21/01/2022 ismfrance.org  7 min #200937

Expulsions, démolitions : la résistance à Sheikh Jarrah (Vidéos)

Israël-Palestine : La critique européenne de la violence des colons pue l'hypocrisie

Joseph Massad, 19 janvier 2022. Au cours des derniers mois, la violence et la terreur infligées depuis des décennies par les colons juifs aux Palestiniens en Cisjordanie occupée ont suscité une attention nouvelle de la part des pays européens, y compris la Grande-Bretagne, et des médias européens et américains.

Ce qui restait de la maison des 18 membres de la famille Salhiyeh à Sheikh Jarrah, à Jérusalem occupée, après le passage des bulldozers des autorités d'occupation, le 18 janvier 2022 (source photo Quds News Network)

Alors que le Premier ministre israélien Naftali Bennett défendait les colons, qualifiant les attaques de « phénomène insignifiant », deux membres juifs de la Knesset ont invité le mois dernier les ambassadeurs européens à assister à une conférence sur le fait que ce sont l'UE et les organisations de gauche palestiniennes - et non les colons juifs - qui sont les « instigateurs de la violence en Judée et Samarie ». Les membres de la Knesset ont accusé l'UE d'antisémitisme et de « diffamation » pour avoir dépeint les colons juifs comme les coupables.

Bennett, qui s'était fièrement vanté d'avoir « tué beaucoup d'Arabes », est un nationaliste de droite qui partage la vision expansionniste des dirigeants des colons, ayant juré de continuer à agrandir les colonies existantes. Ses opinions ne sont pas incompatibles avec celles d'une grande partie de l'armée israélienne. Selon le Guardian : « Les experts ont estimé en 2016 qu'entre un tiers et la moitié des élèves officiers de l'armée épousaient le sionisme religieux, le credo des colons les plus idéologiques. »

L'UE et le Royaume-Uni ont fait beaucoup de grandes déclarations au fil des ans pour condamner la « violence » des colons juifs, à tel point qu'en 2012, puis en 2014, l'UE a envisagé d'inscrire les colons « violents » sur une liste noire et de leur interdire l'entrée dans l'UE. Notez que le vol des terres palestiniennes par les colons n'est pas considéré comme un acte violent par l'UE.

Néanmoins, ce prétendu parti pris contre les colons a rendu les Israéliens furieux, d'autant plus que le ministère israélien des Affaires étrangères n'avait eu aucune connaissance préalable que l'UE préparait cette liste noire. Un porte-parole du ministère a commenté : « Quant à la proposition provocatrice de refuser d'admettre ce qu'ils appellent des 'colons violents connus' parce qu'Israël ne les a pas jugés, il y a là une contradiction interne. Comment une personne peut-elle être définie comme un 'colon violent' si elle n'a pas été condamnée ? Et si elle a été condamnée, alors Israël l'a traduite en justice. Il semble que dans leur empressement à proposer des mesures sévères, ces experts réputés aient négligé la simple logique. »

Les Israéliens ont dû être très persuasifs, car l'UE a apparemment abandonné la question.

Préoccupation feinte

Pourtant, subitement, les pays européens feignent de s'inquiéter de la récente vague d'attaques de colons contre des Palestiniens. La Grande-Bretagne en tête, 16 ambassadeurs et diplomates européens ont rencontré Aliza Bin Noun, directrice du département des affaires européennes au ministère israélien des Affaires étrangères, et lui ont remis une lettre exprimant leurs préoccupations.

Furieuse du culot des Européens se permettant de critiquer Israël, Bin Noun les a remis à leur place en leur passant un savon et en criant : « Vous me faites chier ». Heureusement pour les diplomates, Bin Noun, contrairement aux membres de la Knesset, n'a pas accusé les Européens d'antisémitisme ou d'appel au meurtre.

Les Européens ne sont pas les seuls concernés ; le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, et le président de l'Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, se sont rencontrés récemment pour renforcer la coordination en matière de sécurité. Gantz, lui-même accusé d'avoir supervisé le meurtre de centaines de civils palestiniens à Gaza, a demandé à Abbas de « faire plus » pour réprimer la « violence » palestinienne en Cisjordanie occupée - une tâche à laquelle l'appareil de sécurité mercenaire d'Abbas excelle depuis la formation de l'AP en 1994.

Toutefois, lorsque Abbas a timidement évoqué la violence des colons juifs illégaux, Gantz lui aurait assuré que « la plupart des colons ne sont pas le problème ». Outre la poursuite de la coordination de la sécurité pour réprimer la résistance palestinienne, Abbas a veillé à obtenir « des centaines de permis pour les hommes d'affaires palestiniens afin qu'ils puissent se déplacer relativement librement entre la Cisjordanie et Israël, ainsi que des dizaines de laissez-passer dits VIP pour les hauts responsables de l'Autorité palestinienne », selon un article du Haaretz.

Quelques jours après la réunion, les forces de sécurité de l'AP se sont déchaînées sur la ville palestinienne occupée de Jénine, qu'elles ont terrorisée en arrêtant plusieurs adolescents, déclenchant une révolte des habitants de la ville qui ont attaqué le siège local de l'AP. Contrairement aux soldats israéliens, qui traitent les colons juifs violents et illégaux avec précaution - d'autant plus qu'un grand nombre de soldats partagent des « facteurs culturels qui rapprochent beaucoup d'entre eux des colons » - les voyous de l'AP sont alignés sur l'occupation israélienne, et non sur le peuple palestinien.

Tradition violente

La violence que les colons juifs ont infligée aux Palestiniens n'est pas nouvelle. En effet, il est dans la tradition de la colonisation juive de la Palestine depuis les années 1880 d'agresser les Palestiniens qui possèdent les terres convoitées par les colons. En 1911, à la suite de la vente de vastes étendues de terres par des propriétaires terriens absents au Fonds national juif, les autorités ont expulsé de force les paysans palestiniens, en ont arrêté un grand nombre et la milice sioniste Hashomer a tué un d'entre eux.

Quant aux autres paysans expulsés qui travaillaient comme ouvriers dans les colonies juives, les voyous de Hashomer les battaient si cruellement que les conseils d'administration des colonies juives leur demandaient de cesser de maltraiter les Palestiniens. Dans les années 30, les colons sont passés du meurtre de paysans et du passage à tabac de travailleurs palestiniens à l'explosion de cafés à la grenade (comme à Jérusalem en mars 1937) et à la pose de mines électriques sur les marchés bondés, entre autres atrocités. Dans les années 1940, ils faisaient exploser des navires et des hôtels, entre autres cibles, pour aboutir au massacre des Palestiniens lors de dizaines de massacres en 1947-48.

Les violences perpétrées par les colons juifs en Cisjordanie occupée, à Jérusalem ou à l'intérieur d'Israël proprement dit ne diffèrent guère de celles qui ont été perpétrées depuis le début de la colonisation de la Palestine par les colons juifs, comme en témoignent les manifestations organisées la semaine dernière par les citoyens palestiniens d'Israël, menacés de perdre leurs terres dans le Néguev par le même Fonds national juif qui a expulsé les Palestiniens il y a un siècle sous le couvert du « reboisement » des terres. L'expulsion des Palestiniens du Néguev par le gouvernement israélien se poursuit depuis des années.

Quelles que soient les objections que les Européens prétendent avoir aujourd'hui, elles contrastent fortement avec leurs politiques globales et cohérentes de soutien à la colonisation juive en Palestine et au vol sioniste des terres palestiniennes, avant et après la création de l'État d'Israël.

Le fait que l'Europe subventionne l'occupation israélienne et le rôle de l'AP dans la répression de la résistance palestinienne s'inscrit dans la tradition européenne de soutien aux colons du monde entier, des Amériques à l'Afrique en passant par l'Océanie. Le fait que les Européens considèrent que la violence des colons juifs ne se manifeste que par certaines de leurs attaques physiques contre les Palestiniens, mais pas par le vol des terres et des maisons palestiniennes, n'atténue guère le fait que l'Europe favorise cette violence par son soutien financier, militaire et diplomatique à Israël et à l'AP.

Il n'est donc pas étonnant que Bin Noun ait, à juste titre, humilié les diplomates européens pour leur hypocrisie et les ait renvoyés chez eux la queue entre les jambes.

Article original en anglais sur  Middle East Eye / Traduction MR

* Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d'histoire intellectuelle à l'université Columbia de New York. Il est l'auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Il a notamment publié Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essays on Zionism and the Palestinians, et plus récemment Islam in Liberalism. Ses livres et articles ont été traduits dans une douzaine de langues.

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