Par Ian Proud, le 7 mai 2025
Arrêtez de déformer l'histoire pour créer de faux liens entre la Russie et l'Allemagne nazie.
L'un des arguments régulièrement avancés par les politiciens et les journalistes occidentaux est que toute concession faite à la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine serait assimilable à l'apaisement de l'Allemagne nazie avant la Seconde Guerre mondiale. Cela revient à simplifier à l'extrême et à déformer l'histoire à notre convenance, afin de prolonger une guerre que nous n'avons jamais eu l'intention de mener. Seuls les bellicistes de Bruxelles et de Londres en tirent profit.
Ils affirment que si nous faisons des concessions à la Russie, nous aurons apaisé le président Poutine de la même manière que nous avons apaisé Adolf Hitler avant la Seconde Guerre mondiale. Mais c'est réécrire l'histoire. L'apaisement a eu lieu lorsque les grandes puissances que sont la Grande-Bretagne et la France ont cherché à garantir la sécurité collective de l'Europe, en ramenant l'Allemagne sur le chemin de la paix tout en faisant face à la montée du communisme et aux conséquences de l'effondrement de l'Empire austro-hongrois.
L'apaisement était une approche, et non une décision individuelle ou une concession envers l'Allemagne, qui s'est poursuivie pendant plusieurs décennies après la fin de la Première Guerre mondiale. Les accords de Locarno de 1925 ont fixé les frontières d'après-guerre des grandes puissances et ont ouvert la voie à l'adhésion de l'Allemagne à la Société des Nations en 1926. Les puissances occidentales ont apaisé Hitler pendant des années, jusqu'en mars 1936, lorsque celui-ci envoya la Wehrmacht en Rhénanie, une région démilitarisée en vertu du règlement de Versailles. Puis vint l'Anschluss en Autriche en mars 1938. La Grande-Bretagne fit de même à la même époque, cherchant à normaliser ses relations avec l'Allemagne, craignant la menace soviétique dans le contexte de la grande dépression des années 30.
L'Allemagne était encore considérée comme une grande puissance industrielle, tout comme la Grande-Bretagne, et nos deux nations étaient unies par des liens historiques profonds. Tout au long des années 30, de hauts responsables politiques britanniques ont tenté des rapprochements, notamment l'ancien Premier ministre Lloyd George qui rendit visite à Hitler en Bavière et déclara : "L'Allemagne ne veut pas la guerre et craint une attaque de la Russie". Adolf Hitler considérait les Anglais comme des alliés naturels et des "Germaniques de souche". Le Royaume-Uni et l'Allemagne ont négocié un accord naval en 1935, autorisant les nazis à étendre leur marine au-delà des limites imposées par le traité de Versailles. Des efforts ont été consentis pour approfondir les liens économiques avec l'Allemagne nazie.
Un tel esprit d'apaisement n'a jamais existé entre la Grande-Bretagne et l'Union soviétique ou la Russie moderne
Nous avons enduré la guerre froide pour dissuader l'expansionnisme soviétique au cœur de l'Europe. Et la Fédération de Russie n'a jamais été considérée comme stratégiquement importante au XXIe siècle, contrairement à l'Allemagne après la Première Guerre mondiale. La Russie était plutôt largement perçue comme le vestige brisé et affaibli d'un empire soviétique honni. Il y a sans aucun doute eu des détentes ponctuelles dans les relations entre le Royaume-Uni et la Russie après 1991. Mais les efforts déployés par Tony Blair et David Cameron pour renouer le dialogue avec la Russie ont souvent été accueillis avec crainte, voire hostilité, par les médias britanniques, et aggravés par les événements en Tchétchénie, l'assassinat de Litvinenko et l'attaque à l'agent neurotoxique à Salisbury.
On peut dire que plutôt que concourir à la détente, nous avons pris la Russie de haut et mené des politiques telles que l'élargissement de l'OTAN, convaincus que nous ne rencontrerions qu'une résistance mineure.
La Grande-Bretagne a toujours considéré la sécurité en Europe dans les années 1930 comme dépendante des trois grandes puissances que sont le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, et cela reste vrai aujourd'hui. Nous allions pas nous battre pour la Tchécoslovaquie en 1938. Ni pour la Pologne en 1939. Ni pour l'Ukraine depuis 2014.
En 1938, les grandes puissances ont tourné le dos à la Tchécoslovaquie précisément parce qu'elle n'était plus qu'un vestige en lambeaux de l'empire austro-hongrois. Elle ne nous concernait pas.
À la veille de l'accord de cession des Sudètes à l'Allemagne nazie en septembre 1938, Neville Chamberlain a déclaré dans un discours radiodiffusé :
"N'est-il pas horrible, absurde, incroyable que nous creusions des tranchées et enfilions des masques à gaz à cause d'une querelle dans un pays lointain entre des gens dont nous ne savons rien ? Quelle que soit notre sympathie pour une petite nation confrontée à un voisin grand et puissant, nous ne pouvons sous aucune justification à engager l'ensemble de l'Empire britannique dans une guerre à sa seule cause. Si nous devons nous battre, l'enjeu doit aller bien au-delà".
Après avoir obtenu l'accord de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Italie fasciste pour revendiquer les Sudètes en septembre 1938, l'Allemagne nazie a ensuite envahi sans résistance le reste de la Tchécoslovaquie en mars 1939. Même lors de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France ont déclaré la guerre, mais ne se sont pas engagées dans les combats pendant huit mois, dans ce qui a été appelé la "drôle de guerre".
Ce n'est que lorsque l'Allemagne a envahi les Pays-Bas, la Belgique et une partie de la France le 10 mai 1940 que "l'esprit de Locarno" a été anéanti, propulsant Winston Churchill au poste de Premier ministre et engageant littéralement la bataille en Grande-Bretagne en juillet 1940, après le retrait catastrophique de Dunkerque.
La Grande-Bretagne n'a jamais été disposée à se battre pour l'Ukraine non plus, car ce pays n'est pas au cœur de l'Europe et est considéré comme un vestige politique et économique dysfonctionnel de l'époque soviétique, tout comme l'était la Tchécoslovaquie en 1938. Malgré nos encouragements énergiques à l'Ukraine pour qu'elle vainque la Russie sur le champ de bataille, nous n'avons à aucun moment été disposés à déployer des troupes britanniques dans un rôle de combat direct en Ukraine. Je ne compte même plus le nombre de diplomates européens influents qui ont déclaré que "nous ne nous battrons jamais pour l'Ukraine". Et ils ont tenu parole.
Bien sûr, d'aucuns diront qu'il était question d'apaisement, mais ce n'est pas mon avis. L'expansionnisme d'Hitler était ancré dans le concept du Lebensraum ["l'espaxe vital"], la volonté de créer un grand Reich germanique s'étendant jusqu'au Caucase, riche en pétrole. La Russie ne nourrissait aucune revendication territoriale particulière.
Le président Poutine a déclaré un jour :
"Ceux qui ne regrettent pas la disparition de l'Union soviétique manquent de cœur. Ceux qui veulent la restaurer manquent de cervelle".
Au début du XXIe siècle, la Russie était trop faible économiquement pour envisager d'absorber l'Ukraine ou tout autre ancien État soviétique.
Avant 2014, la Russie n'avait aucune revendication territoriale sur l'Ukraine. Elle bénéficiait d'un accord de longue date pour le stationnement de sa flotte en mer Noire à Sébastopol et entretenait des relations ouvertes et stables avec l'Ukraine.
Rien ne prouve que la Russie ait eu l'intention d'occuper la Crimée ou de fomenter des troubles dans le Donbass avant le début de l'année 2014. La réunification de la Crimée avec la Russie n'était sans aucun doute qu'une opportunité, justifiée par la protection de la population majoritairement russophone. Il en va de même pour le soutien militaire direct apporté par la Russie aux séparatistes du Donbass.
Même en 2014, après le début de la crise ukrainienne, de hauts responsables russes nous ont déclaré à l'ambassade britannique que leur pays n'avait aucune intention d'annexer le Donbass, une immense région industrielle en déclin.
De nombreux faits montrent que la Russie a cherché à résoudre le conflit dans l'est de l'Ukraine par la négociation et la décentralisation, afin de protéger les droits de la population russophone de cette région. Que Poutine ait reconnu Donetsk et Lougansk en tant qu'États indépendants, puis soit entré en guerre, n'a été motivé que par la rupture des accords de Minsk.
La guerre a poussé la Russie à revendiquer les quatre oblasts, prenant ainsi une nouvelle part de l'Ukraine et alimentant le discours occidental selon lequel d'autres régions de l'Ukraine, voire les États baltes, pourraient être les prochains sur la liste. Cependant, cette décision semble davantage motivée par l'opportuté que par un grand plan russe visant à conquérir toute l'Ukraine.
Rien ne prouve que la Russie envisage d'envahir les États baltes ou la Pologne. La Russie n'a aucun désir d'étendre son territoire alors que sa population n'est pas en mesure de défendre ses frontières actuelles. Entrer en guerre avec l'OTAN serait également un suicide politique pour le président Poutine, comme il l'a lui-même laissé entendre à plusieurs reprises.
Pourtant, les journalistes occidentaux et les politiciens baltes avancent ces arguments, établissant un parallèle avec Hitler, qui a rompu à plusieurs reprises ses engagements par des conquêtes militaires. L'apaisement a permis à l'Allemagne nazie de se réarmer tandis que la Grande-Bretagne et la France fermaient les yeux sur le démantèlement des vestiges de l'empire austro-hongrois. Jusqu'à ce que l'on se rende compte que Hitler avait nos yeux rivés sur nous.
Nous avons apaisé Hitler précisément parce qu'il représentait une menace existentielle pour la France et la Grande-Bretagne. Si vous pensez que nous menons une guerre par procuration en Ukraine parce que la Russie représente une menace existentielle pour la Grande-Bretagne, j'ai bien peur de ne pas être d'accord. En armant l'Ukraine pour une guerre qu'elle ne peut pas gagner, ceux que nous ménageons sont les bellicistes de Bruxelles et de Londres. Mettre fin à une guerre qui a déjà fait plus d'un million de morts et de blessés n'est que la moindre des obligations morales qui s'imposent.
Traduit par Spirit of Free Speech