cooper - n'étaient toujours pas convaincus qu'Oswald avait agi seul. En fin de compte, McCloy avait inséré une clause dérogatoire dans la conclusion du rapport pour s'assurer de l'adhésion du trio à ses conclusions, en déclarant que toute indication éventuelle d'une conspiration était « hors de portée » des forces de l'ordre américaines, de la CIA et du FBI - et de la commission elle-même.

Traduction et note de présentation Corinne Autey-Roussel
Photo: Yoichi R. Okamoto, McCloy en 1966 / Wikimedia Commons

Notes de la traduction :

[1] McCloy a également été secrétaire de la Chase Manhattan Bank, de la Ford Foundation, membre du conseil d'administration de la Rockefeller Foundation et autres, et a travaillé pour l'oligopole pétrolier dit « Seven sisters », notamment contre le projet de nationalisation du pétrole libyen. A cause de son statut et de son influence, il a été baptisé « Secrétaire de l'Establishment » des USA. [2] Si les Américains sont coutumiers de déclassification de documents révélateurs de manigances sordides passées, ce n'est pas par gentillesse, ou à cause d'éventuels remords, mais parce qu'une loi dite « FOIA » (Freedom of Information Act) peut les obliger à publier des dossiers secrets sur décision de justice. Il semble que ce soit le cas ici. [2] L'astroturfing, du nom d'une marque de pelouse artificielle, est une méthode de manipulation de l'opinion publique qui consiste à créer des fausses organisations « spontanées » ou des faux militants. Les « fermes à trolls » actuelles - des désinformateurs seuls ou en groupes sur les réseaux sociaux - s'inscrivent dans cette tactique.

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