30/08/2011 tlaxcala-int.org  8 min #56859

L'Ogoniland ou Comment écrire sur un génocide/écocide en Afrique

 Vladislav Marjanovi?

On pourrait dire: „enfin", car on (re) parle d'un vieux problème connu depuis des dizaines d'années, mais dont la solution se fait attendre: du drame de la pollution de l'Ogoniland par les multinationales pétrolières. Le fait qu'une organisation internationale (le PNUE, c'est-à-dire le Programme des Nations Unies pour l'environnement) s'en soit saisie peut donner l'impression qu'une prise de conscience de la gravité de la destruction écologique d'une partie de la planète est sur le point de se faire. S'il en est ainsi, le rapport du PNUE du 4 août 2011 concernant ce problème, mérite d'être traduit en autant de langues étrangères que possible, car par ce biais il pourrait, peut-être, agir sur les consciences et mobiliser les esprits.

Toutefois, il vaut mieux ne pas s'attendre à des miracles. Les lamentations au sujet des dégâts effectués sur le terrain ne s'y prêtent pas. Bien au contraire, c'est le sentiment d'impuissance devant la fatalité du fait accompli qu'elles éveillent. Un peu de compassion pour les victimes de la pollution, ca fait du bien. Quelques larmes (même celles de crocodile) soulagent davantage. L'Agence France Presse s'y connaît dans la matière. Dans le meilleur style des reporters modernes, elle décrit la tragédie de quelques personnes concernées pour, ensuite, donner un court résumé du rapport du PNUE mettant en cause seulement deux compagnies pétrolières : la SPDC, une filière de la NNCP nigériane, et la multinationale anglo-néerlandaise SHELL qui s'est, d'ailleurs officiellement retirée de l'Ogoniland en 1993, tout en gardant deux oléoducs qui sont régulièrement exposés aux actions de sabotage. Un constat de fait, sans plus.

Le rapport du PNUE va-t-il plus loin? Dans la mesure où son analyse se réfère à l'histoire de l'exploitation pétrolière de la région, certainement. Ainsi, dans ce document on trouve d'autres compagnies pétrolières et on parle plus longuement de certains conflits internes, sur la guerre du Biafra en particulier, ainsi que de l'engagement humanitaire des Médecins sans frontières. On n'oublie pas de mentionner aussi la contestation écologique et l'action de l'écrivain Ken Saro Wiwa en faveur du peuple Ogoni qu'il a payée de sa vie. Bref, voilà un travail sérieux fondé, comme le rapport l'affirme, sur 14 mois de recherches sur le terrain et sur des entretiens avec plus de 20.000 personnes concernées.

Bravo ! On ne peut que féliciter, car présenter un travail pareil sur moins de dix pages, avec deux cartes et une présentation graphique, n'est ni simple, ni facile. Mais, au moins, on a des points de repère. Quant au « dessous-des-cartes », il nécessite un effort. Faute d'explication, il ne reste qu'à se poser des questions. Par exemple, si les multinationales pétrolières ont les mains propres dans l'attisement des conflits régionaux et ethniques, si elles coexistent pacifiquement sur ce terrain miraculeux où si elles engagent des milices locales pour saboter les installations du concurrent ? Les intérêts géopolitiques sont-ils aussi présents ? Pourquoi la France et, plus discrètement l'Union Soviétique, soutenaient-elles les sécessionnistes biafrais et les Britanniques, avec les Usaméricains, les Nigérians ? Qui et comment corrompt l'élite nigériane et qui appuie les mouvements sécessionnistes des peuples Ijaw et Itsekeri dans le Delta du Niger ? Sans parler d'ailleurs du conflit religieux toujours présent entre le Nord et le Sud du pays en particulier ou, pire, de l'ajustement structurel et des effets ravageurs de la privatisation? Mais là-dessus, le rapport du PNUE et l'information de l'AFP sur ce rapport restent muets.

Or, c'est de cela qu'il faut parler. Non pour effectuer un constat académique des faits, mais pour dévoiler les mécanismes de leur manipulation. En agissant ainsi, on fraye la voie à la réflexion critique et on permet une prise de conscience sur la nécessité de s'engager pour changer la donne. Mais ceci implique aussi l'audace de regarder les faits en face afin d'éviter le danger de se retrouver dans le piège d'une nouvelle mystification et finir par être manipulé par une institution de pouvoir quelle qu'elle soit. Or, c'est ce qui manque aux auteurs des rapports internationaux mais aussi aux journalistes des mainstream medias. Ils ne critiquent pas, mais se lamentent. Ils exposent certains faits, mais évitent d'entrer dans le fond des problèmes. Ils n'animent pas les esprits mais les endorment avec leurs présentations ennuyeuses et grises. Pourtant, ce qu'il faut, c'est non seulement saisir le fond des problèmes, mais de chercher des issues, des solutions et des alternatives. Pourquoi une institution onusienne évite-t-elle de fustiger les élites ? Pourquoi ne pas appeler à des actions internationales d'insubordination civile contre les injustices sociales et leurs fauteurs ? Doit-on tolérer ce véritable génocide/écocide qui est en train de se produire dans l'Ogoniland ? Si la presse officieuse n'ose pas agir ainsi, c'est aux médias alternatifs de le faire, au nom de l'éthique professionnelle et humaine.

En pays Ogoni, les Nigérians respirent, boivent et maudissent le pétrole

De Sophie Mongalvy ( AFP) - 17-08-2011

BODO Une odeur de pétrole étourdissante flotte sur la jetée. Les pirogues, l'eau, le sable et les mangroves sont recouverts d'une couche brunâtre visqueuse. Un tableau quotidien pour les habitants de Bodo, dans le sud du Nigeria.

Comme tant d'autres villages du royaume Ogoni, Bodo a vu son environnement se dégrader au cours de 50 années d'exploitation pétrolière marquées par des fuites.

On est en plein cœur du delta du Niger, une région pauvre et volatile, richissime en hydrocarbures, où opèrent de nombreuses multinationales.

Dans un rapport sans précédent, l'ONU a récemment établi l'ampleur et l'impact de la pollution en pays Ogoni. La contamination est telle qu'elle exigerait la plus vaste opération de nettoyage jamais entreprise dans le monde, selon l'étude.

Il y a "urgence" en raison des menaces pour la santé des quelque un million d'Ogonis, selon Henrik Slotte, du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) qui a réalisé l'enquête.

A la jetée de Bodo, des villageois foulent pieds nus le sable souillé. Certains se couvrent le nez de la main ou avec un mouchoir.

Le pétrole a beaucoup rapporté au Nigeria, premier producteur d'Afrique. Il a coûté cher à de nombreux Ogonis qui vivaient de la pêche et de l'agriculture. Ils ont vu leurs moyens de subsistance détruits au rythme des fuites.

"Les habitants ici sont des pêcheurs et des agriculteurs, ils dépendent directement des ressources de la mer (...). Avec ces fuites, on ne peut plus rien faire", résume Michael Kobah, enseignant de 49 ans.

Las d'attendre une éventuelle intervention extérieure pour décontaminer sa région, il s'est lancé dans la plantation d'arbres, dans l'espoir qu'ils purifient l'air.

"Nous devons maintenant aller à 50 milles, en haute mer, pour attraper le moindre petit poisson", se lamente Friday Gimmogho, 31 ans, bredouille sur la jetée.

Patricia Boribor, 62 ans, dit avoir abandonné ses terres qui ne produisaient plus rien.

A quelques kilomètres de Bodo, dans le village de Nisisioken Ogale, les habitants ont été sommés par le PNUE de ne plus utiliser l'eau de leurs puits.

Les prélèvements ont montré qu'elle contenait 900 fois plus de benzène, un hydrocarbure cancérigène, que la limite recommandée par l'Organisation mondiale de la santé. Une eau que les villageois boivent et avec laquelle ils cuisinent et se lavent depuis des années.

Nisisioken est traversé par un oléoduc de la compagnie nationale nigériane NNPC, dont les fuites ont contaminé les nappes phréatiques.

"L'oléoduc est très mal entretenu. Ils ne prêtent pas attention à notre communauté", dénonce Austin Kpalap, 31 ans.

Le jeune homme affirme qu'aucune fuite n'a jamais été nettoyée à Nisisioken. Impuissant, il laisse éclater sa colère contre l'industrie pétrolière.

"Ils ne nettoient pas (...) ils ne s'intéressent qu'à ce qu'ils se mettent dans les poches. Ils ne font pas face. La plupart vivent à Abuja, à Lagos, ils ne sont pas ici, ils ne ressentent pas" la pollution environnante.

Encore quelques kilomètres plus loin, à B-Dere, un chemin de terre étroit débouche sur une marre entourée de verdure. Les oiseaux chantent, mais l'air est irrespirable. Le site est recouvert de brut.

Le géant anglo-néerlandais Shell, premier opérateur au Nigeria, a été particulièrement implanté en pays Ogoni, dont il s'est retiré en 1993. Mais la zone est encore traversée par deux oléoducs que le groupe possède dans le cadre de la SPDC, une co-entreprise avec la NNPC, et compte de nombreux puits désormais inactifs.

Le rapport du PNUE critique la SPDC pour le manque de surveillance et d'entretien de ses infrastructures, ce qui a "conduit à des problèmes de santé publique et de sécurité".

L'étude note aussi que la décontamination, par la SPDC, de sites pollués a été largement insuffisante.

Shell, qui assure prendre très au sérieux le rapport et les recommandations de l'ONU, soutient que le sabotage, le vol et le raffinage clandestin de brut obtenu en perforant les oléoducs sont les principales causes de pollution.

"70% des fuites dans le delta sont dues au sabotage", affirme à l'AFP Mutiu Sunmonu, patron du groupe au Nigeria.

Le raffinage illégal et les attaques d'oléoducs par des groupes armés contribuent à la pollution et posent un véritable problème, selon tous les observateurs. Mais ce sont des phénomènes récents, soulignent Henrik Slotte du PNUE, Amnesty International et les activistes locaux.

Le rapport du PNUE a aussi épinglé le gouvernement nigérian, appelé à davantage réglementer la protection environnementale.

Pour Ledum Mitee, président du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (Mosop), "le gouvernement devrait retirer la licence de Shell" et la décontamination devrait démarrer "immédiatement".

Une opération que les Ogonis attendent avec impatience. Beaucoup, au chômage, espèrent être embauchés pour restaurer leur environnement.

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Publication date of original article: 29/08/2011
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