08/11/2022 infomigrants.net  6 min #218668

« Ça tord le ventre » : à Rennes, des écoles accueillent des familles d'exilés à la rue

Une famille se réchauffe autour d'un feu dans un campement à Rennes, en octobre 2022. Crédit : Olivier Ceccaldi / Utopia 56.

"Il fallait qu'on fasse quelque chose" : lorsque les parents d'élèves de l'école de la Poterie, à Rennes, apprennent en septembre que des élèves de l'école dorment dans la rue, l'hésitation est de courte durée. "On était plusieurs à se dire : 'Il faut les mettre à l'abri, ils ne peuvent pas rester dehors'", se souvient Anaïs, dont les deux enfants sont scolarisés dans cette école élémentaire du sud de la capitale bretonne. Depuis le 10 octobre, les parents ont ainsi ouvert les portes de l'école pour abriter une famille albanaise et leurs trois enfants de six, huit et 14 ans, dont les deux plus jeunes sont scolarisés dans l'établissement. Un abri temporaire, qui pointe le manque de solutions proposées par l'État.

Pour Anaïs, qui souhaite être identifiée seulement par son prénom, c'était presque une évidence : "Le petit était malade depuis deux semaines, avec des poussées de fièvre à 40 degrés, sa sœur arrivait à l'école avec des cernes pas possibles". Alors, un soir, "on a appelé la mairie, et on leur a dit qu'on ouvrait l'école." Depuis, 19 parents d'élèves se relaient tous les jours pour apporter des courses à la famille, leur ouvrir les douches du gymnase et rester d'astreinte, joignables en cas d'urgence.

Comme à la Poterie, deux autres écoles primaires de Rennes sont actuellement occupées. À l'école L'Ille, à l'ouest de la ville, c'est notamment à la suite de l'évacuation d'un campement de fortune dans un square proche de l'établissement que les parents d'élèves se sont saisis de la situation. Seule la moitié des familles à la rue s'étaient vues proposer une mise à l'abri par la préfecture : 177 personnes, dont 105 mineurs,  restaient sans solution.

"Voir la police, les familles avec tous leurs sacs sur le trottoir, et savoir que c'est un camarade de classe de son enfant qui vit ça... C'est ce qui a amené les parents à réfléchir à des actes de désobéissance", explique Héléna Adiet, déléguée du personnel enseignant au syndicat FSU et membre de l'inter-organisation de soutien aux personnes exilées. Des banderoles fleurissent alors sur les murs des écoles rennaises : "Et si c'était vos enfants qui dormaient dans la rue ?". Aujourd'hui, deux familles géorgiennes avec trois et deux enfants sont abritées dans l'école. Une famille congolaise avec trois enfants est également logée dans l'école Léon Grimault, au sud-est de la ville, et un collège a mis un logement de fonction à disposition d'une autre.

"Tenir dans la durée"

"Je suis contente de dormir ici, parce qu'ici il ne fait pas froid. Dans les tentes il fait froid, et je me souviens que j'avais très peur", raconte au micro de l'émission  C à Vous la petite Elisa Zerja, 8 ans et tout sourire, hébergée à l'école de la Poterie.

Si la mairie a assuré qu'elle n'expulserait pas les familles à la rentrée des vacances, lundi 7 novembre, les solutions de plus long terme restent très floues. "Ça va être à nous de tenir dans la durée, et on se pose plein de questions", explique Anaïs. "On n'est que parents d'élèves, pas militants, et on découvre au fur et à mesure les méandres administratifs." Quatorze écoles et deux collèges de la ville se sont maintenant unis dans un collectif pour mieux soutenir les familles. "C'est compliqué parce que ces familles ne sont pas prioritaires sur les listes d'hébergement", ajoute-t-elle.

En effet, la plupart des familles hébergées sont sous le coup d'une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), après un rejet de leurs demandes d'asile. Mais pour les parents exilés, rentrer dans leur pays d'origine n'est pas une option. "On a eu un problème avec notre fils : la mafia, des trafiquants ont voulu nous le voler", explique Sokol Zerja, le père de famille albanais, à C à Vous.

"S'ils sont là, s'ils ont fait tout ce parcours, c'est que c'est impossible pour eux de repartir là bas", renchérit Anaïs à InfoMigrants. Mais l'État n'offre que très peu de solutions de recours. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a notamment  annoncé, mercredi 2 novembre, vouloir "inscrire toutes les OQTF au fichier des personnes recherchées". De quoi sérieusement inquiéter toutes les personnes mobilisées à Rennes. "La seule solution, c'est de régulariser ces personnes pour qu'elles puissent trouver un logement, travailler", estime Anaïs.

"Arrêtons de jouer au chat et à la souris et donnons-leur la possibilité de s'autonomiser, d'exister", acquiesce Olivier Ceccaldi, co-coordinateur de l'association Utopia 56 à Rennes.

De moins en moins d'hébergements

Au 1er septembre 2022, au moins 1 658 enfants vivaient en France sans solution d'hébergement, alertait  l'UNICEF. À Rennes, les familles hébergées dans des écoles sont une extrême minorité. Depuis un mois, une centaine de personnes vivaient sous des tentes dans le parc des Hautes-Ourmes, dans le sud de la ville. Parmi elles, 37 enfants, dont 21 jeunes scolarisés à Rennes, précise Olivier Ceccaldi. Jeudi soir, face à un avis de tempête, la mairie a ouvert un gymnase municipal pour abriter les exilés. Vendredi matin, le camp a finalement été évacué, et ses occupants mis à l'abri. Mais quatre familles et 15 personnes restent sans solution.

"Avant il y avait une priorité de ne pas mettre de femmes enceintes ou de bébés dans la rue. Maintenant, sur le campement, il y a 11 enfants de moins de trois ans", précise Héléna Adiet, du syndicat FSU. "C'est un crève-cœur de voir des tout petits bouts vivre dans la boue, dans le froid, ils sont tous malades."

"Le fait que le système sature fait que des gens qui, avant, n'étaient pas à la rue, le sont maintenant. Il y a plus de personnes qui arrivent. Maintenant ils vont fermer des places, donc les phénomènes de campements vont se multiplier."

Les municipalités, elles, pointent la responsabilité de l'État. "La ville finance 900 à 950 places d'hébergement d'urgence chaque jour, alors que c'est une compétence de l'État", se  défend la maire de Rennes, Nathalie Appéré. "Mais là, on n'y arrive plus. On est au bout de nos capacités de financement. Au pays des droits de l'Homme, ce n'est pas acceptable."

Dans les écoles occupées, en attendant une porte de sortie, les enfants exilés se sont rapprochés de leurs camarades de classe. "Le fait de découvrir qu'il y a de l'injustice, et qu'on a le droit de s'indigner, c'est assez formateur pour nos enfants", reconnaît Anaïs. Sa petite fille a offert une poupée à Elisa, qui lui a donné une peluche en retour - elle dort avec tous les soirs.

Au vu des projets de loi sur l'immigration qui se profilent, la mère de famille admet avoir "peur pour ce qui va se passer dans les années à venir". Et s'inquiète pour les enfants toujours à la rue. "On imagine bien les peurs qu'ils peuvent avoir, les traumatismes qu'ils vont traîner toute leur vie", dit-elle. "Ils doivent se dire que c'est de leur faute, alors qu'ils n'y sont pour rien. On n'est pas censé accueillir les gens comme ça. Ça tord le ventre."

 infomigrants.net

 Commenter