06/05/2024 basta.media  8 min #248088

Les « médecins solidaires », un pansement bienvenu et apprécié contre les déserts médicaux

En plein désert médical, des médecins généralistes se relaient pour apporter des soins dans un centre de santé d'une petite commune du Cher. Ce collectif, les Médecins solidaires, né il y a un an et demi, remporte un franc succès.

« On prend encore de nouveaux patients, mais plus pour très longtemps. » A Charenton-du-Cher, petite commune de 1000 habitants située au sud de Bourges, Karine Gueguen assure l'accueil d'un cabinet médical d'un nouveau genre, avec sa consœur coordinatrice du lieu, Mélanie Guichard.

Auparavant secrétaire du docteur Courseau, parti à la retraite en 2023, elle voit désormais se succéder les professionnels de santé : chaque semaine, des médecins volontaires, qui exercent ailleurs en France, s'y relaient pour assurer une présence sur place, plus que bienvenue dans ce désert médical.

Remis à neuf, le centre a rouvert le 6 février dernier à l'initiative de Médecins solidaires, un collectif de médecins généralistes à l'origine de  cette solution inédite aux déserts médicaux. Le jour de l'ouverture, une dame attendait sur le parking depuis 6h45, et le téléphone du secrétariat n'a pas arrêté de sonner. En tout, 826 appels ont été reçus, se souvient Karine, avec le sourire.

Pas de médecin depuis un an

Habitants d'une petite commune à 20 minutes en voiture, Jacques et Géraldine Lallier ont décroché un premier rendez-vous grâce aux Médecins solidaires. Il et elle n'avaient plus accès à un médecin traitant depuis plus d'un an.

© Valentina Camu

Sylvie Morel, 63 ans, fait partie des patients qui ont pris rendez-vous dès le début. Habitante d'une commune voisine, elle n'avait plus de médecin traitant depuis le départ à la retraite du sien, à Saint-Amand-Montrond, il y a deux ans. « J'ai appelé partout mais on me répondait à chaque fois qu'on ne prenait plus de nouveaux patients », rapporte-t-elle dans la salle d'attente du cabinet de Charenton-du-Cher. En attendant, elle se contentait, comme de nombreux autres habitants du coin, de téléconsultations en pharmacie. « Moi ça me suffisait, parce que je n'ai pas eu de gros problèmes de santé », fait-elle remarquer.

Plus loin, Jacques et Géraldine Lallier embrayent : « Ah ça, il ne faut pas être malade ! » ajoute le couple, qui a décroché un premier rendez-vous, comme leur fils, plus tard dans la journée. « On était suivis à Dun-sur-Auron [petite commune de 4000 habitants, à 20 minutes en voiture du cabinet médical, ndlr], mais notre médecin a fait un burn-out, donc on n'en a plus depuis plus d'un an », témoignent-ils, dossier médical en mains.

Gîte, véhicule de fonction et horaires fixes

A La Rotonde, une des premières brasseries aux alentours, à Saint-Amand, à 10 minutes de là en voiture, la pénurie de médecins occupe les conversations, selon sa responsable, Océane Boiffard. « Ici, tous les clients en parlent. Il y en a un qui a trouvé un médecin à Saint-Florent, à 50 minutes. Et un couple qui vient tous les matins en cherche toujours un », rapporte-t-elle, accoudée au comptoir.

Cindy Boizard

Cindy Boizard exerce à Narbonne. Elle vient au moins une semaine par an à Charenton-sur-Cher comme la centaine de médecins solidaires qui s'y relaient pour assurer le suivi des soins dans ce désert médical. « Il y a des gens qui n'ont pas eu de suivi depuis des mois, voire des années, avec beaucoup de pathologies chroniques, des décompensations dues à des interruptions de soins... », dit-elle.

© Valentina Camu

La médecin Cindy Boizard, elle, n'a pas encore eu le loisir de goûter le café de La Rotonde. Après un déjeuner sur le pouce au cabinet de Charenton, la médecin de remplacement cette semaine - le reste du temps elle exerce à Narbonne (Aude) - part en visite dans la maison de retraite voisine, avant d'enchaîner les autres consultations. Elle ne se plaint pas. « On a de bonnes conditions de travail ici », décrit-elle.

A Charenton, comme dans les deux autres premiers centres de Médecins solidaires qui ont ouvert dans la Creuse, les médecins sont choyés. Logés en gîte, avec un véhicule de fonction mis à disposition, les transports pris en charge depuis leur domicile, des horaires fixes et un paquet cadeau contenant des produits régionaux à l'arrivée. Leur rémunération « n'est pas ridicule pour un cadre associatif », décrit Cindy Boizard : 1000 euros net par semaine. Le tout financé par la commune, qui prend en charge les locaux et le matériel, et, en fonction des centres, par l'Agence régionale de santé, la région, la préfecture ou le département, en collaboration avec  l'association Bouge ton coq, qui a pour but de redynamiser les territoires ruraux.

400 « médecins solidaires » de 28 à 73 ans

Le succès du dispositif tient également à un avantage de poids, les coordinatrices prenant en charge tout l'administratif : « Ici, on ne fait que de la médecine, pour une fois », témoigne Cindy Boizard, reconnaissante. Preuve du succès de l'opération, elle a déjà effectué une semaine de permanence dans chacun des autres centres, et même deux dans le premier, ouvert à Ajain (Creuse) en octobre 2022.

Impliquée depuis le début auprès de Martial Jardel, le médecin à l'origine du projet exerçant à Limoges, elle reviendra sans aucun doute, comme la majorité des plus de 400 « médecins solidaires » de 28 à 73 ans que compte désormais le collectif. « 100% d'entre eux veulent revenir, se réjouit Magali Malauzat, chargée de communication. Toutes les semaines sont remplies jusqu'en décembre, les médecins n'arrêtent pas de nous demander quand on rouvre le calendrier. »

Accueil

A l'accueil du centre de santé, on gère les prises de rendez-vous ainsi que le planning des 400 « médecins solidaires », de 28 à 73 ans, que compte le collectif. « 100% d'entre eux veulent revenir, se réjouit Magali Malauzat, chargée de communication. Toutes les semaines sont remplies jusqu'en décembre, les médecins n'arrêtent pas de nous demander quand on rouvre le calendrier. »

© Valentina Camu

Malgré ce turnover important, le suivi médical n'est pas moins bon qu'ailleurs, au contraire, soutient Cindy Boizard. Un passation d'informations est assurée entre les remplaçants, qui communiquent entre eux. « On se rend finalement compte que ça peut être bénéfique pour les patients, puisqu'avec des médecins différents, ça permet d'avoir des yeux nouveaux sur les dossiers médicaux. »

Désert médical

Alors que le Cher compte en moyenne seulement un médecin pour 1610 habitants, plus de 500 patients sont déjà inscrits au centre de santé de Charenton, et plus du double, soit environ 1200 à Ajain ainsi qu'à Bellegarde-en-Marche, dans la Creuse.

© Valentina Camu

La veille, Paul Lionnet, 82 ans et habitant d'une commune proche, a reçu un appel du secrétariat : il doit amener une voisine, Maria-Teresa au cabinet suite à une prise de sang. En situation de handicap depuis un AVC et diabétique, celle qu'il surnomme « Maïté », et qu'il héberge depuis le décès de son mari, en 2019, était suivie comme lui par le docteur Courseau, parti en retraite. « C'est elle qui m'a emmené aux urgences en 2011, quand j'ai fait mon AVC », raconte le bûcheron, dont l'ordonnance d'anticoagulants est arrivée à expiration.

Dans trois mois, les deux comparses reviendront au cabinet. « Ça nous a enlevé une sacrée épine du pied, car sinon où aller ? », reconnaît le forestier aux mains larges marquées par la terre, et chargé par le docteur Boizard de prendre soin de Maria-Teresa à son départ.

« On ne fait pas que du soin pur, on prend en charge les gens sous tous les aspects, commente la médecin. On arrive dans des endroits où la carence est importante. Il y a des gens qui n'ont pas eu de suivi depuis des mois, voire des années, avec beaucoup de pathologies chroniques, des décompensations dues à des interruptions de soins... Ça crée des situations cliniques qui peuvent être compliquées. »

Un rêve fou

Alors que le Cher compte en moyenne seulement un médecin pour 1610 habitants selon Le Berry Républicain, plus de 500 patients sont déjà inscrits au centre de santé de Charenton, et plus du double, soit environ 1200 à Ajain ainsi qu'à Bellegarde-en-Marche, dans la Creuse. « A petite échelle, c'est déjà beaucoup », se réjouit Cindy Boizard. Tel un pansement sur un plaie béante, Médecins solidaires représente néanmoins selon elle « une contribution contre les déserts médicaux, mais on n'est pas la solution ».

« Ça nous a enlevé une sacrée épine du pied »

Paul Lionnet, 82 ans et habitant d'une commune proche, vient de conduire au centre de santé une voisine, Maria-Teresa, en situation de handicap depuis un AVC et diabétique. « Ça nous a enlevé une sacrée épine du pied, car sinon où aller ? », dit-il.

© Valentina Camu

Dans les prochains mois, un nouveau centre ouvrira dans la Nièvre, suivi de plusieurs autres. Le rêve fou de Martial Jardel, dont le père était lui-même docteur en zone rurale ? Réussir à mobiliser, un jour, 10% des médecins généralistes pour ouvrir 150 centres dans toute la France. Avec l'espoir que l'un d'eux décide de s'y installer. Raté pour le docteur Boizard, qui retrouvera à la fin de la semaine la chaleur de Narbonne, tandis qu'elle salue Paul Lionnet. Son patient d'un jour repart avec « Maïté » en plaisantant, avant de retrouver sa très chère forêt. Un bois à l'image du centre de santé, où il fait notamment pousser du hêtre. « Pour le bien-être. »

Rozenn Le Carboulec (texte)
Valentina Camu (photos)

Photo de une : Cindy Boizard et d'autres médecins solidaires se relaient pour assurer la continuité des soins à Charenton-sur-Cher, en plein désert médical. Elle accueille Paul Lionnet, 82 ans, et Maria-Teresa, en situation de handicap depuis un AVC et diabétique / © Valentina Camu

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