Source : RollingStone
Une étude sur la montée du niveau des océans révèle que certaines parties de l'Asie et du Moyen-Orient sont bien plus menacées que nous le pensions.
De temps en temps, les climatologues publient une nouvelle étude qui précise à quel point la crise climatique est grave pour des millions de personnes dans le monde. L'un de ces articles a été publié dans Nature Communications par des scientifiques de Climate Central. L'article corrige ce qui était avant tout une erreur dans les données des calculs précédents quant au nombre de personnes qui sont exposées au risque d'une montée des eaux.
Selon cette analyse, environ trois fois plus de personnes risquent d'être submergées par la montée des eaux que ce qui avait été rapporté précédemment - 150 millions de personnes vivent maintenant sur des terres qui se retrouveront en dessous des zones de pleine mer d'ici 2050. Et c'est un scénario optimiste, où le réchauffement est contenu à 2°C et où les calottes glaciaires ne s'effondrent pas dans un avenir proche. Dans un scénario plus pessimiste, les chiffres doublent pour atteindre 300 millions de personnes submergées d'ici 2050. Cela équivaut à peu près à toute la population des États-Unis submergée au cours des trois prochaines décennies.
L'étude révèle qu'environ 70 % des personnes actuellement à risque se trouvent dans huit pays asiatiques : Chine, Bangladesh, Inde, Vietnam, Indonésie, Thaïlande, Philippines et Japon. Dès 2050, la majeure partie du Sud Vietnam pourrait disparaître à marée haute, ce qui mettrait 20 millions de personnes sous l'eau. En Thaïlande, 10 % de la population vit sur des terres qui seront inondées, contre 1 % actuellement. Une grande partie de Bangkok et de Mumbai [anciennement Bombay, NdT], deux centres financiers d'Asie qui abritent des dizaines de millions de personnes, risque d'être inondée dans les décennies à venir.
Pourquoi cette importante réévaluation de notre perception du risque d'élévation du niveau de la mer ?
Jusqu'à présent, le calcul du risque d'élévation du niveau de la mer dépendait largement de deux variables : premièrement, la vitesse à laquelle les émissions de carbone continueront d'augmenter, ce qui affecte la vitesse à laquelle le climat continue de se réchauffer ; deuxièmement, la réactivité des glaciers à cette augmentation, particulièrement dans la région occidentale de l'Antarctique qui représente la variable des projections futures en ce qui concerne la montée des océans (il en est beaucoup plus question dans The Big Melt, un nouveau livre audio sur ma dernière expédition en Antarctique). [La grande fonte : ouvrage non traduit, NdT]
Cependant, une des variables largement négligée est la hauteur réelle des terres le long des côtes, ainsi que le nombre de personnes qui y vivent. Après tout, lorsqu'il s'agit de l'élévation du niveau de la mer, ce qui importe, ce n'est pas seulement la hauteur de l'eau, mais aussi la hauteur de la terre qui se trouve au niveau de l'eau. Trois pieds [91 centimètres, NdT] d'élévation du niveau de la mer dans le sud de la Floride, qui est une région basse, plate et densément peuplée, auront un impact beaucoup plus important que 3 pieds d'élévation le long de la côte élevée, rocheuse et peu densément habitée de l'Oregon et du Maine.
Cela fait des années que les scientifiques savent que les mesures de relief des côtes sont approximatives. Les altitudes sont basées sur les données de la mission Endeavor de la navette spatiale de 2000, qui a utilisé un radar spatial pour créer une carte topographique du monde civilisé (l'Arctique et l'Antarctique en étaient omis). Cela a bien fonctionné dans certaines régions, mais le radar a souvent mal interprété la partie supérieure des bâtiments et la cime des arbres en les prenant pour la surface des terres, ce qui a entraîné des mesures altimétriques qui étaient décalées de 10 pieds ou plus [300 m et plus, NdT]. Et c'est un vrai problème lorsque l'on essaie de calculer le risque d'inondation, où même 6 pieds d'altitude entraînent de grandes conséquences. [182 m, NdT]
Aux États-Unis, en Europe et en Australie, les problèmes de mesure de la hauteur des côtes ont été corrigés grâce au LIDAR (Light Detection and Ranging), qui est en fait une méthode pour tirer au laser depuis un avion pour mesurer le contour du sol. C'est beaucoup plus précis que les radars spatiaux, mais c'est aussi coûteux et prend beaucoup de temps.
Mais il n'existait pas de données LIDAR accessibles au public pour l'Asie, l'Afrique et le Moyen-Orient, ce qui rendait difficile pour les scientifiques le calcul précis des risques d'élévation du niveau de la mer dans ces régions. C'était particulièrement un problème en Asie, où la région est basse et plate et où la végétation dense permettait de confondre facilement la cime des arbres avec la terre qui se trouvait au-dessous.
« Dès 2014, nous savions que les données topographiques conduisaient à une forte sous-estimation du risque d'élévation du niveau de la mer », explique Ben Strauss, coauteur de ce rapport.
« Nous avons passé quelques années à chercher de meilleures données. Puis, il y a trois ans, nous avons perdu patience. Au lieu d'attendre de meilleures données, nous avons décidé de le faire nous-mêmes. »
Strauss et Scott Kulp, informaticien à Climate Central, ont en substance trouvé un moyen pour recourir à l'intelligence artificielle afin d'imiter le travail du LIDAR. Nous avons examiné 50 millions de points de données sur la côte américaine et avons dit à l'ordinateur : « Voici l'altitude, voici ce que le radar de la navette spatiale pense que la donnée représente, et donc fais un modèle qui répare l'erreur ». Strauss et Kulp ont comparé leur modèle aux données d'autres régions des États-Unis et de l'Australie, où ils disposent de données altimétriques précises et ont découvert le modèle d'IA (connu sous le nom de CoastalDEM) qui pouvait faire la correction précise des altitudes et à certains endroits cela allait de 10 pieds (300m) à 1 pouce (2,5 cm).
Lorsqu'ils ont réanalysé les données de la navette spatiale avec le nouveau modèle, les résultats ont été étonnants. Et pas dans le sens positif du terme.
D'une part, Strauss et Kulp ont découvert que les variations au niveau des risques dues à des erreurs antérieures dans les données altimétriques « dépassent les effets combinés du niveau des émissions, du comportement de l'Antarctique, et de l'intégration des inondations annuelles, évalués en utilisant [les données de la navette spatiale] ». En d'autres termes, une simple correction des données altimétriques a éclipsé tout calcul de l'élévation du niveau des océans résultant de la quantité de combustibles fossiles que nous consommons, ou de leur augmentation si les grandes banquises deviennent aussi fragiles que certains scientifiques le craignent.
Par exemple, l'analyse précédente des risques d'inondation à l'aide des données de la navette spatiale, dans le cadre de scénarios d'émissions élevées et d'instabilité en Antarctique, a révélé que 95 millions de personnes vivront sous la ligne de haute mer moyenne en 2100. Dans la nouvelle analyse, même avec un scénario de faibles émissions et des calottes glaciaires relativement stables, 190 millions de personnes vivront sous la ligne de flottaison.
En d'autres termes, avec ces nouvelles données, même le meilleur scénario concernant les risques d'inondation futurs est deux fois plus mauvais que le pire scénario précédent.
Les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises dans cette étude. En positif, Strauss et Kulp ont constaté que 110 millions de personnes vivent déjà dans des zones situées sous le niveau de pleine mer, principalement derrière des digues et autres barrières. « Cela me laisse un certain espoir quant à notre capacité d'adaptation », dit Strauss, bien qu'il souligne également que ces barrières et digues ne seront probablement pas suffisantes à mesure que le niveau de la mer montera en flèche dans les années à venir.
Aussi importante que puisse être cette étude, dit Strauss, « ce ne sont pas des résultats définitifs ». De nouveaux satellites dotés d'une meilleure technologie seront lancés au cours des prochaines années, ce qui ouvrira la voie à des mesures altimétriques plus précises depuis l'espace. Et l'étude ne tient pas compte de la nature dynamique de la terre elle-même, comme l'érosion qui se produit lorsque la mer monte. Ou le fait que, dans de nombreux endroits, les terres s'enfoncent rapidement, souvent à cause du pompage des eaux souterraines.
L'étude fait également abstraction du fait que l'élévation du niveau de la mer n'est pas la même partout. Par exemple, de 2011 à 2015, une étude coécrite par Andrea Dutton, lauréate du prix MacArthur, a révélé que les mers ont augmenté trois fois plus vite que la moyenne mondiale sur certaines parties de la côte atlantique, en partie à cause des impacts d'El Niño.
Comme la plupart des sciences du climat fondées sur des données, la chose la plus importante que l'étude laisse de côté est l'élément humain. Elle ne tient pas compte du type de nouvelles défenses qui pourraient être construites pour se protéger contre la montée des eaux - murs, barrières, digues. Ou comment les gens pourraient s'adapter d'autres manières, avec des canaux de type Venise ou des structures flottantes.
Elle ne tient pas compte non plus des facteurs politiques et économiques, tels que la rapidité avec laquelle la valeur des propriétés diminuera à mesure que le risque d'inondation augmentera et l'impact que cela aura sur les recettes fiscales et les administrations locales. Ou à quel point les gens se battront pour rester sur leur terre en voie de submersion, même s'il est plus sensé de fuir. Ou, plus important encore, combien de millions de personnes seront déplacées, et où elles iront, et comment elles seront traitées par les gens qui vivent sur des territoires plus élevés.
Il est impossible de penser à la submersion du sol sous les pieds de centaines de millions de personnes et de ne pas penser aux misères, à la souffrance, à la guerre. En fin de compte, le véritable facteur X de cette étude n'a rien à voir avec l'élévation du sol ou la montée des mers, et tout à voir avec les vastes mystères du cœur et de l'esprit humains.
Source : RollingStone
Traduit par les lecteurs du site les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.