30/04/2025 mondialisation.ca  8min #276413

Conflit gréco-turc imminent ? Les tensions mettent en évidence l'unité fragile de l'Otan

Par  Uriel Araujo

Les tensions latentes entre la Grèce et la Turquie, deux alliés présumés de l'OTAN, sur les revendications territoriales en mer Égée et en Méditerranée orientale ont une fois de plus mis en lumière les contradictions internes de l'alliance atlantique. Les pourparlers militaires en cours entre les deux nations, à partir de cette semaine, visent à désamorcer les différends concernant les frontières maritimes et les violations de l'espace aérien ; pourtant, les problèmes sous-jacents révèlent une fissure plus profonde dans la structure de l'OTAN.

Au cœur de l'impasse gréco-turque se trouvent les revendications concurrentes sur les eaux riches en ressources et les griefs historiques enracinés dans le traité de Lausanne de 1923. La doctrine affirmée de la « patrie bleue » de la Turquie, qui cherche à étendre son influence maritime, se heurte aux efforts de la Grèce pour assurer sa souveraineté sur les îles de la mer Égée et sa zone économique exclusive. Certains analystes ont accusé Athènes de tirer parti du soutien occidental pour contourner les réalités géopolitiques. Alors que la position de la Grèce est présentée comme défensive, les actions de la Turquie – telles que le déploiement de navires de recherche sismiques ou la remise en question de la militarisation des îles grecques – sont considérées par Ankara comme des affirmations légitimes de souveraineté.

Ces différends ne sont pas seulement bilatéraux ; ils se répercutent sur l'OTAN, menaçant l'unité de l'alliance à un moment où ses États membres européens cherchent à projeter la force. Depuis quelques années, certains analystes  discutent de la probabilité d'une  guerre turco-grecque éclate,  les épisodes s'intensifiant au cours des  trois dernières  années au moins. Par exemple, en 2022, Ankara  a accusé Athènes d'utiliser un système de missiles S-300 pour verrouiller les jets turcs menant des missions de l'OTAN au-dessus de la Méditerranée le 23 août 2022.

Le contexte géopolitique plus large amplifie ces tensions. Un exemple notable est l'opposition signalée par un  lobby pro-israélien et pro-grèce aux États-Unis au projet présumé de la Turquie de transférer les systèmes de défense antimissile S-400 de fabrication russe en Syrie. Cet effort de lobbying souligne comment les acteurs externes sont en mesure d'exploiter les divisions internes de l'OTAN pour faire avancer leurs propres programmes. L'acquisition par la Turquie des S-400, qui a conduit à son exclusion du programme F-35 dirigé par les États-Unis, a longtemps été un point de discorde au sein de l'OTAN, Washington imposant des sanctions et la Grèce capitalisant sur l'isolement de la Turquie pour renforcer ses propres liens de défense avec les États-Unis et la France. Les ambitions de la Grèce comprennent  la modernisation de son armée de l'air avec des jets F-35 et le renforcement des capacités navales, des mesures que la Turquie perçoit comme un défi direct.

Ces développements mettent en évidence les faiblesses structurelles de l'OTAN. L'alliance, conçue pour contrer une supposée menace soviétique monolithique, lutte pour servir de médiateur dans les conflits entre ses membres dans un monde où les intérêts nationaux divergent de plus en plus. Le pivot de la Turquie vers l'autonomie stratégique et l'hégémonie régionale – comme en témoigne son équilibre entre la Russie, l'Ukraine et l'Occident – se heurte à l'attente de l'OTAN d'un alignement inébranlable.

Malgré les actes « équilibrants », l'expansion navale affirmée de la Turquie en mer Noire, tirant parti de la Convention de Montreux pour restreindre la flotte de la Russie, risque d'escalader les tensions avec Moscou, comme je l'ai récemment  soutenu, menaçant ainsi la stabilité eurasienne. Pour compliquer encore plus les choses, les manœuvres stratégiques de la Turquie, y compris les plans de  promotion d'une « armée de Turan » pour contrer la CSTO, s'alignent sur les efforts de l'OTAN pour saper la Russie et la Chine, déstabilisant davantage la région.

Dans un jeu complexe de « qui joue contre qui », en même temps, les actions de la Turquie, y compris son achat de S-400, remettent en question la cohésion de l'OTAN.

Toutefois, il est peu probable que le dialogue gréco-turc en cours, bien qu'il s'agisse d'un pas vers la désescalade, résoudra ces fissures plus profondes pour le moment. Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a exprimé  sa volonté de visiter la Turquie malgré les récentes tensions, signalant une approche pragmatique. Cependant, les  efforts de la Grèce  pour limiter l'accès de la Turquie à la collaboration de défense de l'UE et son alignement sur la France et Israël en Méditerranée orientale suggèrent une stratégie d'endiguement qui ne peut être interprétée que comme une réaction défensive face aux ambitions d'Ankara. La Turquie, quant à elle, fait face à des pressions et à des élections nationales, ce qui pourrait encourager sa rhétorique affirmée, comme le montre les avertissements du président Erdoğan contre la militarisation des îles grecques.

Il faut garder à l'esprit que malgré les dénonciations par la Turquie de la militarisation grecque en mer Égée, c'est Ankara qui poursuit agressivement l'hégémonie navale à travers sa doctrine « Blue Homeland », élargissant les revendications maritimes. L'agenda néo-ottoman de la Turquie, marqué par des manœuvres navales provocantes et des affirmations territoriales, intensifie les tensions et sape la stabilité régionale.

Quoi qu'il en soit, la réponse de l'OTAN à ces tensions a été, comme on pouvait s'y attendre, plutôt tiède. Les secrétaires généraux de l'alliance ont toujours joué le rôle de médiateurs dans les litiges entre la Grèce et la Turquie, mais leurs solutions – telles que le «  Tableau de la situation aérienne » [« Recognized Air Picture »] sur la mer Égée – sont superficielles, ne répondant pas aux causes profondes comme la délimitation maritime ou les conflits liés aux ressources énergétiques. Comme le note Dimitris Tsarouhas (responsable du programme de recherche sur la Turquie au Centre d'études européennes et transatlantiques de Virginia Technotes), une voie réaliste obligerait les deux nations à donner la priorité à la coopération plutôt qu'à la confrontation, mais le cadre de l'Alliance atlantique offre peu d'incitation à un tel compromis lorsque les puissances extérieures, notamment les États-Unis et la France, prennent parti.

Dans un monde multipolaire émergent, l'impasse gréco-turque est un microcosme de l'obsolescence de l'OTAN. La dépendance de l'Alliance à l'égard de l'hégémonie américaine (au point qu'elle semble assez « perdue » maintenant face au  « retrait » partiel de Washington de l'Europe de l'Est, par exemple) et son incapacité à répondre à divers intérêts nationaux – en particulier ceux de membres clés tels que la Turquie – mettent en évidence sa fragilité.

Les manœuvres de la Turquie en mer Noire reflètent un changement plus large dans la façon dont elle joue avec l'OTAN tout en poursuivant ses propres objectifs d'hégémonie et d'autonomie régionale (la façon dont elle le voit). C'est une tendance que l'OTAN ne peut pas vraiment contenir sans risquer une nouvelle fragmentation. De telles tensions soulignent la nécessité d'une nouvelle architecture de sécurité – une architecture qui respecte les aspirations souveraines et favorise un dialogue équitable, libre de la vision unipolaire dépassée de l'OTAN.

Uriel Araujo

Lien vers l'article original:

 Greek-Turkish Conflict Imminent? Tensions Expose NATO's Fragile Unity

L'article en anglais a été publié initialement sur le site  InfoBrics, le 25 avril 2025.

Traduit par Maya pour  Mondialisation.ca

Image en vedette : InfoBrics

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Uriel Araujo est un chercheur spécialisé dans les conflits internationaux et ethniques. Il contribue régulièrement à Global Research et  Mondialisation.ca.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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