Reporterre publie les documents transmis aux membres de la Convention citoyenne pour le climat et aux parlementaires impliqués. Une transmission faite ce lundi 7 décembre, le jour même de la réunion. Rénovation énergétique, transport, artificialisation : le gouvernement est très en retrait des propositions de la Convention.
Lundi 7 décembre, le gouvernement a présenté en visioconférence à des députés et à des membres de la Convention citoyenne pour le climat la première esquisse du projet de loi. Comme le rappelait Reporterre, ces derniers mois, l'élaboration du texte de loi s'est faite dans l'opacité malgré les promesses de concertation de l'exécutif. Plusieurs citoyens ont eu l'impression d'être « pris au piège » et de servir de « faire-valoir ». Pour exprimer leurs mécontentements, certains ont même boycotté cette dernière salve de réunions.
Pour contribuer à la transparence de ce débat qui concerne notre avenir à tous, Reporterre publie, in extenso, les documents que le gouvernement a présenté aujourd'hui aux citoyens et aux députés. Plusieurs éléments s'en dégagent. De nombreuses mesures phares de la Convention citoyenne pour le climat n'ont pas encore été arbitrées. C'est le cas notamment de la généralisation du forfait mobilité durable ou de l'obligation de rénovation globale des bâtiments. D'autres ont déjà vu leur délai rallonger par rapport au calendrier imaginé par la Convention citoyenne. Le gouvernement a retenu un objectif programmatique de fin de vente des voitures neuves les plus émettrices à horizon 2030. La convention citoyenne proposait 2025. Soit cinq ans plus tôt. La fiscalité du transport routier de marchandises a aussi été décalée dans le temps.
Bref, le diable se cache dans les détails. Beaucoup de mesures restent encore en chantier. Leurs ambitions dépendent du seuil choisi, du montant financier qui sera associé et des futures dérogations accordées. Par exemple, sur la fin de vente des voitures neuves, le gouvernement n'a pas précisé de niveau concret de pollution. La Convention citoyenne, elle, l'avait fixé à 110 g de CO2km. Les documents transmis par le gouvernement indiquent juste que « le seuil sera précisé dans les prochains jours ».
« La novlangue du gouvernement cache une pluie de jokers »
Même chose au niveau de l'aérien. L'exécutif se dit prêt à interdire la création de nouveaux aéroports ou l'agrandissement de ceux qui existent déjà. Mais une phrase plus loin, il écrit le contraire et affirme que « des exceptions seront prévues pour des extensions ou des créations d'aéroports lorsque le besoin est justifié ».
« C'est un véritable charabia », peste Clément Sénéchal, chargé du climat à Greenpeace. Pour lui, « la novlangue du gouvernement cache une pluie de jokers. Le texte est truffé d'ambiguïté et de dérogations. Il n'y a aucune révolution, aucun changement de braquet. Ces documents ressemblent plus à un mémoire en défense qu'à un projet de loi. Le gouvernement tente à tout prix de se justifier ».
La première réunion, ce lundi, a concerné la rénovation thermique et l'artificialisation des sols. Les députés et les citoyens ont dû réagir à une présentation orale sans aucun autre document. C'est seulement à la fin de la séance que deux fiches synthétiques ont été transmises.
« En une heure trente, avec une cinquantaine d'intervenants, ça a été très compliqué de couvrir des sujets aussi vastes. On a balayé bien trop rapidement les propositions », regrette William Aucant, un membre de la Convention. Le citoyen se dit rassuré d'avoir entendu dans la bouche des ministres des mesures qu'il avait personnellement défendues, mais il craint que leur ambition soit diminuée. « On a zéro visibilité sur l'obligation ou non de la rénovation thermique », dit-il.
« J'ai peur que l'on se contente de victoires faibles »
Le gouvernement a repris l'objectif de la fin des passoires thermiques d'ici 2028 mais la définition de ces logements fait encore débat. Cet été, le gouvernement avait voulu déterminer par décret un seuil fixant « l'indécence énergétique » mais sa définition était tellement restrictive qu'elle concernait en réalité très peu de logements. Cela avait provoqué la colère des associations écologistes.
« J'ai peur que l'on se contente de victoires faibles », reconnaît William Aucant. Le citoyen redoute ce qu'il appelle « l'effet malus automobile ». En novembre dernier, le gouvernement avait déclaré en trombe vouloir sanctionner les lourdes voitures polluantes, tout en fixant la barre bien trop haut pour que la mesure ait un effet. « Dans cette future loi, ça risque d'être pareil. On va avoir le bon cadre et la bonne orientation mais le curseur va se retrouver au mauvais endroit. »
Danyel Dubreuil, membre du Réseau Action Climat, partage cette analyse : « On va clairement vers un rétrécissement des mesures et un recyclage d'éléments qui sont déjà inscrits dans d'autres lois », souligne-t-il. La seule avancée qu'il mentionne est l'interdiction envisagée pour les propriétaires d'augmenter les loyers dans les passoires thermiques. Et encore, là aussi, le gouvernement reste très timide. Il écrit dans le document qu'il doute de la constitutionnalité de la mesure.
« Le flou pour masquer le vide, c'est intolérable »
L'étalement urbain a été le deuxième thème abordé lors de la présentation du projet de loi. Le gouvernement a repris l'objectif de la Convention citoyenne et souhaite diminuer par deux le rythme de l'artificialisation des sols mais, concrètement, plusieurs éléments sont toujours en suspens.
Une dérogation importante a été accordée à la mesure qui prévoyait d'interdire la construction de futurs centres commerciaux. « Les zones commerciales périurbaines inférieures à 10.000 m2 pourront toujours être autorisées, constate le député Matthieu Orphelin. C'est un seuil bien trop élevé. 90 % des dossiers sont plus petits », rappelle-t-il. Les zones de commerce en ligne n'ont pas non plus été abordées. « C'est le silence complet sur le sujet », dit William Aucant. L'urbaniste de formation regrette aussi que l'objectif de - 50 % d'artificialisation des terres soit décliné à l'échelle régionale sans obligation de conformité avec d'autres documents à l'échelle plus locale, comme les PLU (plans locaux d'urbanisme) et les Scot (schémas de cohérence territoriale). Il doute que les objectifs soient atteignables à cette échelle et de cette manière.
Enfin, la dernière réunion concernait les enjeux liés au transport. Et là aussi les déceptions ont été nombreuses. « Le gouvernement a repris tous les thèmes mais les a vidés de leur substance », explique Agathe Bounfour du Réseau Action Climat.
La fiscalité sur le transport de marchandises a été retardée à 2023. Aucune enveloppe n'a été ajoutée sur le volet financier pour aider les transports alternatifs et lancer par exemple un grand plan ferroviaire. « Le gouvernement est réfractaire à mettre un cadre contraignant à l'industrie que cela soit sur l'aérien ou l'automobile », observe Agathe Bounfour, sans véritable surprise. Sur les aéroports, la manière dont le document est formulé laisse sous-entendre que les grands travaux prévus à Roissy, à Nice, à Marseille ou Lille ne seront pas annulés. « Le flou pour masquer le vide, c'est intolérable »,a réagi Sarah Fayole, de Greenpeace, dans un communiqué.
Demain, mardi 8 décembre, d'autres réunions devront avoir lieu pour les groupes consommer, se nourrir, produire et travailler. « Le travail est très loin d'être terminé », estime le député Matthieu Orphelin.
Source : Gaspard d'Allens pour Reporterre
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La vie en Auvergne
réunion : 𝕏 Grégoire Fraty