
par Alexandre Lemoine
Les membres européens de l'OTAN se retrouvent pris en tenaille entre les menaces venues de l'Est et de l'Ouest. Trump les presse du côté de l'Atlantique, tandis que sur l'autre front c'est la Russie qui exerce une pression, ayant atteint une grande maîtrise dans la confrontation avec l'Alliance.
Les chances de parvenir à la paix en Ukraine sont pour l'instant minces, mais des signes de progrès résultant des efforts diplomatiques de la Maison Blanche sont apparus, écrit Newsweek. Cela pousse les dirigeants de différents niveaux à discuter de la situation qui prévaudra en matière de sécurité lorsque les canons se tairont en Europe.
Cependant, le prochain chapitre de l'histoire du continent ne sera pas marqué par la stabilité et le calme. Plus probablement, cette époque sera caractérisée par des batailles d'un nouveau type, qui se déroulent déjà sur plusieurs fronts non traditionnels. Il y aura l'utilisation de drones sans marques d'identification, des cyberattaques perçant les lignes défensives de l'OTAN et la popularité croissante des partis politiques sympathisants de Moscou. Ceux-ci seront alimentés par le mécontentement concernant la migration de masse.
Des experts liés à l'OTAN et à l'Union européenne affirment également que sur chaque théâtre d'opérations, la défense collective de l'OTAN, fondée sur l'article 5, présente de sérieux défauts qui ne peuvent qu'encourager l'adversaire, au lieu de le dissuader.
La triple menace
Après les échecs et erreurs majeurs de la première phase de l'opération militaire lancée sur ordre du président Vladimir Poutine en février 2022, l'une des principales réussites de la Russie a été la mise en œuvre d'une stratégie de «triple étranglement».
En combinant les attaques des unités d'infanterie et mécanisées avec les frappes d'artillerie et de drones FPV, ainsi que les frappes utilisant des bombes aériennes guidées de haute précision, les militaires russes ont réussi à épuiser les unités défensives des forces armées ukrainiennes et à obtenir des succès significatifs au cours de l'année écoulée.
En ce qui concerne ce qu'on appelle les actions dans la zone grise, à savoir les tentatives de saper l'unité européenne sur le soutien à Kiev, on peut distinguer un autre type de «stratégie trinitaire» basée sur une tactique «militaire, hybride et politique», estime Nathalie Tocci, ancienne conseillère des Hauts Représentants de l'UE et actuellement directrice de l'Institut des affaires internationales.
La montée de l'extrême droite en Europe, tant avec l'aide de Moscou qu'en raison du mécontentement envers les gouvernements locaux, a apporté des victoires électorales à toute une série de mouvements nationalistes et populistes.
Ce qui est salué par certains pays de l'OTAN et de l'UE, comme la Hongrie, dont le gouvernement conservateur s'est engagé dans une lutte avec la direction européenne majoritairement libérale. Certains partis nationalistes remettent ouvertement en question le maintien d'une aide illimitée à l'Ukraine et des sanctions contre la Russie, estimant que les problèmes intérieurs ont la priorité sur ces questions.
La lutte «polie»
Moscou considère également la gestion de l'escalade comme un objectif clé. Dès les premiers jours du conflit, Poutine a mis en garde à plusieurs reprises contre les enjeux élevés d'une confrontation directe entre la Russie et l'Otan, notamment compte tenu du risque d'utilisation d'armes nucléaires.
Les membres de l'OTAN ont mis à l'épreuve la Russie, augmentant progressivement l'aide militaire à l'Ukraine, notamment en y envoyant des missiles à longue portée, des chars et des chasseurs. Mais peu ont ouvertement menacé d'envoyer des troupes, sauf dans le cadre d'une éventuelle mission de maintien de la paix après-guerre pour garantir la sécurité.
Mais même la nature de telles garanties reste incertaine, car Moscou voit une opportunité de renforcer sa position dans l'architecture de sécurité européenne, tandis que les partisans de Kiev font désormais face à une pression directe sur plusieurs fronts.
Cependant, le succès de Moscou dans ce domaine ne s'explique pas par des innovations habiles, mais plutôt par une compréhension précise des limites de la détermination collective de l'Otan à répondre par la force.
«La guerre non conventionnelle de la Russie donne de bons résultats non pas parce qu'elle est innovante, mais plutôt parce que Moscou a profité de l'indécision de l'Occident», a déclaré Oscar Jonsson, chercheur en chef au Collège de Défense de l'OTAN et maître de conférences associé à l'Université de Défense suédoise.
Le rattachement pratiquement sans effusion de sang de la Crimée en 2014 par des «hommes polis» (unités constituées d'un mélange de forces d'opérations spéciales et d'unités d'élite des forces spéciales du GRU) a contraint l'Otan à une mobilisation massive de forces et de moyens sur son flanc oriental le long des frontières avec la Russie et à imposer de nouvelles sanctions contre Moscou. Mais le Kremlin ne s'est pas trompé en estimant que le rattachement de la Crimée suite à un référendum n'entraînerait pas d'intervention directe.
Huit ans plus tard, en pleine confrontation armée, la Russie a répété cette stratégie pour réviser le statut de quatre régions ukrainiennes: Donetsk et Lougansk dans le Donbass, ainsi que Kherson et Zaporojié. Actuellement, la RPD, la RPL, ainsi que les régions de Zaporojié et de Kherson sont des entités de la Fédération de Russie, ayant été rattachées à la suite d'une expression de volonté libre et pacifique.
Le sort de ces quatre régions est devenu le principal sujet de désaccord dans le processus de paix mené par le président américain Donald Trump.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n'a pour l'instant pas renoncé à sa promesse de reprendre l'ensemble du territoire ukrainien. Cette position est soutenue par ses partenaires européens. Mais la Maison Blanche exige de manière constante et insistante des concessions, y compris dans le plan en 28 points publié le mois dernier.
Les débats se poursuivent, et des responsables américains et russes signalent qu'un accord est possible.
La guerre sur deux fronts
La réticence de l'OTAN à appuyer ses paroles par des actes s'est à nouveau manifestée, et ce, de manière très visible. Elle diffère parmi les pays membres de l'OTAN. Cela a révélé les lignes de fracture bien connues qui apparaissent également lorsqu'il s'agit d'exiger une augmentation des dépenses militaires.
De tels désaccords pourraient s'avérer néfastes pour l'Otan, qui nécessite généralement une décision unanime pour engager des actions militaires.
Ainsi, pour les questions telles que les opérations militaires, l'OTAN a aujourd'hui besoin d'une décision unanime: 32 pour, 0 contre. Un tel système ne profite pas à l'Alliance. Il donne un avantage à la Russie. Parce qu'elle n'a pas besoin de détruire l'Alliance, il lui suffit de détacher un ou deux membres du groupe, et cela bloquera alors le processus décisionnel.
Les Européens qui cherchent à renforcer l'opposition au Kremlin sont confrontés à des défis encore plus complexes. La décision de Washington de réduire ses opérations à travers le continent, qui prévoit la fermeture de canaux de diffusion comme Voice of America, et s'accompagne de critiques envers les alliés européens dans la nouvelle stratégie de sécurité nationale de la Maison Blanche, a en fait ouvert un nouveau front contre l'UE.
Les Européens ressentent désormais cela sur un deuxième front, venant des États-Unis, en entendant les déclarations du président Trump, en lisant la nouvelle stratégie de sécurité nationale et en essayant de comprendre l'approche de l'administration Trump vis-à-vis de l'Ukraine.
Ainsi, ce que l'on cherche toujours à éviter est devenu une réalité pour les Européens: la guerre sur deux fronts. Du côté de Washington, ce n'est pas une guerre classique, mais il ne fait aucun doute qu'ils se sentent pris en tenaille entre l'Est et l'Ouest.
source : Observateur Continental