03/07/2025 francesoir.fr  8min #283116

Plainte contre Gérald Darmanin à la Cjr : Une affaire de transparence classée sans suite, sur fond de soupçons autour d'Alexis Kohler

France-Soir

Plainte contre Gérald Darmanin à la CJR : Une affaire de transparence classée sans suite, sur fond de soupçons autour d'Alexis Kohler

AFP - Ludovic MARIN

Une contestation des prélèvements sociaux au nom de la transparence

Laurent Pelé, 56 ans, un informaticien de Sartrouville, refuse de payer ses prélèvements sociaux pour 2024, estimant que leur mise en recouvrement est illégale. Il argue que la loi de finances 2023-1322, adoptée via l'article 49.3 de la Constitution, repose sur des chiffres budgétaires entachés d'insincérité, violant l'article 32 de la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF), qui exige une présentation sincère des comptes publics.

Pélé s'appuie sur des déclarations de parlementaires, notamment celles des sénateurs Jean-François Husson et Claude Raynal, et du député Éric Coquerel, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, lors de conférences de presse en septembre 2024. Ces derniers ont dénoncé une dégradation du déficit public pour 2023 (5,5 % du PIB, contre 4,9 % prévu) et des projections alarmantes pour 2024 (jusqu'à 6,6 %), révélées par des notes de la Direction générale du Trésor non communiquées aux parlementaires.

Pélé qualifie cette mise en recouvrement de voie de fait, une atteinte illégale à son droit de propriété garanti par l'article 1er du Protocole additionnel n°1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH). En septembre 2024, il a saisi le tribunal judiciaire de Paris pour demander la consignation de ses prélèvements (2 024 €) jusqu'à ce que la sincérité des comptes soit établie. Cette affaire est actuellement en appel devant la Cour d'appel de Paris.

Une plainte contre Darmanin pour abus de pouvoir et entraver à l'exercice de la justice

Le 2 juin 2025, Pelé déposait plainte contre le ministre de la Justice, Gérald Darmanin l'accusant d'abus de pouvoir et d'entrave à l'exercice de la justice, dans un contexte de contestation de la sincérité des comptes publics et de soupçons d'interférences politiques impliquant Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée jusqu'en avril 2025. Cette plainte vient d'être classée sans suite par la Cour de Justice de la République (CJR)

Le refus d'Alexis Kohler : un obstacle à la vérité

Un élément central de la plainte concerne Alexis Kohler, accusé d'avoir entravé les travaux de deux commissions d'enquête parlementaires en refusant de comparaître. La première, présidée par Éric Coquerel, enquêtait sur les écarts des prévisions fiscales pour 2024 et 2025. La seconde, sénatoriale, portait sur le scandale des eaux en bouteille impliquant Nestlé Waters, accusée de pratiques illégales de microfiltration et de lobbying opaque. Kohler a invoqué la séparation des pouvoirs pour justifier son absence, un argument jugé infondé par Pélé, qui rappelle que Kohler avait témoigné sans objection en 2018 dans l'affaire Benalla. Ce refus constitue une violation de l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958, passible de 2 ans d'emprisonnement et 7 500 € d'amende (article 434-15-1 du Code pénal).

Le sénateur Éric Coquerel a saisi la procureure de Paris, Laure Beccuau, en mars 2025 pour demander des poursuites contre Kohler. Cependant, le 6 mai 2025, Beccuau a classé la plainte sans suite, estimant que la non-comparution ne constituait pas une infraction, s'appuyant sur une interprétation controversée de la séparation des pouvoirs. Cette décision a suscité l'indignation, notamment de France-Soir, qui, dans un article intitulé «  Affront à la transparence : les raisons de la "Kohler" » publié le 14 avril 2025, dénonce un argument juridiquement faible. L'article souligne que la loi n'exempte pas les collaborateurs du président, comme Kohler, de répondre aux convocations parlementaires, citant des précédents où des ministres, tels Gabriel Attal ou Bruno Le Maire, ont comparu sans invoquer de privilèges.

La plainte de Xavier Azalbert : un écho au scandale

Le 14 avril 2025, Xavier Azalbert, directeur de France-Soir, a déposé une plainte contre X auprès de la procureure de Paris, visant implicitement Kohler pour subornation de témoins, corruption, trafic d'influence, et entrave à l'exercice de la justice dans l'affaire Nestlé Waters. Soutenue par un communiqué de Transparency International France, cette plainte reproche à Kohler d'avoir privé la commission d'enquête sénatoriale d'informations cruciales sur les relations entre l'exécutif et Nestlé, dans un scandale sanitaire touchant des marques comme Perrier, Vittel et Hépar. Azalbert argue que ce refus compromet le droit des citoyens à l'information, garanti par l'article 10 de la CEDH et la Charte de Munich. À ce jour, aucune information n'indique si cette plainte a été classée sans suite ou si une enquête est en cours, laissant planer une incertitude qui renforce les soupçons d'opacité.

La plainte de Pelé et celle d'Azalbert contre Kohler pour des faits similaires, souligne les questions persistantes sur la transparence au sommet de l'État. Cette affaire contraste avec des pratiques aux États-Unis, où les commissions d'enquête n'hésitent pas à convoquer des responsables pour faire la lumière sur des soupçons graves.

Soupçons d'interférences politiques

La plainte de Pélé accuse Gérald Darmanin d'avoir donné des instructions à Laure Beccuau pour ne pas poursuivre Kohler, en violation de l'article 30 du Code de procédure pénale, qui garantit l'indépendance des procureurs. Ce soupçon est alimenté par le classement sans suite de la plainte de Coquerel et l'inaction face au refus de Kohler dans l'affaire Nestlé. France-Soir évoque une possible « entente politico-industrielle » protégeant les intérêts de grandes entreprises comme Nestlé, sous la supervision de l'Élysée. Pélé et Azalbert dénoncent un déni de justice, pointant une protection systématique des hauts fonctionnaires. Cette situation est d'autant plus préoccupante que Kohler, nommé directeur général adjoint de la Société Générale en juin 2025, avait été mis en examen en 2022 pour prise illégale d'intérêts dans l'affaire MSC, ce qui interroge sur sa probité et sa capacité à tenir une position de dirigeant d'une institution financière réglementée.

Une pratique contrastée aux États-Unis

Cette affaire met en lumière un contraste frappant avec les pratiques aux États-Unis, où les commissions d'enquête n'hésitent pas à user de leur pouvoir pour obtenir des témoignages. Un exemple récent, rapporté par France-Soir, concerne une assignation émise par le Comité judiciaire de la Chambre des représentants pour enquêter sur une  présumé retard du vaccin Pfizer et son rôle dans les élections américaines de 2020. censure par l'administration Biden. Cette assignation, visant des responsables d'un des leaders pharmaceutiques, illustre la rigueur avec laquelle les institutions américaines convoquent des témoins, même dans des affaires politiquement sensibles, pour garantir la transparence. En France, l'inaction face au refus de Kohler de témoigner alimente les critiques sur la faiblesse des mécanismes de contrôle démocratique.

Un classement sans suite qui interroge

Le 19 juin 2025, la CJR, présidée par Vincent Turbeaux, a classé la plainte de Pélé sans suite, estimant qu'elle ne contenait pas d'éléments caractérisant un crime ou un délit commis par Darmanin dans ses fonctions.

Dans ce cas, comment expliquer le classement sans suite systématique des plaintes déposées contre Alexis Kohler pour refus de témoigner devant des commissions d'enquêtes parlementaires ?

En effet, selon une ordonnance du 17 novembre 1958, toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée. La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Des sanctions qui vont encore plus loin  en cas de mensonge devant cette même commission d'enquête, avec une peine de prison pouvant aller de trois à sept ans et une amende variant entre 45 000 et 100 000 euros.

D'ailleurs, ont récemment été jugé par le Tribunal judiciaire de Paris, deux militants des Soulèvement de la Terre qui avaient refusé de répondre à une commission d'enquête parlementaire. S'ils ont finalement été relaxés, le Parquet les a bien poursuivis.

Comment se fait-il qu'il ne le fasse pas quand il s'agit de Monsieur Kohler alors qu'il comment une infraction flagrante ?

Notifiée le 3 juillet 2025, cette décision, insusceptible de recours, ne donne aucun détail sur les raisons du rejet, renforçant les soupçons d'opacité. L'absence de suites judiciaires face aux refus répétés de Kohler de témoigner soulève des questions sur l'indépendance du parquet et la capacité des institutions à garantir la responsabilité des décideurs.

Un enjeu de confiance publique

Ces affaires, qu'il s'agisse de l'insincérité des comptes publics ou du scandale Nestlé, révèlent des tensions entre l'exécutif et le législatif. Le refus de Kohler de témoigner, combiné à l'inaction judiciaire, renforce l'impression d'une élite protégée par des mécanismes opaques. Comme le souligne France-Soir, « le secret défense ou la raison d'État servent trop souvent à camoufler les erreurs – ou pire, les scandales – des puissants. » Avec 71 % des Français exprimant leur défiance envers l'action du gouvernement (sondage France-Soir/BonSens.org), ces dossiers fragilisent davantage la confiance dans les institutions.

Vers de nouvelles mobilisations ?

Bien que la plainte de Pélé soit close, celle d'Azalbert, dont l'issue reste incertaine, pourrait relancer le débat sur la transparence et la responsabilité. Ces affaires, mêlant finances publiques et santé publique, appellent à des réformes pour renforcer l'indépendance judiciaire et le droit à l'information. Alors que la commission d'enquête sur les finances publiques a publié son rapport en avril 2025 sans entendre Kohler, le contraste avec les pratiques américaines souligne l'urgence de mécanismes plus robustes pour garantir la reddition de comptes en France.

 francesoir.fr