16/10/2021 reseauinternational.net  5 min #196566

Aukus, un triumvirat anglosaxon dans l'Indo-Pacifique pour conserver l'hégémonie mondiale

par Pierre-Emmanuel Thomann.

Quelle riposte géopolitique pour la France ? Non-alignement et Pivot vers la Russie.

La nouvelle alliance 1

La rupture du contrat par l'Australie portant sur la livraison de sous marins français et son remplacement par un contrat avec les États-Unis et le Royaume-Uni est la conséquence immédiate de cette nouvelle alliance. Au delà de l'annulation du contrat, la crise diplomatique qu'elle a provoqué résulte plus profondément de la mise à l'écart de la France dans cette nouvelle alliance exclusive des trois pays anglo-saxons et de la duplicité de ces États que la France considérait, à tord, comme des alliés sur un même pied d'égalité.

Cette alliance cristallise les postures rivales et le risque d'une nouvelle phase de prolifération nucléaire s'accroît, puisque le contrat porte sur la livraison de sous-marins américains à propulsion nucléaire à l'Australie, puissance non nucléaire.

AUKUS et la manœuvre d'encerclement de l'Eurasie

Pour interpréter la configuration géopolitique émergente qui résulte de la création de cette alliance, les enjeux doivent être abordés à l'échelle mondiale et non pas seulement dans la zone indopacifique afin d'en souligner les ressorts profonds. L'émergence de cette configuration était pourtant prévisible. L'angle spatial est le cœur de toute analyse géopolitique, et en s'inspirant de la formule du géographe allemand Friedrich Ratzel, « Im Raume lesen wir die Zeit » (« Dans l'espace, nous pouvons lire le temps »), proposons la formule suivante : « nous pouvons lire l'avenir dans les cartes » !

(carte n°1 : Stratégie géopolitique des États-Unis contre la Russie et la Chine dans le cadre de la rivalité des puissances).

Il faut rappeler que pour les États-Unis, la doctrine de l'Indo-Pacifique 3

Cette alliance des trois pays anglo-saxons dans l'Indo-Pacifique est exclusive, car elle découle de l'objectif des Anglo-Saxons de ralentir l'émergence du monde multipolaire à l'échelle mondiale, notamment contre la Chine mais aussi contre la Russie. Même si la zone indopacifique devient prioritaire pour les États-Unis, le théâtre européen reste d'actualité. La stratégie globale des Anglo-Saxons consiste aussi à empêcher l'éventuelle émergence d'un bloc Ouest-européen autour de la France et l'Allemagne, avec à terme une entente avec la Russie, voire la Chine par voie continentale. Les États-Unis ne peuvent pas enrôler la Russie contre la Chine, car non seulement la Russie n'a pas intérêt à une fracture géopolitique en Eurasie avec la Chine, mais si la Russie n'est plus un adversaire, il n'y aurait plus d'obstacle à une entente d'envergure pan-européenne, avec pour conséquence une obsolescence de l'alliance atlantique et du rôle de chef de file des États-Unis en Europe. Les États-Unis ne souhaitent pas non plus quitter le théâtre européen, car en cas de conflit avec la Chine, ils estiment nécessaire d'empêcher la Russie de profiter d'un vide stratégique en Europe, afin d'éviter une guerre sur deux fronts.

L'AUKUS ne constitue donc qu'une escalade supplémentaire dans le cadre d'une grande stratégie des États-Unis vis à vis de l'Eurasie, avec pour objectif d'empêcher une puissance rivale de contrôler les zones côtières de ce continent (et mettre en danger sa suprématie). Elle trouve sa source dans la doctrine géopolitique de Spykman (endiguement de l'URSS dans les années 1950) reconduite jusqu'à aujourd'hui. La désignation de la Chine et la Russie comme adversaires des États-Unis sous la présidence de Donald Trump, priorité poursuivie par Joe Biden, en découle.

La mise à l'écart de la France n'est évidemment pas fortuite, car la France a été en pointe pour la promotion d'une autonomie stratégique européenne, mais aussi pour une nouvelle architecture européenne de sécurité avec la Russie. Un avertissement est envoyé à l'Allemagne par le même occasion car elle souhaite préserver ses liens commerciaux avec la Chine et ses approvisionnements énergétiques avec la Russie.

La présence du Royaume-Uni sous la bannière de la doctrine du « Global Britain » dans cette alliance indopacifique, démontre que sa vocation géopolitique profonde est à visée mondiale. Le Royaume Uni est la seul État européen avec la France qui possède aussi des territoires dans la zone indopacifique, bien qu'ils soient plus réduits comparés à la France. Diego Garcia, territoire britannique au milieu de l'océan Indien est d'une grande importance stratégique pour la nouvelle alliance AUKUS car elle accueille une base militaire américaine très active depuis la Guerre froide jusqu'à aujourd'hui.

En Europe, l'objectif des Anglo-Saxons, principalement les États-Unis et le Royaume-Uni mais aussi leurs alliés atlantistes en Europe centrale et orientale est d'éviter une entente entre la Russie, l'Allemagne et la France, en encourageant notamment une cristallisation de la fracture entre l'Ukraine et la Russie.

D'un triumvirat à l'autre

La diplomatie française, en intégrant dès 2018 la doctrine américaine de l'Indo-Pacifique, s'est alignée sur les priorités des Anglo-Saxons sans la retenue appropriée pour défendre son indépendance stratégique. Elle n'a donc pas obtenu de garantie préalable sur sa participation aux décisions, et se voit écartée aujourd'hui du cœur de l'alliance par le triumvirat États-Unis Australie-Royaume-Uni. La France avait pourtant participé en avril 2021 à des manœuvres navales dans le golfe du Bengale (océan Indien) avec les pays du Quad

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