Les Etats-Unis sont un empire qui prêche la vertu tout en semant l'instabilité dans une démonstration flagrante d'ingérence masquée en humanitarisme.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, les Etats-Unis se présentent comme le garant autoproclamé de la liberté, de la démocratie et de l'ordre mondial, alors que leurs interventions révèlent une logique brutale, intéressée et déstabilisatrice. De la doctrine Truman en 1947 aux menaces récentes de Donald Trump contre le Nigeria, Washington répète les mêmes stratégies (ingérence, moralisation, fabrication de prétextes et instrumentalisation de crises) pour remodeler des régions utiles à ses intérêts. Derrière l'humanitarisme proclamé se cache une mécanique impériale qui fragilise les souverainetés, notamment africaines, et aggrave les déséquilibres qu'elle prétend corriger. Cette contradiction entre discours moral et pratiques réelles constitue aujourd'hui l'un des plus grands paradoxes géopolitiques contemporains. Mais pour mieux comprendre la menace actuelle, il faut comprendre l'empire qui la produit. C'est ce que cet article se propose de faire en mettant à nue les raisons inavouées de celle-ci contre le Nigéria, un Etat souverain du Sud global.
En effet, les menaces de Trump s'inscrivent dans une logique politique plus vaste que ses déclarations impulsives sur Truth Social pourraient laisser croire. En affirmant que « les chrétiens sont massacrés en nombre record », sans fournir la moindre donnée vérifiable, l'administration américaine reproduit un schéma narratif déjà employé en Irak (2003), en Libye (2011) ou dans certaines opérations en Amérique latine : la fabrication d'une urgence morale justifiant une action coercitive.
Or, comme le souligne l' article de Daniel R. Caruncho (paru dans le journal La Vanguardia le 3 novembre 2025), les experts régionaux et les bases de données indépendantes contredisent frontalement ces affirmations. Les violences commises par Boko Haram* et l'Etat islamique* en Afrique de l'Ouest sont indiscriminées, visant des villages entiers, souvent majoritairement musulmans. Les victimes chrétiennes existent, mais ne constituent ni un « génocide », ni un « massacre record ». Washington le sait pertinemment : toutes les agences américaines de renseignement actives au Sahel recoupent ces faits depuis plus d'une décennie.
L'héritage d'ingérences américaines : fractures géopolitiques et incohérences structurelles
Depuis le lancement officiel de la doctrine Truman en 1947, les Etats-Unis prétendent contenir l'expansion soviétique tout en légitimant une série d'opérations clandestines et d'interventions directes. Le renversement du gouvernement iranien en 1953, celui du Congo en 1961, de l'Indonésie, du Brésil, de l'Argentine, puis du Guatemala en 1954, sans oublier les actions subversives de la CIA contre d'autres régimes latino-américains et caribéens dans les années 1970, témoignent d'une pratique systématique de domination. La guerre du Vietnam, déclenchée après l'incident du golfe du Tonkin en 1964, illustre une politique fondée sur la peur, le mensonge et la destruction.
Plus tard, l'invasion de l'Irak en 2003, justifiée par des armes qui n'existaient pas, confirme la continuité d'une stratégie où la puissance prime sur la légalité internationale et où les discours moraux servent d'alibi à des intérêts bruts. L'après-11 septembre 2001 ouvre une nouvelle ère : celle d'une lutte antiterroriste instrumentalisée pour étendre l'influence de Washington. L'Afghanistan en 2001, occupé vingt ans avant un retrait chaotique en 2021, illustre l'incapacité américaine à stabiliser ce qu'elle prétend sauver. Partout, l'instabilité laissée derrière Washington témoigne d'un empire plus destructeur que protecteur.
Le Patriot Act de 2001 marque un tournant autoritaire, en totale contradiction avec les leçons habituelles sur les libertés. L'élection de Donald Trump en 2016, puis le retrait de l'accord de Paris en 2017, ainsi que son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, ses gesticulations sur le conflit ukrainien et l'activation des instruments américains de la terreur en mers Chine méridionale et orientale, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine, révèlent une puissance qui renonce à ses propres engagements mondiaux tout en s'autoproclamant guide moral. L'histoire récente montre clairement que les Etats-Unis fragilisent davantage l'ordre international qu'ils ne le protègent, laissant derrière eux une traînée d'instabilités qui contredisent leur prétention à défendre la paix. Washington ment, bombarde, renverse - puis s'en lave les mains. Cette trajectoire explique pourquoi les menaces contre le Nigeria ne sont pas une surprise : elles sont la suite logique d'un empire dont l'instabilité est la marque de fabrique.
Le Nigeria dans la mécanique impériale américaine : prétextes moraux, calculs géostratégiques et arrogance structurelle
Les menaces de Donald Trump d'intervenir militairement au Nigeria s'inscrivent dans cette même tradition d'ingérence enveloppée de moralisation. En brandissant d'hypothétiques « massacres de chrétiens », il ne fait que reproduire une vieille méthode américaine : inventer l'urgence, construire un récit émotionnel, s'auto-proclamer sauveur, puis légitimer une intervention destinée à remodeler un espace stratégique. Or, toutes les sources sérieuses - Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), observatoires régionaux, agences internationales - démontrent que les violences au Nigeria touchent indistinctement musulmans et chrétiens, suivant des dynamiques territoriales, identitaires, économiques et politiques.
Le narratif de Trump sert un objectif clair : ouvrir la voie juridique et politique à une ingérence calibrée dans un pays crucial pour la compétition sino-américaine. Le Nigeria concentre pétrole, gaz, lithium, cobalt, nickel, une population massive, un marché intérieur dynamique et une influence régionale majeure. L'humanitaire n'est donc qu'un paravent ; la géopolitique en est la matrice.
Mais Washington persiste à traiter l'Afrique comme un décor figé, un territoire sans voix, un échiquier où l'on déplace les pièces sans comprendre les dynamiques locales. Les groupes armés nigérians - Boko Haram*, Islamic State West Africa Province* ( ISWAP), milices communautaires, réseaux criminels, « bandits » - sont enracinés dans des réalités sociales et agraires impossibles à neutraliser par des bombardements. Une intervention américaine serait non seulement illégitime, mais vouée à l'échec, reproduisant les mêmes erreurs qu'en Irak, en Afghanistan ou en Libye.
Par ailleurs, les attaques unilatérales américaines ayant fait plus de soixante morts en Amérique latine montrent déjà le danger d'un pouvoir exécutif qui s'autorise tout hors du droit international. Répéter ce schéma au Nigeria reviendrait à piétiner la souveraineté d'un Etat majeur, à déstabiliser durablement l'Afrique de l'Ouest et bouleverser les fondements diplomatiques de la coopération sino-africaine.
Alors que les violences au Nigéria touchent à la fois musulmans et chrétiens, selon des logiques territoriales, économiques et politiques, l'accusation de « génocide chrétien » est donc un outil narratif, pas une réalité. Pour Washington, le Nigeria est un pivot géopolitique. L'humanitaire n'est donc qu'une couverture. Trump ne comprend rien à l'Afrique - et persiste à la traiter comme un décor colonial où la force remplace la diplomatie. Le Nigeria deviendrait alors le prochain pays « stabilisé » par Washington : c'est-à-dire détruit. Pour l'Afrique, la réponse doit être claire : aucune stabilité, aucune paix, aucune souveraineté n'émergera tant que les Etats-Unis continueront à traiter le continent comme un échiquier où l'on joue sans demander l'avis des peuples.
Il convient de noter que des coups d'Etat soutenus pendant la guerre froide aux menaces actuelles contre le Nigeria, l'histoire démontre que le leadership américain repose davantage sur la force que sur la cohérence ou la responsabilité. De 1947 à aujourd'hui, les interventions unilatérales, les prétextes fabriqués et les contradictions successives ont érodé la confiance internationale et fragilisé des régions entières. L'Afrique n'a pas besoin de sauveurs improvisés, mais de respect, de coopération équilibrée et d'institutions renforcées. L'ordre mondial ne peut plus dépendre d'une puissance qui produit autant d'instabilité qu'elle prétend en résoudre ; et le Nigeria, comme le monde, doit refuser cette logique impériale.
* organisations terroristes interdites en Russie
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l'intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine
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