14/04/2021 tlaxcala-int.org  12 min #188285

« Ils m'ont beaucoup appris sur l'amour et l'entraide » : Entretien avec Ricky Staub, scénariste et réalisateur du film Concrete Cowboy

 Luke Parker

Un jour, par la fenêtre de son bureau dans le nord de Philadelphie, Ricky Staub a vu un cow-boy à cheval, galopant sur le béton comme si les boulevards et les avenues sous lui étaient encore faits de terre et d'herbe. Quelques questions lui ont permis de pister le cavalier urbain jusqu'aux écuries de Fletcher Street, qui, depuis un siècle, sont implantées à quelques rues seulement du bureau de Staub. Il n'en avait aucune idée.


Ricky Staub

Comme si cette vision peu commune était une prémonition - ce qui ne serait pas une réaction ridicule à avoir - Staub s'est mis au travail. Il a rencontré des membres de la communauté des cavaliers de Philadelphie, et il s'est creusé une niche au sein de celle-ci. Mais ce n'est que lorsqu'il a découvert le roman Ghetto Cowboy de Greg Neri que l'idée de faire un film s'est concrétisée.

Des années de recherche, de production et de festivals plus tard, Concrete Cowboy de Staub est disponible sur Netflix depuis le 2 avril.

Film Inquiry s'est récemment entretenu avec Staub au sujet de son expérience dans la réalisation de ce western urbain, notamment de sa collaboration avec les membres de la communauté, de la paperasserie à laquelle son équipe a dû faire face et de sa relation avec la star Idris Elba.

Cette interview a été rédigée pour plus de clarté.

Lorsque vous avez découvert les cavaliers urbains et le roman de Greg Neri, qu'y avez-vous vu qui « ferait un grand film » ?

Ricky Staub : Visuellement, c'est très reposant de voir un cow-boy chevaucher dans les rues de North Philly. Ce n'est pas une image courante. Mais évidemment, cette créature majestueuse au milieu du quartier, d'un point de vue visuel, est très reposante, ce qui m'a attiré vers le livre.

Mais ce qui a vraiment scellé l'affaire pour moi - en 2011, j'ai lancé une société de production à Philadelphie appelée Neighborhood (Voisinage), avec pour mission d'embaucher des adultes qui rentrent chez eux après une incarcération. Et le premier cow-boy que j'ai rencontré s'appelait Eric Miller. Je parlais au tribunal, comme je le fais chaque année. Il était sorti de prison depuis une semaine et avait déjà acheté un cheval, ce que j'ai trouvé très fascinant. Nous avons donc entamé une conversation et j'ai pu en apprendre davantage sur Fletcher Street et la communauté qui y vit, sur les problèmes qu'ils rencontrent avec la gentrification qui progresse vers le nord et sur leur peur de perdre leurs terrains et leurs écuries.

Eric Miller (1973-2019)

Nous avons commencé à discuter et notre mission principale, dès le début, était de faire un film pour attirer l'attention sur ce qui se passait là-bas et préserver l'héritage des cavaliers noirs, des cowboys noirs de Philly (Philadelphie).

Ça a coché beaucoup de cases pour moi. Bien sûr, il y avait l'intérêt visuel, mais quand j'ai réalisé qu'il y avait un vrai cœur à l'histoire et une mission derrière, j'étais vraiment accroché.

Cowboy du béton

Je sais que vous avez passé beaucoup de temps avec la communauté avant de commencer le tournage. Au cours de ces deux années, beaucoup de cavaliers ont dit qu'ils avaient trouvé du respect et de la confiance pour vous et le projet. Mais qu'avez-vous trouvé au cours de ces deux années ?

Ricky Staub : Je pense que j'ai découvert beaucoup de choses sur la façon dont une communauté - et beaucoup de communautés à Philadelphie, mais particulièrement les cow-boys - peut aimer les belles choses des autres bien au-delà des choses négatives. Il y a de nombreuses façons de regarder une communauté dans une zone pauvre, en particulier lorsqu'elle s'occupe de chevaux, et de juger qu'il s'agit d'une zone peu sûre ou dangereuse. Mais je n'ai ressenti que cette magnifique communauté d'amour. Elle n'est pas parfaite à bien des égards, mais la façon dont elle m'a invité et autorisé à faire partie de son histoire témoigne de sa capacité à accorder aux gens le bénéfice du doute.

Ils m'ont beaucoup appris sur l'amour et le fait de prendre soin les uns des autres, malgré nos difficultés à être humains. Nous sommes tous cassés, mais à bien des égards, c'est ce qui rend cette communauté si belle.

C'est le deuxième film présenté au TIFF (Festival international du film de Toronto) l'année dernière qui traite de l'enracinement dans une sous-culture usaméricaine, le premier étant Nomadland. Et les deux films emploient des membres de leurs communautés respectives comme acteurs. En tant que cinéaste qui crée et observe cette vision du monde, qu'est-ce que ces performances ajoutent à l'expérience ?

Ricky Staub : Pour moi, elles sont essentielles pour donner au film une texture et une authenticité qui lui permettent de ne pas être « hollywoodesque ». Même une grande partie de mes conversations initiales avec Idris et Caleb visaient à reconnaître que je ne voulais pas que ce soit comme s'ils jouaient à se déguiser. Que ce n'était pas un événement d'Halloween où ils allaient s'habiller en cow-boys.

Et je pense que pour les deux films - étant un grand fan de Nomadland et de ce que Chloé Zhao a accompli avec ce film - j'ai vu cela se produire sur notre plateau : les performances de la communauté réelle ont été à la base des performances d'Idris et de Caleb et de tous les autres. Ils ont pu puiser dans ces relations et ces personnes pour s'assurer que leurs performances étaient honnêtes.

Et de la même manière, ces membres de la communauté n'ont jamais joué dans un film auparavant. Ils peuvent donc glaner de nombreuses techniques et stratégies auprès d'acteurs qui ont fait ce métier toute leur vie.

Mais ce que j'ai aimé dans Nomadland, et ce que nous voulions réaliser dans notre film, c'est de prendre ce monde magique avec ce réalisme exacerbé, tout en lui donnant un sentiment d'ancrage. Pour moi, il n'y avait pas de meilleur moyen que de mettre les personnes réelles dans leur propre histoire. Il n'y a pas moyen de faire semblant.

Dans l'art, avec l'authenticité vient le défi, surtout dans les coulisses. Les chevaux dans les villes modernes semblent être un problème logistique en soi, mais quels ont été les défis liés au fait de filmer des chevaux dans des villes ?

Ricky Staub : En dehors des enclos, il y a la sécurité. Nous tournons aussi en plein été, donc il y a ça. Ce sont des animaux. Heureusement, nous avons eu de très bons entraîneurs de chevaux. LTD est la société qui a apporté nos chevaux de cinéma. Mais nous avons aussi utilisé les vrais chevaux de Fletcher Street comme arrière-plan. Vous savez, ce sont des animaux - même les humains n'obéissent pas quand on leur demande de faire quelque chose, encore moins un animal.

Mais tant que nous étions flexibles et compréhensifs, une grande partie de notre approche consistait à capturer le monde dans un style documentaire de toute façon. Nous avons tenu compte de ces variables à bien des égards, en nous disant : « OK, c'est comme ça qu'ils agissent. Nous devons pivoter et juste capturer ce qui est possible à ce moment-là ». Il devait y avoir beaucoup de flexibilité.

Je ne sais pas à quel genre de paperasserie les écuries elles-mêmes ont eu à faire, mais y a-t-il eu des problèmes à cet égard ?

Ricky Staub : Du point de vue logistique, c'était un vrai défi. Heureusement, nous avions dans notre équipe une personne vraiment formidable qui est un développeur, Ryan Spak, qui a été en mesure de nous aider à naviguer dans une grande partie de ces conversations avec la ville. Vous savez, à chaque pas que vous faites, quelqu'un d'autre possède ces bâtiments. Comme on le dit dans le film, personne ne possède rien, ce qui est une partie du problème.

Mais en arrivant en tant qu'équipe légitime, nous avons dû obtenir des permis et des licences de personnes que beaucoup de cow-boys n'avaient jamais rencontrées. Heureusement, grâce aux archives foncières et à la collaboration avec la ville, nous avons pu entrer en contact avec tous les propriétaires des lieux, combler le fossé et obtenir les licences appropriées. Nous avons même réussi à les faire investir dans ce que nous faisions et pourquoi nous racontions cette histoire. Donc, c'était en fait assez cool.

Vous venez de mentionner des outsiders, des gens que vous avez dû faire venir. Je sais que Chloe Zhao a dit qu'elle avait fait très attention à ce qu'on n'ait pas l'impression que Hollywood prenait le dessus. C'était une préoccupation pour vous aussi ?

Ricky Staub : Sans aucun doute. J'ai passé plusieurs années là-bas et les cowboys de Fletcher Street étaient habitués aux gens qui venaient les filmer, mais là on parle d'un couple avec une caméra. Et moi : « Non, ça va être un village de personnes qui vont descendre sur vous, les gars ». Rien ne pouvait les préparer.

Mais une chose dont je suis vraiment fier de la part de nos producteurs, mais aussi de la SAG (Screen Actors Guild, syndicat des acteurs et figurants) locale, l'un des mandats que j'ai imposé était de ne pas faire appel à des figurants syndiqués. Tout d'abord, aucun des membres de la communauté n'est membre de la SAG. Normalement, les membres de la SAG ont la priorité pour les rôles de figurants. Mais j'ai pensé que c'était leur histoire et qu'ils allaient la raconter eux-mêmes. Et la SAG a travaillé avec nous pour s'assurer qu'ils pouvaient être figurants. 11 de nos 14 cascadeurs étaient de vrais cow-boys de la communauté. Dix des rôles parlants étaient tenus par des membres de la communauté.

J'ai été reconnaissant de constater que, malgré les obstacles, tout le monde était vraiment dévoué à la cause. Ils savaient que, même si Hollywood allait débarquer ici et qu'il y aurait beaucoup de visages inconnus, ils contrôlaient le récit. J'ai toujours dit à tous ceux qui venaient ici que nous étions des invités. Et c'était vraiment cool de voir la SAG respecter et honorer la façon dont nous voulions raconter l'histoire.

Je suis sûr que je n'ai pas besoin de vous dire à quel point il est important de faire venir une star dans le développement d'un film indépendant. Je sais qu'Idris Elba était en haut de votre liste de souhaits pour jouer Harp, alors qu'est-ce que son « oui » a signifié pour vous ?

Ricky Staub : ça voulait dire que le film allait se faire. [Rires] Je plaisante, mais avant qu'il ne soit impliqué, nous allions faire le film avec tous les vrais cow-boys. Ils allaient jouer tous les différents rôles. Je venais de faire un court-métrage avec tous les membres de la communauté, et c'était ça le plan.

Mais Idris a lu le script et il a voulu être dedans. Et donc, vous savez, personne ne dit non à Idris Elba dans son film. Donc nous avons pivoté.

Mais cela veut aussi dire que nous en sommes là grâce à sa conviction. Lorsque je lui ai parlé pour la première fois, je voulais que les vrais cow-boys fassent partie de l'ADN du film - pas seulement en coulisses pour m'aider à l'écrire, mais aussi dans le film - ce qui, j'imagine, était un risque énorme pour lui en tant qu'acteur. Je suis donc très reconnaissant qu'il n'ait jamais hésité à me faire confiance, et qu'il n'ait jamais, jamais douté que ces membres de la communauté apportaient quelque chose au film. Il a pleinement adhéré à l'idée qu'ils allaient élever le film, mais aussi sa performance.

Rien que du point de vue talent, il est un élément incroyable. Mais du point de vue du cœur, je ne pense pas que j'aurais été capable de faire le film sans lui.

J'ai vu une interview d'Idris dans The Dark Tower où il se comparait à Clint Eastwood. Et en transposant cette idée dans ce film, même dans son titre, Concrete Cowboy est un mélange intéressant de genres. En tant que scénariste, qu'est-ce qui vous a séduit dans la combinaison du cadre urbain et de l'esthétique western ?

Ricky Staub : L'élaboration du scénario a été amusante car l'une des premières questions que j'ai posées à Eric et Mil (Jamil Prattis) - qui joue Paris dans le film - était : « Que voulez-vous que ce film représente ? » Et ils ont répondu que lorsqu'ils étaient plus jeunes, ils avaient grandi en aimant les westerns, mais qu'aucun de ces westerns ne comportait de cow-boys noirs. Ils voulaient donc pouvoir créer un western qui ressemble à ceux qu'ils aimaient, mais avec des cow-boys noirs.

Jamil "Mil" Prattis, 32 ans, actif dans les écuries de Fletcher Street depuis l'âge de 11 ans

Donc, une grande partie du plaisir a été de réimaginer le cadre urbain actuel, mais avec tous les tropes et les trucs que nous connaissons des westerns. Au niveau du scénario, je me souviens que lorsqu'ils l'ont lu pour la première fois, ils ont été enthousiasmés par le fait que nous ayons réussi à les intégrer.

Compte tenu de votre travail avec les citoyens récemment libérés et du rôle que les écuries jouent à la fois dans le film et dans North Philly (Philadelphie Nord), l'idée d'établir une structure dans la vie semble être un de vos sujets prioritaires. Pourquoi la structure est-elle un thème si important pour vous ?

Ricky Staub : Je n'ai jamais utilisé ce mot, mais c'est en grande partie une question de stabilité. Je pense que beaucoup d'entre nous considèrent comme acquises les choses simples de notre vie qui sont stables : un travail, un endroit que l'on appelle maison, un lit confortable pour dormir la nuit.

Toutes les personnes qui sont passées par mon entreprise savent que ces choses ne sont pas acquises. Notre société est en fait faite pour s'assurer que vous ne puissiez pas obtenir ces choses. Il y a cette prison invisible dans laquelle on vous accueille et qui vous prive d'opportunités de carrière.

Il ne s'agit pas seulement d'emplois ou de belles chambres, il s'agit de la vie que ces choses procurent. Vous pouvez avoir une famille à l'intérieur des murs de ces maisons ; vous pouvez avoir une communauté à l'intérieur des murs de ces emplois que vous occupez. C'est la même angoisse que je pouvais ressentir chez Eric et Mil en sachant que cet endroit qu'ils appelaient leur maison n'était pas le leur.

Et donc, pour moi, les cadeaux que je sens qu'on m'a donnés sont cette soif de justice, pour corriger ces choses ici et maintenant pour les gens. Et de ne pas gâcher ces moments en faisant juste un film ou de jolies publicités. Comment le processus actuel de ce que nous faisons peut-il être transformateur ? Parce que nous passons la plupart de notre temps à travailler à construire des choses. Et il faut juste un peu peaufiner, et tout d'un coup, la vie des gens est transformée.

J'ai reconnu cela assez rapidement avec Eric. Malheureusement, nous l'avons perdu une semaine avant la mise en route. Il a été assassiné. Mais il a quand même un testament. La façon dont la communauté s'est ralliée à cette vision pour lui et les enfants qu'il a laissés derrière lui. Sa sœur m'a dit un jour qu'il avait dit que ce film serait la meilleure chose qu'il ait faite de sa vie.

Les gens font des films tout le temps. Ils viennent et s'en vont, tout comme celui-ci. Mais je suis reconnaissant que le processus dans lequel il a été fait durera toujours.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  filminquiry.com
Publication date of original article: 30/03/2021

 tlaxcala-int.org

 Commenter