15/02/2008  34 min #14958

Un second souffle : Nouvelle étape : Attac dans le mouvement altermondialiste

Ce texte vise à situer la phase actuelle que traversent le néo-libéralisme d’une part, le mouvement altermondialiste d’autre part, afin de mieux définir quels peuvent être les positionnement et objectifs d’Attac dans la nouvelle étape de son développement que notre association souhaite ouvrir.

jeudi 14 février 2008

1. La montée des enjeux

Dans trois domaines majeurs, l’économie, la sécurité de vie et l’écologie, le capitalisme néo-libéral laissé à son libre cours multiplie les dangers et fait régresser la démocratie. La construction d’un mouvement porteur de résistance et d’alternatives devient une nécessité sans cesse plus pressante.

1.1 La radicalisation néo-libérale

Le néo-libéralisme est une doctrine et un corpus de politiques qui visent à libérer le capitalisme des entraves que les luttes sociales et les compromis passés lui avaient imposées. Grâce au néo-libéralisme la logique du profit renforce son emprise sur l’ensemble des activités humaines : production, communication, éducation, soins, loisirs, jusqu’à la reproduction même de la vie... Le processus de marchandisation ne connaît pas de limites et happe le temps et l’espace des individus, ceux du travail et de la vie, aggravant ainsi la dépossession de soi-même, l’aliénation individuelle et collective.

Malgré les résistances qui émergent et s’amplifient, les élites économiques et politiques n’ont d’autre projet que d’approfondir l’offensive néo-libérale et supprimer toute possibilité de choix politiques alternatifs. La “ gouvernance ” mondiale orchestrée par les autorités des Etats-Unis mais aussi de l’Union Européenne, et mise en œuvre par les Institutions financières internationales et l’Organisation mondiale du commerce, impose au monde entier le triptyque du “ consensus de Washington ” : libéralisation, privatisation et stabilité monétaire. Pour préserver ou augmenter les rendements du capital et lui ouvrir de nouveaux champs, un volontarisme sans faille cherche à privatiser ce qui reste de services publics, à ruiner toute forme d’agriculture paysanne, à précariser davantage le salariat et à réduire le coût du travail notamment par le chantage aux délocalisations. La logique d’appropriation s’étend jusqu’à menacer les habitats et les régulations écologiques planétaires, ultimes garanties des peuples contre la précarisation. Les pays riches continuent de concentrer l’essentiel des richesses, en délocalisant au Sud les activités polluantes et intensives en ressources naturelles.

Le nouveau président de la Commission européenne, le militant néolibéral José Manuel Borroso et les commissaires dont il a pu s’entourer, veulent approfondir ces orientations dans l’Union Européenne élargie. Le projet de Constitution tente d’emprisonner 457 millions d’habitants dans un corset de principes qui rendrait définitivement intangibles les privilèges conquis depuis vingt ans par le capital financier. Rien n’est fait pour réduire drastiquement l’empreinte écologique de l’Union, qui continue au contraire à croître au détriment des perspectives de développement du reste du monde et au risque d’aggraver les tensions internationales. En France même, l’actuel gouvernement, malgré le désaveu des électeurs, poursuit une offensive multiforme contre les acquis sociaux au nom de leur “ adaptation ”.

1.2 L’inflexion sécuritaire

Le néo-libéralisme ne sait qu’accroître les inégalités, les exclusions et les tensions sociales. Il nourrit les fractures dans chaque pays et entre les pays et les régions du monde, au Nord comme au Sud. Ces tensions nourrissent une instabilité croissante qui sert à justifier un renforcement des appareils répressifs et militaires et un retour à des politiques ouvertement impérialistes. Il s’agit d’abord de préserver la sécurité des investissements réalisés hors des métropoles du Nord. Ensuite, de garantir les conditions de mobilité du capital et donc d’assurer la sécurité des moyens de transport des marchandises et des communications, ainsi que de contrôler les approvisionnements en matières premières et en énergie. Il s’agit également d’encadrer fortement les migrations des travailleurs et de les canaliser au service de la gestion capitaliste des forces de travail sur les territoires.

L’hégémonie des Etats-Unis est désormais telle qu’ils se permettent de recourir à des attaques dites « préventives » pour faire prévaloir leurs intérêts. Ils quadrillent le monde d’un réseau de bases militaires de plus en plus dense au nom de la défense de la liberté des peuples et des marchés. En même temps et sous couvert d’intentions humanitaires, l’Union européenne veut développer ses « forces d’intervention rapide » et sa participation au contrôle militaire du monde. En l’absence d’autorités légitimes de régulation internationale, la concurrence devrait se développer entre les pays du Nord face à l’accroissement de la demande de matières premières et de sources d’énergie, à l’augmentation de diverses pénuries et à l’aggravation des pollutions et des risques majeurs (nucléaire, etc).

Dans ce cadre la “ guerre contre le terrorisme ” est un prétexte idéal pour justifier un important renforcement des appareils de renseignement, de surveillance, de police ainsi que leur coordination internationale. Le développement d’une culture de la peur et de la sécurité dans les pays du Nord s’appuie sur la place grandissante donnée aux menaces dans les messages du pouvoir et dans les informations diffusées par les grands médias, dont la propriété est de plus en plus concentrée dans les mains de quelques groupes. Le terroriste, l’étranger, le jeune des “ quartiers ”, le pauvre qui abuse des prestations sociales forment dans une subtile gradation de nouvelles figures du bouc émissaire propres à recréer du consensus. Les peuples du Sud qui “ volent nos emplois ” ou “ détruisent notre planète ” jouent un rôle similaire. La diffusion médiatique de ces stéréotypes participe à la formation d’un climat idéologique autorisant la réduction des droits sociaux et écologiques en échange d’un renforcement des dispositifs sécuritaires et disciplinaires. Dispositifs d’ailleurs impuissants à réduire l’insécurité puisqu’ils protègent surtout la domination sociale, source elle-même de violence et d’insécurité... Les capacités critiques des citoyens sont soumises à rude épreuve, mais peuvent toutefois prendre appui sur les possibilités d’expression de points de vue minoritaires discordants comme sur l’émergence de sources alternatives d’information, souvent en lien avec les mouvements sociaux.

1. 3. La destruction écologique

Alors que tous les indicateurs se dégradent, l’inaction semble être la principale réponse des autorités nationales et internationales face à la grave crise écologique globale. Les émissions de dioxyde de carbone ont été multipliées par 12 de 1900 à 2000. Le nombre de catastrophes “ naturelles ” augmente : 147 millions de personnes touchées par an dans les années 80, 211 dans les années 90. Les plus menacés sont le milliard de petits paysans vivant directement de l’agriculture et les milliards de personnes ne disposant pas de moyens techniques, organisationnels et administratifs pour faire face à la variabilité grandissante du climat. Si les menaces pèsent surtout sur les populations du Sud, ce sont celles du Nord qui exercent la plus forte pression sur l’environnement planétaire. Chaque citoyen européen “ pèse ” environ 12 fois plus que chaque citoyen indien (si l’on considère son “ empreinte écologique ”), et chaque citoyen d’Amérique du Nord environ 20 fois plus.

La flotte mondiale automobile dépasse les 700 millions d’unités, et ce n’est qu’un début : les ventes d’automobiles en Chine ont ainsi progressé de 80% au premier trimestre 2003. Les émissions liées à la seule croissance du transport aérien vont compenser les déjà hypothétiques réductions escomptées via le Protocole de Kyoto. La mobilité généralisée, en particulier des marchandises, menace l’équilibre planétaire.

En l’an 2000, 508 millions de personnes vivaient dans 31 pays souffrant de pénurie d’eau. Elles seront 3 milliards dans 48 pays en 2025 si les tendances persistent. Les principaux facteurs de dégradation de cette richesse sont les changements climatiques, l’irrigation inconsidérée (souvent liée à des cultures à l’exportation pour payer le service de la dette) et la pression démographique locale. Désertification, pollution et urbanisation font régresser les terres arables de 1% par an environ. Dans les années 80, 94 millions d’hectares de terres ont dû être abandonnées pour cause de salinisation, érosion ou autres. La désertification touche 41% des terres émergées et 900 millions de personnes dans plus de 100 pays.

La réduction de la biodiversité sauvage et domestique fragilise tous les habitats. 24% des mammifères, 49% des plantes, 30% des poissons, 29% des invertébrés et 12% des oiseaux sont des espèces menacées. Au cours des 40 dernières années, la surface forestière par habitant a diminué de plus de 50 %, tombant d’une moyenne mondiale de 1,2 hectare à moins de 0,6 hectare par personne. Les territoires forestiers continuent de régresser au rythme de 1.6% par an en moyenne mondiale et 2% pour les forêts tropicales.

Les ressources énergétiques d’origine fossile disparaîtront, pour le pétrole et le gaz, dans quelques décennies, sans que soit véritablement mis en œuvre un programme s’orientant vers les énergies renouvelables et avant tout vers les économies d’énergie dans les pays développés.

A chaque fois que des projets de régulation sont proposés, les industriels et leurs relais politiques s’arrangent pour les vider de tout contenu, comme le montre encore l’exemple récent du “ Plan Climat ” de Jacques Chirac. L’irresponsabilité écologique des gouvernants n’est pas le monopole de l’administration états-unienne, elle imprègne l’ensemble des mécanismes de prises de décision politique, aujourd’hui subordonnés à la seule logique de la compétitivité et de la rentabilité marchandes, au mépris de la conception la plus élémentaire du principe de précaution, pourtant souvent invoqué.

Economie, sécurité, écologie : dans aucun de ces domaines le débat démocratique pèse de moins en moins sur le cours des évènements. Médias aux ordres, chantage à la fuite des capitaux et menace du chômage, institutions nationales ou supranationales rendues “ indépendantes ” du politique, pays asservis au paiement de leur dette, tout est mis en place pour que les mécanismes d’expression de la souveraineté populaire soient vidés de tout contenu. Partout ces politiques affaiblissent et contournent les mouvements sociaux et syndicaux. La “ bonne gouvernance ” tant vantée signifie en fait la gestion des tensions en fonction des seuls intérêts des possédants.

Pourtant la légitimité de l’ordre néo-libéral est affaiblie par la réalité spectaculaire et la conscience des ravages sociaux, écologiques, culturels qu’il provoque dans les sociétés. Les politiques économiques, sécuritaires et écologiques sont fortement contestées par des mouvements sociaux en voie d’organisation à l’échelle internationale.

2. Qu’est-ce que le mouvement altermondialiste et où en est il ? Il s’agit d’un mouvement social mondial qui pourrait contribuer à un objectif que le mouvement ouvrier n’a jusqu’ici pas pu atteindre : créer un grand mouvement d’émancipation humaine authentiquement internationaliste, démocratique et écologiste. A condition d’approfondir la qualité de son fonctionnement et de ses propositions, et de les hisser à la hauteur du défi posé par la radicalisation néo-libérale.

2.1 Un authentique mouvement social mondial

Nous sommes en présence d’un mouvement social au sens plein du terme. Comme tout mouvement social, il se construit dans les pratiques d’associations, de réseaux et de syndicats, de façon largement autonome par rapport aux logiques étatique et capitaliste. Il se définit d’abord par un socle de convictions communes : le refus de la marchandisation des activités humaines, l’exigence égalitaire et démocratique, le souci de l’avenir de la planète. Ce socle commun laisse place à une grande diversité d’objectifs et d’initiatives des acteurs qui se reconnaissent en lui : promotion des droits sociaux, des droits des femmes, de l’écologie, des cultures minoritaires, de la paix, etc... Il se réfère à des “ moments forts ” (l’échec de l’Accord multilatéral sur l’Investissement (AMI) en 1998, du sommet de l’OMC à Seattle en 1999, les mobilisations du contre-sommet de Gênes en 2001, etc), et des “ hauts-lieux ” (le Chiapas, Porto Alegre, le Larzac...).

Toutes ces initiatives se soutiennent dans des relations de co-appartenance, mais sans jamais tenter de se fédérer formellement ni de se cristalliser dans un organigramme rigide. Un “ mouvement ” se caractérise aussi par ses rythmes discontinus et son caractère évolutif ; des poussées soudaines alternant avec des phases d’attente et de repli, comme sans doute la phase actuelle. En revanche - ceci est manifeste dans les échecs des mouvements sociaux du passé - il peut échouer faute de savoir construire un projet alternatif à la fois cohérent et convaincant...

Le mouvement altermondialiste n’a cessé d’évoluer depuis qu’il s’est constitué. Il ne cesse d’élargir son assise géographique, de l’Europe à l’Amérique Latine, puis l’Asie, déjà l’Afrique... Ses axes de mobilisation se sont multipliés, ce qui lui a permis d’investir de nouveaux terrains d’expérimentation et de luttes (comme l’économie solidaire ou la mobilisation contre la guerre en Irak) et d’agréger de nouvelles composantes, comme ce fut le cas au moment du forum social européen de Paris-Saint-Denis. L’orientation de ses mots d’ordre s’est progressivement transformée, pour passer d’une dénonciation de la mondialisation (phase “ antimondialisation ”) à une recherche de propositions alternatives (phase “ altermondialiste ”).

Ce mouvement est une réponse de la société aux offensives multiformes du néo-libéralisme, dans un contexte marqué par le vide politique laissé par l’effondrement du modèle “ socialiste réel ” qui se présentait comme alternatif au capitalisme de marché, par l’affaiblissement du mouvement syndical et socialiste, et le ralliement d’une grande partie de la social-démocratie au libéralisme économique. Pour faire face à la mondialisation néolibérale, le mouvement altermondialiste a dû reprendre le flambeau de l’internationalisme que le mouvement ouvrier n’avait pas su ou pu élever au niveau nécessaire. C’est là que réside son succès, et l’espoir du rôle historique dont il est potentiellement porteur.

2.2 Altermondialisme et mouvement ouvrier

Le rapport travail/capital reste un des rapports sociaux décisifs structurant l’espace-monde et déterminant les rapports de forces, notamment pour le partage des richesses et l’orientation du développement social. Pour autant, le prolétariat peut-il encore être considéré comme une force propulsive capable de construire un projet social émancipateur pour l’humanité entière ? La défense de son point de vue et de ses intérêts demeure plus que jamais légitime, mais peut-elle toujours prétendre à l’hégémonie au sein du mouvement social ? Déjà la place essentielle tenue par les mouvements paysans dans l’émergence de l’altermondialisme et dans son contenu questionne la centralité du mouvement ouvrier (même pris au sens large). Certains vont même jusqu’à estimer que la lutte des classes s’effacerait au profit d’une myriade de luttes dispersées, la “ multitude ” prenant la place du prolétariat comme sujet de la révolution.

Sans aller jusque là, on peut faire l’hypothèse - à vérifier dans le développement historique - que le mouvement altermondialiste est susceptible de faire converger le mouvement ouvrier et d’autres luttes émancipatrices (féministes, écologistes, homosexuelles, antiracistes, nouvelles aspirations démocratiques, promotion des capacités créatrices des individualités, etc.) dans une construction plurielle. Le salariat (formel ou informel) représente aujourd’hui l’immense majorité des citoyens des pays du Nord, et une fraction croissante (bien que minoritaire) de ceux du Sud. Les aspirations fondamentales du mouvement ouvrier (égalité, démocratie, justice sociale) se distinguent de moins en moins de celles de l’ensemble des citoyens, même si les syndicats ont encore bien du mal à intégrer la question de l’écologie. Le mouvement altermondialiste se définit d’abord comme un mouvement de citoyens qui cherche à mobiliser l’ensemble de la société en défense de droits concrets et universalisables. Ce n’est donc pas un mouvement de classe, comme l’est le mouvement syndical, mais ses objectifs et ses valeurs sont fort proches. Le mouvement syndical et ouvirer a sans doute tout à gagner à élargir ses problématiques à la prise en compte des intérêts des acteurs sociaux constitués à l’extérieur des entreprises (consommateurs, usagers, écologistes, etc). Et le mouvement altermondialiste ne pourra peser réellement qu’en s’appuyant sur la force sociale encore considérable et sans égale que représente le mouvement syndical.

Dans cette hypothèse l’avenir de l’altermondialisme résiderait non dans sa capacité à se substituer aux luttes de classes traditionnelles, mais dans sa capacité à les réinterpréter, à les refonder et à les élargir. La tâche actuelle serait de faire converger luttes traditionnelles et nouvelles, spontanément peu proches encore du fait des méfiances réciproques entre syndicats/associations, mouvements/partis, etc. Ceci suppose que s’engagent des débats sur le fond, en prenant du recul par rapport aux urgences du moment, afin de dépasser les méfiances, les procès d’intention, les différences de culture. Les liens avec le mouvement écologiste, présent dès l’origine du mouvement altermondialiste du fait de la dimension immédiatement globale de ses problématiques, demandent une réflexion particulière.

2.3 Altermondialisme et mouvement écologiste

Quand le mouvement ouvrier s’inscrivait dans la perspective de la généralisation d’un modèle industrialiste plus égalitaire, les écologistes ont apporté en propre une critique des macrosystèmes techniques et une analyse du long terme. Ils ont montré le caractère incontournable de la protection des habitats et des régulations naturelles dans toute tentative d’émancipation. Remettant en cause les promesses d’émancipation par la consommation et la technoscience, ils demandent que les techniques et les orientations collectives ne soient plus confiées aux experts et ajustées en aval mais évaluées démocratiquement en amont de toute politique, à tous les niveaux, en fonction de leurs impacts à long terme. Cela les conduit à critiquer l’importance accordée à la production de biens au détriment d’une vision de long terme plus large. Ils défendent la relocalisation des enjeux, la protection de la qualité des habitats, garants de la pérennité des modes de vie et conditions d’une cohabitation pacifique des peuples. Méfiants envers le pouvoir et les organisations rigides traditionnelles, ils ont jusqu’ici privilégié les organisations plus souples, réactives, basées sur l’exercice actif et revendicatif de la citoyenneté.. Au sein du mouvement alter et au contact d’autres traditions de lutte, ils peuvent s’inscrire dans la perspective du dépassement des tensions parfois vives entre logique sociale (tel le désir des salariés d’industries polluantes de préserver leurs emplois) et logique environnementale. Ainsi l’une des tâches des altermondialistes est-elle de dépasser simultanément la contradiction capital/travail et la contradiction capital/nature pour insérer l’activité humaine dans l’équilibre de la biosphère.

2.4 Un mode de fonctionnement vraiment innovant

Ensemble très divers et hétérogène, le mouvement alter rassemble des citoyens et des organisations ayant leur propre histoire et leurs moyens de lutte. Il mêle plusieurs sensibilités politiques complémentaires, d’ailleurs souvent présentes chez les mêmes individus ou organisations. Pour certains l’objectif prioritaire est de réhabiliter l’action de l’Etat, rempart contre les inégalités et l’insécurité sociale ; d’autres mettent l’accent sur la recherche d’une nouvelle régulation sociale et écologique à l’échelle de la planète, limitant le pouvoir des marchés financiers et des multinationales ; d’autres enfin privilégient la construction de rapports de force face aux gouvernements et aux institutions internationales en s’appuyant sur les mobilisations sociales pour rechercher des alternatives au capitalisme.

Le mouvement a remis au goût du jour les actions de désobéissance civile. Ces actions génèrent de la confiance et de la solidarité, elles sont nécessaires car le mouvement a besoin de victoires concrètes. Elles permettent à celles et ceux qui s’y engagent de retrouver un sens à leur vie, le goût de l’engagement, même si certains dans le mouvement craignent parfois leur côté minoritaire.

Le mouvement peut avancer malgré ces différences grâce à son mode de fonctionnement original. C’est d’abord un fonctionnement en réseaux, largement décentralisé et horizontal, qui s’oppose au fonctionnement le plus souvent pyramidal et vertical des organisations syndicales et politiques. Dans ce domaine, le mouvement a su s’approprier d’une manière très efficace les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ensuite le mouvement altermondialiste fonctionne et prend ses décisions sur le mode du consensus, ce qui favorise les mobilisations citoyennes. Il ne vise pas à se “ décanter ” ou à se “ purifier ” en forçant la clarification entre des “ lignes ” politiques supposées antagonistes. Au contraire il cherche à combiner de plus en plus débats et actions en commun, de façon à opérer les clarifications dans la pratique.. Ainsi des oppositions parfois jugées indépassables au départ se révèlent souvent ne pas être des obstacles à des initiatives et des actions communes et ambitieuses.

Aujourd’hui, davantage que du vocabulaire de “ l’unité ” et de “ l’unification ”, nous avons besoin du vocabulaire plus souple des convergences et des coordinations, mettant l’accent sur le travail nécessaire pour rapprocher les analyses, les identités et les intérêts, sans écraser les différences. Le mouvement a aussi su saisir l’aspiration à la démocratie participative, qui vise à stimuler l’engagement du plus grand nombre dans les affaires communes, tant au plan politique qu’économique. Les récentes expériences de démocratie participative montrent que cette dernière est indispensable au renouveau de la démocratie représentative, qui vit une crise profonde, y compris dans ses hauts-lieux que sont les Etats-Unis et l’Union européenne.

2.5 De nouveaux ressorts pour l’engagement

La marchandisation et la publicité font croire à chacun d’entre nous que les biens qu’il ou elle achète récompensent son effort de compétitivité, lui confèrent une identité et lui permettent d’avoir prise sur son avenir. C’est l’inverse qui est vrai. Au-delà de l’effet immédiat, la soumission aux logiques marchandes exacerbe la concurrence, mine les solidarités, uniformise les modes de vie et ne procure que des déceptions. L’action collective est plus que jamais indispensable, mais aussi problématique.

Les mouvements sociaux contemporains ne peuvent plus exiger, et c’est heureux, le sacrifice de l’individualité et la fusion dans un collectif supposé homogène (nation, classe, ...). Susciter l’engagement des citoyens dans l’action collective pour des valeurs ou pour le bien commun suppose désormais, pour le mouvement altermondialiste comme pour les autres, de relever le défi individualiste. Les sociétés occidentales ont connu un long processus d’individualisation notamment depuis la Renaissance. Cette individualisation s’est accélérée et a pris des formes nouvelles depuis les années 1960, d’abord aux Etats-Unis, puis dans les sociétés européennes, en touchant aussi de façon contrastée les sociétés du Sud.

Cet individualisme contemporain est le produit d’une pluralité de logiques en interaction : logique économique de l’individualisme marchand approfondie par le néolibéralisme et le management néocapitaliste ces dernières années, logique politique de la citoyenneté démocratique, dynamique juridique des droits individuels ou logiques sociales associées aux transformations de la famille et de l’intimité, notamment. L’individualisme contemporain porte tout à la fois des aspects régressifs (corrosion du lien social ou nouvelles pathologies narcissiques) et des aspects émancipateurs (élargissement des marges de liberté des individus ou développement d’une intériorité personnelle). Il constitue alors un triple enjeu pour le mouvement altermondialiste :

a) dans le combat contre l’individualisme néolibéral (dans les nouveaux dispositifs d’entreprise comme dans l’univers de la consommation ou du rapport à la culture) ;

b) parce que l’individualisation affecte les nouvelles formes d’engagement ; ce qui oblige à innover en termes de pratiques militantes, en rompant avec les formes traditionnelles du “ sacrifice ”, de “ la discipline ”, de l’adhésion à un système de pensée fermé, en laissant place à la variété et à l’intermittence des engagements ;

c) parce que c’est aussi pour promouvoir l’individualité, mais une individualité sociale et non pas autarcique, qu’on doit mettre en cause le néolibéralisme. Sa critique doit se faire bien sûr au nom des solidarités collectives défaites, mais également au nom d’une singularité individuelle écrasée par la marchandisation des activités humaines et par l’aliénation résultant des méga-systèmes techniques, médiatiques ou étatiques. L’individu ne doit pas être laissé au néolibéralisme. L’émancipation dont nous nous efforçons de retrouver le chemin est indissociablement collective et individuelle. Dans cette perspective, une part de la tradition libertaire, historiquement plus sensible à l’individualité, doit être réactivée. Mais en n’oubliant pas que les dispositifs publics (citoyenneté et Etat social notamment), aujourd’hui mis à mal par le néolibéralisme, constituent historiquement des conditions nécessaires de l’autonomie de l’individu moderne.

2.6 Après les premiers succès un second souffle est nécessaire

Comme tout mouvement social le mouvement altermondialiste vise à transformer le milieu où il évolue - en l’occurrence le monde. Si l’on voulait résumer son bilan de ce point de vue, on pourrait dire qu’il a commencé changer les perceptions mais pas encore à peser sur les politiques.

Peut-être la principale avancée est-elle d’ordre idéologique : nos adversaires détiennent les postes de commandement mais ils ne détiennent plus la maîtrise totale des esprits. Il serait aussi faux que dangereux de prétendre qu’une majorité planétaire est gagnée aux thèses altermondialistes mais, à l’évidence, elles progressent. Un sondage conduit par Gallup en mai 2004 en Allemagne, aux Etats-Unis, en France et au Royaume Uni, fournit des indications certes contrastées mais intéressantes. C’est ainsi, par exemple, que 61 % des personnes interrogées estiment que les accords commerciaux sont passés au détriment des pays pauvres, 56 % considèrent que le commerce international sert d’abord les intérêts des transnationales et 66 % qu’il devrait être subordonné au respect de l’environnement.

Autre indicateur de leur progression, certaines de nos thématiques sont reprises dans les centres de décisions, comme on l’a vu le 20 septembre dernier à la tribune des Nations Unies où Jacques Chirac, Lula, Ricardo Lagos (Chili) et Jose Luis Zapatero (Espagne) ont obtenu le soutien de 110 pays au principe d’une fiscalité internationale en faveur des pays du Sud. Il s’agit d’une victoire idéologique du mouvement et notamment d’ATTAC, même si personne n’imagine que ces gouvernements ont réellement l’intention de mettre en œuvre une telle fiscalité, vu le degré d’affrontement avec les milieux financiers que cela impliquerait.

De même il est clair que l’échec de la réunion de l’OMC à Cancun en 2003 doit beaucoup à la pression populaire, notamment paysanne, organisée par Via Campesina et le mouvement altermondialiste, même si la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud ont axé leurs revendications sur une libéralisation totale des importations agricoles des pays du Nord, qui représenterait un nouveau pas vers la dérégulation complète du commerce mondial. Le sacro-saint libre-échange commence à être remis en cause même dans des sphères proches des décideurs, à cause de ses effets déstabilisants sur de nombreuses sociétés.

Mais aujourd’hui, le mouvement altermondialiste piétine face au durcissement de l’offensive libérale, alors que cette offensive appelle au contraire le mouvement à franchir un palier supplémentaire. Les forums sociaux, même s’ils demeurent des moments forts du mouvement, ont un caractère répétitif, restent sans débouché et ne se traduisent pas par des avancées significatives. Après avoir obtenu des victoires mobilisatrices (Seattle, Cancun, ...), le mouvement n’a pas engrangé de nouveaux succès sur la période récente, ce qui fait douter certains de son utilité et réduit son attractivité. Il éprouve également des difficultés à passer du stade de l’antimondialisme à celui de l’altermondialisme. Sa diversité, son hétérogénéité, la multiplicité de ses thèmes de mobilisation, qui constituent l’une de ses forces, rendent aussi plus difficile l’approfondissement de sa réflexion et de son action. Loin de signifier le déclin du mouvement, les difficultés actuelles peuvent constituer une occasion de rebondir à condition de faire preuve de créativité. C’est dans ce contexte que le rôle d’une association comme Attac peut se révéler encore plus important.

3. Attac dans le mouvement Attac est née en même temps que le mouvement altermondialiste. Notre association s’est immédiatement focalisée sur un enjeu clé de la mondialisation néolibérale, la question de la finance internationale. Son développement spontané à l’échelle internationale et l’écho de nos thématiques, par exemple sur la taxe Tobin, les taxes globales ou les paradis fiscaux, montrent que cette question est en effet identifiée comme cruciale par de nombreuses forces militantes. Mais Attac ne s’est pas enfermée dans une seule thématique, et a su légitimement, à partir de sa problématique initiale, étendre sa capacité d’analyse et d’intervention à de nombreux autres domaines (environnement, féminisme, emploi, protection sociale,...). Notre association joue un rôle irremplaçable dans le mouvement et peut contribuer à son rebond nécessaire.

3.1 Attac : un apport indispensable

Dans un mouvement aussi éclaté et hétérogène, Attac occupe naturellement en France une place spécifique de par sa capacité à aborder une grande diversité de thématiques et à jeter des ponts entre les domaines. Cette capacité, notre association la doit d’abord à sa structure originale, qui rassemble de nombreuses organisations syndicales et associatives, les membres fondateurs. Chacune de ces structures dispose d’un enracinement sectoriel et d’une expertise précieuse, qu’elle met au service des autres composantes de l’association. Attac est également riche de ses nombreux comités locaux, enracinés dans la vie des territoires, où ils prennent les initiatives, organisent les débats et les actions que la situation locale nécessite, tout en s’appuyant sur les analyses et campagnes proposées par la structure nationale.

Toutefois, le caractère irremplaçable d’Attac ne tient pas seulement à sa structuration originale et à ses réservoirs d’expertise critique : il vient aussi de sa capacité politique à identifier les clés de voûte de la mondialisation néo-libérale, ses contradictions et ses impasses. Mettre l’accent sur le pouvoir de la finance, comme nous l’avons fait dès le départ, c’était identifier une des causes essentielles de la régression démocratique dans nos sociétés, qui elle-même explique la capacité d’élites numériquement restreintes à imposer leur volonté et leur irresponsabilité à l’ensemble des habitants de la planète.

Ce diagnostic - qu’il convient d’actualiser en permanence, comme nous le proposons ci-dessus - nous a permis d’élaborer une vision transversale des tâches du mouvement altermondialiste, vision basée sur l’exigence démocratique (“ se réapproprier ensemble l’avenir de notre monde ”). C’est cette exigence démocratique radicale qui fonde notre refus de la mondialisation néolibérale et des soit-disants lois économiques qu’on voudrait aujourd’hui constitutionnaliser, tout comme de l’instrumentalisation des menaces qui devient un “ mode de gouvernance ” à part entière.

Attac joue donc, en France et dans d’autres pays, un rôle spécifique, ni hégémonique ni privilégié mais indispensable, par sa capacité à faire travailler, réfléchir et agir ensemble, de façon organique et permanente, des forces militantes issues d’horizons très divers, représentatives de toutes les sensibilités du mouvement altermondialiste. Cette richesse et cette diversité doivent absolument être préservées si nous voulons qu’Attac se développe et soit utile au développement du mouvement.

3.2 Comment construire Attac ?

Bien gérer notre association est évidemment crucial, mais la construction d’Attac ne se décrètera pas principalement par des mesures organisationnelles (campagnes de recrutement, opérations d’affirmation identitaire,...). Notre association se construit quand elle fait la preuve de son utilité aux yeux des citoyens et des militants engagés dans les luttes sociales, comme l’a montré l’exemple de notre fructueuse participation aux mouvements de lutte contre les réformes des retraites et de l’assurance maladie. Notre utilité consiste à proposer à la réflexion commune des analyses et des propositions d’action bien fondées sur nos capacités d’expertise théorique et notre connaissance du terrain.

Construire Attac, c’est nous rendre utile au développement du mouvement social et altermondialiste, à l’élaboration critique et alternative, à la construction d’alliances, c’est faire d’Attac, avec d’autres, un agitateur d’idées et de propositions d’actions communes qui facilitent la convergence des forces sociales intéressées dans la mobilisation et la construction d’alternatives aux “ réformes ” ou à l’irresponsabilité néo-libérales.

Du fait de notre insertion dans le réseau international Attac, de notre connaissance du mouvement altermondialiste et surtout du caractère transversal de nos problématiques, nous avons des responsabilités particulières dans la construction de campagnes et d’alternatives cohérentes au plan international et en premier lieu européen. Il s’agit donc de réaffirmer la vocation internationale d’Attac, de rechercher en commun avec nos partenaires des thèmes de campagnes internationales (européennes en premier lieu) (cahiers de doléances, campagne européenne sur la Constitution, ...), de mieux participer à la coordination des Attac d’Europe et du monde sans les opposer au reste du mouvement ni réclamer un rôle d’avant-garde. En même temps les niveaux national, régional et local ne doivent aucunement être négligé puisque c’est encore là que la pression démocratique est la plus efficace. Attac doit chercher à catalyser le rassemblement de toutes les forces sociales démocratiques hostiles au néo-libéralisme, comme nous le faisons déjà dans les Forums sociaux locaux mais aussi en proposant la réunion d’un Forum social français largement ouvert (y compris bien sûr à des représentants des pays anciennement colonisés).

Mais la construction d’Attac passe aussi par sa capacité à approfondir la pertinence et la cohérence des alternatives que notre association met en débat devant la société.

3.3 Approfondir les élaborations stratégiques alternatives

Au fil des luttes sociales le mouvement altermondialiste et Attac en particulier ont su mettre en avant de nombreuses propositions d‘alternatives aux choix néo-libéraux. Pourtant, il ne sert à rien de le nier : d’énormes lacunes demeurent dans notre capacité à formuler, dans de nombreux domaines décisifs, des propositions à la hauteur des exigences du moment. Parmi les principaux défis que notre élaboration stratégique devra relever dans les années à venir on peut noter :

* le défi écologiste : il s’agit de la nécessaire prise en compte de la situation des générations futures comme des dégâts potentiellement irréversibles sur les conditions naturelles de la vie en commun qui sont en jeu dans les choix d’aujourd’hui. Ce qui nous oblige à reformuler profondément l’exigence de “ Progrès ” qui a marqué les traditions républicaine, social-démocrate et communiste ; à penser la compatibilité du social et de l’environnemental ; et à redéfinir un mode de développement économe, ni capitaliste (donc non subordonné à la loi du profit) ni productiviste (donc rejetant l’impératif de la croissance des forces productives matérielles).

* le défi féministe : la lutte pour l’égalité des sexes n’a produit pour l’instant que des avancées partielles, et l’invention de nouveaux rapports entre les sexes reste nécessaire. Dans les formes républicaines, sociales-démocrates et communistes, le féminisme a trop souvent été appréhendé comme une lutte “ périphérique ” et/ou “ spécifique ” à côté de ce qui aurait été “ le principal ”. La préoccupation de l’égalité des sexes doit irriguer l’ensemble de nos élaborations critiques et alternatives.

* le défi européen et mondial : le cadre mondial est devenu plus opératoire pour le combat émancipateur qu’aux époques du cosmopolitisme des Lumières et de l’internationalisme prolétarien. Reste à imaginer comment pourraient s’agencer les relations entre les différents niveaux d’intervention démocratique : local, national, régional et mondial. Reste également à refonder le projet européen autour des finalités humaines et non des critères financiers, à définir une nouvelle architecture pour la fiscalité, les taux de change, les relations commerciales internationales (en dépassant l’opposition entre libre-échange indiscriminé et protectionnisme autarcique), etc...

* le défi libéral : nous critiquons le libéralisme économique, mais l’étiquette “ antilibérale ” risque de laisser croire ou dire que nous relativisons certains acquis du libéralisme politique, et tout particulièrement le respect des droits fondamentaux, l’égale participation des citoyens aux affaires de la cité, la pluralité et l’équilibre des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Il s’agit au contraire de montrer que le libéralisme économique est fondamentalement hostile aux droits et à la participation démocratique, et de dépasser les limites du libéralisme politique traditionnel par une radicalisation de la démocratie.

* le défi démocratique : l’enjeu est d’abord d’accroître la participation de tous, et notamment de ceux qui en sont souvent exclus (femmes, minorités, chômeurs et précaires,...), aux débats et décisions sociales ; de définir des propositions pour supprimer le chômage, la précarité, la nécessité de lutter pour survivre, obstacles majeurs à l’épanouissement d’une démocratie authentique ; de définir des projets et de développer des pratiques pour radicaliser la démocratie, tant politique (démocratie participative, conférences citoyennes...) qu’économique (économie solidaire, nouveaux droits des salariés, contrôle citoyen sur les transnationales, appropriation sociale de l’économie, formes de propriété...).

3.4 Attac et le politique

La plupart des composantes du mouvement altermondialiste ne recherchent pas la prise directe du pouvoir politique, mais situent leur action en priorité dans la sphère des contre-pouvoirs, en se fondant principalement sur les mobilisations citoyennes et sur l’éducation populaire, c’est-à-dire sur le combat idéologique contre la pensée unique du néolibéralisme.

Attac, pour rester fidèle à sa vocation de mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action, ne doit ni se transformer en parti politique, ni se laisser instrumentaliser par telle ou telle formation politique, ancienne ou nouvelle, qui se réclamerait de son prestige ou utiliserait ses réseaux. A cet égard, à l’occasion des élections européennes en France, le malheureux épisode des listes “ 100% altermondialistes ” nous a fait perdre de la crédibilité, tant par la crise de confiance qui s’en est suivi au sein d’Attac, que par la confusion créée relativement à notre place vis à vis du pouvoir politique.

En revanche Attac doit certainement intervenir dans le débat politique, y compris lors des campagnes électorales, pour interpeller les candidats et les gouvernants, et proposer des politiques rompant avec le néo-libéralisme et cohérentes avec les objectifs du mouvement. L’une des tâches de l’heure est d’ailleurs d’identifier une série de “ points de rupture ” en deçà desquels aucune politique nouvelle ne pourrait commencer à changer la donne et à redonner confiance aux citoyens dans l’action politique. Parmi ces points de rupture, et pour en rester au domaine économique et social, on peut notamment penser à :

réduction du temps de travail dans un premier temps pour réduire drastiquement le chômage, puis au fur et à mesure des progrès de la productivité ; mise en place d’une sécurité sociale de l’emploi éliminant la précarité ; revenu garanti pour chacun, permettant de vivre décemment ; garantie effective de l’égalité hommes-femmes dans l’emploi, développement des structures collectives d’accueil des jeunes enfants ; abrogation immédiate des “ réformes ” libérales de la protection sociale, et le financement de celle-ci par un meilleur partage de la richesse ; fiscalité progressive renforcée pour assurer une plus grande redistribution des revenus ; appropriation sociale des biens publics : ressources et connaissances mises hors de portée du dépôt de brevets ; appropriation sociale des grandes infrastructures et des services publics : énergie, transports, communications ; réorientation des programmes énergétiques : sortie progressive du nucléaire et développement des énergies renouvelables, avec une politique forte d’économies d’énergie ; réorientation drastique des politiques de transports privilégiant les formes économes de mobilité ; taxation des productions et consommations polluantes ; aides aux paysans totalement découplées de la taille des exploitations et de la production mais associées à la qualité et au respect des équilibres écologiques ; fin du libre-échange total et ouverture des frontières subordonnée au respect des équilibres régionaux ; fin de l’indépendance de la Banque centrale et soumission aux objectifs sociaux ; contrôle des mouvements de capitaux, taxation des transactions financières ; suppression des paradis fiscaux ; annulation de la dette du tiers-monde sans indemnisation des réseaux bancaires.

Au delà, l’ampleur et la nouveauté des aspirations portées par le mouvement et par Attac nous obligent à repenser les liens entre mouvements sociaux et sphère politique, entre affirmation des résistances et investissement des lieux du pouvoir. Le mouvement altermondialiste porte en germe une politique de la pluralité, supposant l’équilibre entre une diversité d’institutions non hiérarchisées : syndicats, groupes citoyens, associations, ONG, formes d’auto-organisation plus provisoires...et partis politiques. Contre les modèles anciens, social-démocrate ou léniniste (donnant la direction politique aux partis, sous la forme parlementaire ou celle de “ l’avant-garde révolutionnaire ”) mais aussi anarcho-syndicaliste (tendant à effacer la place des partis dans une hiérarchisation inversée par rapport à la première et à maintenir une étanchéité totale entre le mouvement social et les partis), la galaxie altermondialiste se situe davantage dans la voie d’une équilibration des tensions entre une multiplicité de regroupements, permettant l’expression des individualités.

Reste que la question de la traduction sur la scène politique institutionnelle et dans les politiques publiques des aspirations portées par le mouvement et par Attac demeure posée. En tant qu’association exprimant des revendications profondément politiques, nous ne pouvons nous satisfaire d’une situation d’alternance entre le libéralisme antisocial et le social-libéralisme. Les actuels partis de gauche sont-ils capables de renouveler leurs identités et leurs pratiques, de s’extraire de leurs histoires et de leurs passifs respectifs pour porter réellement dans la sphère politique et dans les politiques publiques les nouvelles aspirations démocratiques, écologiques et sociales ? Ou le mouvement altermondialiste, pour dépasser le stade de la protestation et du contre-pouvoir et commencer à voir ses projets mis en œuvre par le politique, devra-t-il se doter d’instruments d’intervention directe sur la scène politique, et lesquels ? Ce nécessaire débat ne fait que commencer. L’essentiel est qu’il se déroule dans la transparence et la patience, toute tentative de raccourci ne pouvant que favoriser des divisions et des manoeuvres préjudiciables à l’ensemble du mouvement.

Texte soumise à la signature des membres du Conseil scientifique d’Attac et signé par : lbert Richez, Azam Geneviève , Brugvin Thierry, Chesneaux Jean, Corcuff Philippe, Coutrot Thomas, Drezet Vincent, Flipo Fabrice, Gadrey Jean, Gourévitch Guy, Gustave Massiah, Jacques Cossart, Jean-Marie Harribey , Jouary Jean-Paul, Juan Roy De Menditte, Kervella Bernard, Khalfa Pierre, Le Quéau Serge, Menahem Georges, Mühlstein Philippe, Nikonoff Jacques, Plihon Dominique.

 alternatives-international.net

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