Par Emmanuel Leroy − Le 10 Novembre 2025

Pour tenter d'y voir plus clair sur la situation réelle de la Fédération de Russie dans sa guerre contre l'Occident anglo-saxon et à rebours des propagandistes des deux camps, je vous propose un état des lieux sur les plans militaire, économique et sociétal.
Ayant l'occasion de me déplacer fréquemment en Russie, et pas seulement dans la capitale, et pouvant échanger régulièrement avec de nombreux interlocuteurs engagés dans la vie politique ou économique, je peux vous offrir un aperçu réel de la situation telle que la vivent les Russes aujourd'hui, bien loin des fantasmes de certains prétendus experts.
Sur le plan militaire
Alors qu'en 2022 l'armée russe, forte d'environ 950 000 hommes dans toutes ses composantes (terre, air, mer) ne pouvait aligner au mieux que 300 000 hommes pour l'armée de terre, grâce à sa politique de recrutement et à sa mobilisation partielle, est en mesure aujourd'hui d'aligner sur l'ensemble du front entre 7 et 800 000 hommes ce qui représente un quintuplement des effectifs par rapport à la phase initiale de février 2022 où la Russie, pour prévenir l'assaut imminent des troupes de Kiev contre le Donbass, avait lancé une action préemptive avec moins de 150 000 hommes. A cette date, les effectifs estimés de l'armée de terre ukrainienne tournaient autour de 300 000 soldats, majoritairement positionnés dans l'est ukrainien. Après être montées à un niveau record de 900 000 hommes sur le terrain en 2023, les troupes de Kiev opérationnelles aujourd'hui doivent tourner autour de 500 000 au maximum, en notant que les 3 quarts au moins sont des unités de la territoriale et disposant d'une aptitude assez médiocre au combat. A cela s'ajoutent des difficultés extrêmes de recrutement où les auxiliaires de Zelensky peinent à rassembler - souvent par la violence - environ 20 000 hommes supplémentaires chaque mois, ce qui équivaut à peine à ses pertes réelles mensuelles sur le front.
Certaines sources donnent un ratio de pertes définitives (morts et disparus) entre les forces russes et ukrainiennes qui serait compris entre 1 à 3 et 1 à 5. Ce différentiel s'explique par plusieurs facteurs, d'une part la supériorité aérienne de l'armée russe qui utilise cet avantage pour éliminer les concentrations de troupes ennemies à l'aide de bombes glissantes de type FAB de 250 kg à 3 t. et qui sont particulièrement meurtrières, d'autre part par la domination des Russes dans le domaine de l'artillerie (canons, obusiers et missiles) qui là encore, confère un avantage indéniable à Moscou dans sa guerre contre l'OTAN et son supplétif ukrainien.
Dans le domaine de la guerre des drones en revanche, après une relative domination des Ukrainiens durant l'année 2023, nous observons aujourd'hui une relative parité entre les deux camps, certaines sources ukrainiennes faisant même état d'une supériorité russe, notamment avec les drones à fibre optique, sur certains secteurs du front. Pour mesurer à quel point l'arrivée des drones avait changé la nature de ce conflit, il faut se rappeler que 70 à 75% des pertes sont dues à ces engins volants contre 25 à 30% pour l'ensemble des autres armes employées sur le terrain. Il est à noter que l'armée russe vient d'officialiser cette semaine la création d'une nouvelle branche de ses forces armées avec les forces de systèmes sans pilote.
Outre l'irruption des drones dans cette guerre du 3ème millénaire, il faut bien comprendre aujourd'hui que la notion de « brouillard de guerre » a quasiment disparu et que les grandes concentrations de troupes avant une offensive « surprise » sont aujourd'hui absolument impossibles. Cela revient à peu près, pour les deux camps, à jouer au poker avec les cartes ouvertes car les données satellites conjuguées à l'observation en temps réel par les drones, pratiquement 24/24, de la ligne de front et de l'arrière opérationnel, permet une anticipation des mouvements qui, pour ce conflit-là tout du moins, empêche toute offensive d'envergure dans un sens ou dans l'autre. Je dis bien « pour ce conflit-là tout du moins », car il est évident que pour les stratèges de l'OTAN, comme pour ceux de la Fédération de Russie, la future guerre « en direct » aura vu préalablement une guerre dans l'espace où chacun des protagonistes aura tenté d'aveugler l'autre en détruisant ses satellites d'observation. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Pour l'instant, nous en sommes encore dans cette guerre hybride où les deux adversaires jouent encore avec une main attachée dans le dos et se gardent bien, l'un comme l'autre, de montrer toutes leurs capacités et toutes leurs technologies dans l'attente de la bataille ultime.
Dans ce contexte, la Russie a montré depuis le début de l'Opération Militaire Spéciale, et contrairement aux espoirs d'effondrement économique ou militaire que claironnaient les Bruno Lemaire et autres Xavier Tytelman, que non seulement elle était capable de résister mais qu'elle était même en mesure de l'emporter. En effet, depuis l'échec patent de la contre-offensive de l'été 2023 qui s'est brisée sur la ligne Sourovikine, et surtout depuis l'opération ratée de Koursk en août 2024, où l'OTAN a brûlé ses dernières cartouches et ses meilleures brigades pour tenter de l'emporter, la stratégie des « 1000 coupures » employée par l'armée russe montre son efficacité et les dernières forteresses du Donbass encore tenues par le régime de Kiev tombent les unes après les autres offrant ainsi un boulevard pour atteindre le Dniepr dans les prochains mois.
Et encore une fois, j'insiste bien, il ne s'agissait pas d'une guerre entre l'Ukraine et la Russie, mais du préambule de la guerre entre la Russie et l'OTAN, dans laquelle cette dernière a montré ses limites et au final, sera contrainte de reconnaître sa défaite. Tout l'art de la diplomatie russe sera de faire avaler cette couleuvre à l'Occident sans trop l'humilier, sachant bien évidemment que tant que ce dernier n'aura pas été vaincu, nous en serons quittes pour attendre la prochaine guerre qui enflammera alors toute l'Europe ou ce qui en restera.
Sur le plan économique
Malgré les 300 milliards d'actifs russes gelés en occident depuis mars 2022, l'économie russe a montré une capacité de résistance étonnante face aux sanctions de l'Occident (avec pourtant près de 27 000 sanctions appliquées contre la Russie depuis 2014). Plusieurs raisons à cela : Tout d'abord la Russie est un pays immensément riche et dont le PIB d'environ 2 400 milliards de $ (équivalant à celui de l'Espagne comme disent les crétins) ne représente absolument pas la réalité. En février 2022, la dette publique russe s'élevait à 278 milliards USD, soit 18% du ratio dette/PIB. A comparer avec les 3 400 milliards d'euros (115% du PIB en 2025) de dettes de la France et de ses Mozart de la finance que le monde entier nous envie. De plus, 80% de la dette russe était interne et donc libellée en roubles, réduisant sa vulnérabilité aux fluctuations des devises. Le système était conçu pour résister aux chocs, avec en outre la mise en place d'un fonds souverain estimé à 175 milliards USD en 2022.
En résumé, en février 2022, la dette russe était basse et bien gérée, avec l'accent mis sur la stabilité. La politique de sanctions occidentales qui a partiellement isolé la Russie financièrement, notamment à travers l'exclusion quasi complète du système Swift, a réussi à augmenter la dette à environ 290 milliards USD en fin 2024.
En fait la productivité russe (tous secteurs d'activité confondus) fonctionne peut-être à 50% de ses capacités maximales théoriques et son industrie est parfaitement autarcique dans le domaine de la production militaire, sauf peut-être pour certains composants électroniques où l'appui chinois, et de quelques autres pays, est le bienvenu. En pratique, contrairement à l'Occident qui pour des raisons purement mercantiles avait délibérément sabordé son complexe militaro-industriel dès les années 70 en délocalisant la production à outrance dans les pays à bas coûts salariaux, la Fédération de Russie, y compris sous Eltsine, avait malgré tout réussi - malgré le saccage et la spoliation - à préserver l'outil de production militaire soviétique, notamment dans les domaines-clé de la production d'obus, de missiles et de blindés, ce qui a fortement étonné les « stratèges » de plateaux télé européens convaincus de l'effondrement de l'économie de guerre russe dès les premiers mois du conflit.
Pour ceux qui restent accros aux chiffres du PIB, voilà les dernières données connues (sources russes et occidentales) pour la période 2022-2025 :
- 2022 : -2,1 % (récession due aux sanctions initiales et à la chute des exportations d'énergie).
- 2023 : +3,6 % (rebond grâce à la réorientation vers l'Asie, la hausse des dépenses militaires et des prix du pétrole et à la création de la « flotte fantôme »).
- 2024 : +4,1 % (croissance soutenue par l'industrie de défense et les investissements publics + montée en puissance de la « flotte fantôme » avec plus de 1000 tankers et super tankers sillonnant les océans du globe).
- 2025 : +0,6 % (estimation du FMI pour l'année complète, avec un ralentissement observé : +1,4 % au T1 et +1,1 % au T2, dû à l'inflation, à la baisse du prix du pétrole, aux sanctions renforcées et à une croissance mondiale molle ; des projections comme celles du ministère russe de l'économie révisent à 1,0 %, tandis que la Banque centrale de Russie l'estime entre 0,5-1,5 %).
Pour un pays en quasi état de guerre avec l'OTAN depuis près de 4 ans, ce sont des chiffres plutôt satisfaisants dont peu de pays européens pourraient se vanter.
Concrètement les sanctions occidentales ont conduit la Russie à accélérer le processus de démondialisation et à augmenter son degré d'autonomie dans un nombre croissant de secteurs-clé comme l'agro-alimentaire, les machines-outils, la robotique, les alliages spéciaux et bien d'autres. Certes, le pays n'est pas encore en situation d'autarcie complète, mais il est probablement l'un de ceux qui en est le plus proche, disposant sur son territoire de toutes les matières premières nécessaires (dont les terres rares) à une économie post industrielle du XXIème siècle.
Sur le plan sociétal
Dans ce domaine, le contraste le plus frappant réside dans l'observation de la vie de tous les jours en Russie en dehors des zones de front. Que ce soit dans les grandes villes de l'ouest, dans l'Oural ou jusqu'en Sibérie et dans l'extrême-orient, il serait impossible pour un voyageur d'imaginer que ce pays est en guerre. Les magasins regorgent de marchandises, les services publics fonctionnent, la sécurité des habitants est assurée et nulle part on ne sent l'oppression d'un pays sous la contrainte.
Les familles sortent au restaurant, vont au cinéma, visitent les parcs ou les musées et tout se passe comme si le pays vivait normalement. Et c'est là que réside ce paradoxe le plus étonnant, chaque jour sur le front meurent des dizaines de soldats russes pour réinstaurer la paix sur les marches de l'Empire et faire reculer l'OTAN sur les frontières de 1994 et cette guerre doit passer comme si elle n'atteignait pas la société civile, parce que la guerre aujourd'hui n'est pas uniquement la conquête de territoires, c'est aussi et avant tout la conquête des esprits, surtout à l'heure où le numérique a envahi nos vies. Vladimir Poutine et les stratèges du Kremlin ont parfaitement retenu les leçons de 1917 et ne veulent à aucun prix revivre les années sombres du siècle dernier. Ils savent pertinemment que la victoire sur le terrain peut parfaitement leur être volée par le travail de sape de la 5ème colonne et de leurs commanditaires occidentaux et c'est la raison pour laquelle ils veillent avec une attention toute particulière sur le moral de l'arrière et le bien-être de la population.
Cela posé, il serait ridicule d'affirmer que les sanctions n'ont pas d'impact sur la société russe. Les frappes de l'OTAN répétées contre les raffineries russes et les menaces de sanctions contre les pays qui continuent à acheter du pétrole et du gaz russes produisent des effets. Le tout conjugué avec le prix du pétrole (Brent) aux environs de 60$ le baril, a provoqué une hausse substantielle du coût de l'énergie pour les foyers en Russie mais sans aucune restriction réelle dans la distribution des carburants. Le pays « station-service » dispose de suffisamment de réserves pour faire face à ses besoins basiques sans avoir à piocher dans ses stocks stratégiques.
L'inflation élevée (entre 5,9 et 13,75% entre 2022 et 2025 selon les statistiques de ROSSTAT) avec une moyenne annuelle globale de 8 à 10% contribue également à un impact négatif sur le panier de la ménagère même si les banques russes rétribuent les comptes bancaires pour limiter la baisse du pouvoir d'achat. Pour contrer les risques inflationnistes et défendre le rouble, la Banque Centrale de Russie a dès 2022, mis en place une politique très agressive de taux d'intérêts dont le pic a été atteint en octobre 2024 avec un taux de 21% que nombre d'analystes russes ont qualifié de politique suicidaire pour l'économie russe. Depuis les taux sont redescendus en novembre 2025 à un seuil de 16,5%, clairement insuffisant selon l'économiste Serguey Glaziev pour relancer une dynamique productive en Fédération de Russie.
Maintenant, il y a également une donnée qui échappe complètement aux analystes occidentaux et qui est la formidable capacité d'adaptation du peuple russe à des conditions de vie difficiles. Habitués depuis des millénaires à vivre dans un environnement climatique particulièrement rude, les Russes ont développé une capacité de survie aux conditions extrêmes qu'aucun Européen n'atteindra jamais et qui leur permettra sans nul doute de résister à tous les paquets de sanctions que les Macron, Starmer, Merz et autres von der Leyen ne pourront jamais imaginer.
Contrairement à l'Europe qui se transforme sous nos yeux à vitesse grand V en une nouvelle URSS où les libertés s'effondrent les une après les autres, la Fédération de Russie en 2025 reste un havre de liberté où la vie est douce et agréable pour qui sait en profiter. Aujourd'hui avec 1000€ vous obtiendrez 93 600 roubles dans une banque russe, de quoi passer une semaine agréable à Moscou ou à Saint-Petersbourg (hôtels, restaurants, musées...) et avec la même somme, vous pouvez vivre confortablement dans l'Oural ou dans le Caucase pour 2 ou 3 semaines. Dépêchez-vous d'en profiter, car au rythme où vont les choses, l'UE va nous rebâtir un rideau de fer dont il sera de plus en plus difficile de s'échapper.
Emmanuel Leroy