04/10/2025 reseauinternational.net  14min #292471

 Des images des forces spéciales françaises débarquant sur un pétrolier de la flotte fantôme ont été diffusées

Les nouveaux seigneurs du ciel. Comment les drones redéfinissent la guerre et la paix

par Mounir Kilani

Don Quichotte, l'hidalgo délirant, et Emmanuel Macron, l'inépuisable tacticien de l'Élysée, galopent tous deux vers la gloire, mais leurs moulins à vent tournent à des cadences bien différentes. Le chevalier chargeait des géants sortis de son esprit, lance en main, enivré par ses rêves de chevalerie. Macron, lui, s'attaque aux «flottes fantômes» russes et à des drones prétendument menaçants, armé de son «ambiguïté stratégique» et de tirades enflammées à Copenhague. Là où Don Quichotte voyait des princesses en détresse dans des paysannes, Macron décèle des complots hybrides dans chaque pétrolier, comme le Boracay*. Sancho Pancha, avec son bon sens terrien, aurait peut-être ramené son maître à la raison ; hélas, Macron, sans écuyer, n'a personne pour lui glisser que l'espace informationnel n'est pas toujours un champ de bataille.

À Copenhague, les 1er et 2 octobre 2025, Macron, digne successeur de Don Quichotte, a brandi son épée rhétorique contre les spectres russes. «Rien n'est exclu !» proclame-t-il, invoquant l'«ambiguïté stratégique» comme un sortilège aussi vague qu'irrésistible. Les drones russes ? «À abattre, point final !» lance-t-il, sans se demander si c'est un engin espion ou un jouet d'enfant trop curieux. La «flotte fantôme», ces navires russes qui jouent à cache-cache avec les sanctions, ne serait fantôme que parce que les assureurs occidentaux boudent leurs polices ; et pourtant, ces spectres pétroliers jettent l'ancre dans les ports européens, vidant leur or noir sous le nez intéressé de l'UE. Quant à l'espace informationnel, Macron y voit un repaire de trolls russes semant la discorde numérique, mais silence radio sur les fables rocambolesques des médias mainstream, dignes des romans de chevalerie.

Alors que les sanctions s'embourbent et que l'Ukraine chancelle, notre preux président tisse des «narratifs» aussi flamboyants qu'un vieux parchemin, hurlant à la «menace hybride» en reliant drones, pétrole et tweets perfides. Macron a inventé «l'armée secrète russe» ! Rien que ça ! Mais sait-il au moins si un drone est un engin de guerre ou un gadget pour filmer les mouettes ? Tragique et hilarant, sa croisade contre des ennemis mi-réels, mi-fantasmés fait sourire... Si seulement Sancho Pancha était là pour lui tendre un miroir !

De la rhétorique aux réalités stratégiques : les drones, cœur de la nouvelle conflictualité

Cette charge verbale, pourtant, n'est pas qu'un simple délire chevaleresque ; elle révèle, dans son excès même, l'angoisse stratégique profonde que provoque l'émergence des drones. La facilité avec laquelle Macron amalgame drones, pétrole et cyber menaces montre à quel point ces systèmes aériens autonomes sont devenus le point nodal d'une conflictualité déstabilisante. Ils incarnent matériellement cette «menace hybride» qu'il dénonce : bon marché, ubiquitaires et opérant dans un flou juridique, ils brouillent les lignes entre paix et guerre, entre attaque et espionnage, entre un jouet et une arme. La réponse rhétorique, aussi flamboyante soit-elle, est le symptôme d'un défi bien réel : comment un État traditionnel peut-il se défendre contre une myriade de petits objets volants qui rendent la frontière poreuse et le conflit permanent ?

Cette révolution stratégique trouve sa source dans une transformation technologique fondamentale. En une décennie, les drones sont passés d'outils spécialisés à des acteurs majeurs sur les champs de bataille comme dans les missions civiles. Le conflit en Ukraine a consacré leur statut d'arme stratégique, tandis que leurs applications pacifiques se multiplient. Cette dualité pose une question cruciale : deviendront-ils les artisans de la paix ou les instruments d'une guerre nouvelle ?

L'intégration de l'intelligence artificielle a transformé ces engins. D'outils de surveillance, ils sont devenus capables de prendre des décisions en vol - contourner des obstacles, identifier des cibles - comme le montrent les drones kamikazes en Ukraine. Cette autonomie naissante, bien que supervisée par l'homme, représente un saut technologique fondamental.

Parallèlement, les applications civiles se développent à un rythme accéléré : livraison de produits médicaux dans des zones reculées, reforestation par largage de graines, protection de la faune contre le braconnage, cartographie des zones minières.

C'est précisément cette polyvalence qui explique leur impact géostratégique. Le conflit ukrainien en offre la démonstration la plus aboutie et la plus dramatique.

Le drone, pivot stratégique de la guerre en Ukraine

Le conflit en Ukraine a consacré le drone comme l'arme décisive de la guerre moderne. Dès 2022, l'Ukraine en a fait l'instrument de sa stratégie asymétrique, avec une production nationale atteignant environ 2 millions d'unités en 2024 - représentant 96,2% des UAV utilisés par ses forces armées 1. Des drones FPV low cost (200 à 1000 dollars pièce) ont été massivement employés pour le repérage, le réglage de l'artillerie et les frappes kamikazes. 2

L'impact opérationnel est sans précédent : les drones fournissent environ 86% de tous les objectifs engagés dans le conflit 3. Leur omniprésence est telle qu'à Bakhmout, jusqu'à 50 drones pouvaient être observés simultanément dans le ciel 4. Cette saturation de l'espace aérien a transformé la nature du combat, permettant à une armée démunie de contester la suprématie aérienne traditionnelle.

Face à cette révolution, la Russie a opéré une adaptation doctrinale remarquable. Selon le CSIS, Moscou a accéléré la coopération civilo-militaire, simplifié les processus d'innovation et réorganisé sa logistique des drones 5. La réponse technologique inclut désormais des drones «impénétrables au brouillage», utilisant par exemple des commandes par câble optique plutôt que radio. 6

Cette course à l'innovation s'apparente à une guerre d'attrition aérienne, où l'Ukraine perdrait environ 10 000 drones mensuellement. La Russie apparaît aujourd'hui comme la première puissance à maîtriser en temps réel l'évolution technologique du drone de combat, intégrant son usage dans la formation de ses cadres militaires et la robotisation de ses forces. Le conflit ukrainien marque ainsi l'avènement d'une ère nouvelle où la suprématie aérienne se mesure à la capacité de dominer le spectre drone.

Le drone, moteur de l'escalade stratégique et humanitaire

Les drones ont fondamentalement redéfini le rapport coût/efficacité de la guerre. Ils permettent désormais à un État de saturer les défenses ennemies en lançant des centaines d'engins bon marché, une alternative dévastatrice au déploiement d'avions ou de missiles coûteux. Dès 2025, cette nouvelle réalité tactique s'est concrétisée par des vagues d'attaques coordonnées impliquant plusieurs centaines de drones lancés simultanément. 7

Cette transformation stratégique s'accompagne d'un lourd tribut humanitaire. Un rapport de l'ONU a établi qu'en janvier 2025, les drones à courte portée étaient devenus la principale cause de décès civils en Ukraine, faisant au moins 139 morts et 738 blessés parmi la population civile 8. Ce bilan tragique illustre comment ces technologies modifient profondément la nature des risques en zone de conflit.

Parallèlement, la menace s'est étendue au territoire russe, où les attaques de drones ont également provoqué des pertes humaines significatives. Des frappes répétées sur des zones civiles et des infrastructures énergétiques russes ont entraîné plusieurs dizaines de décès, démontrant que la vulnérabilité aux drones tactiques est devenue une réalité partagée par les deux camps. Ces pertes humaines des deux côtés du front confirment le drone comme une arme d'escalade à la fois stratégique et humanitaire, capable d'infliger des dommages bien au-delà du champ de bataille conventionnel.

Drones, géopolitique et action humanitaire : les cas emblématiques

Les drones sont devenus des acteurs ambivalents sur la scène internationale, tantôt instruments de reconstruction écologique, tantôt armes déstabilisatrices ou outils de surveillance controversés.

Dans l'Amazonie brésilienne, la société Hydro, en partenariat avec la start-up Morfo, utilise des drones semeurs pour réhabiliter d'anciennes zones minières. Ces engins larguent des capsules biodégradables contenant graines, nutriments et agents hydratants, permettant une reforestation massive de territoires normalement inaccessibles 9. Cependant, cette innovation écologique soulève des inquiétudes : la présence accrue de drones dans des écosystèmes sensibles pourrait servir de cheval de Troie à des fins de surveillance, de contrôle territorial ou d'expansion industrielle déguisée.

Le conflit de 2020 dans le Haut-Karabakh a marqué un tournant dans l'usage militaire des drones. Pour la première fois dans une guerre régionale, les «loitering munitions» - ces drones suicides capables de reconnaissance visuelle autonome - se sont révélés décisifs. Complétant la puissance de feu traditionnelle, ils ont offert à l'Azerbaïdjan un avantage stratégique déterminant dans ce théâtre d'opérations restreint. Ce succès a immédiatement inspiré d'autres nations, accélérant la course à la supériorité algorithmique face à la suprématie aérienne conventionnelle.

Au Brésil, les communautés indigènes utilisent désormais des drones équipés d'IA pour protéger leurs territoires. Dans la réserve de Katukina/Kaxinawá, cette technologie permet de détecter en quelques heures des activités illégales (déforestation, exploitation minière) qui nécessitaient auparavant des jours de patrouille terrestre 10. Cette appropriation technologique par les populations locales représente une innovation majeure dans la protection de l'environnement, mais crée parallèlement un «État de veille» invisible, où les gardiens traditionnels deviennent les opérateurs d'un réseau global de surveillance.

Au Rwanda et au Ghana, des drones Zipline assurent depuis 2016 la livraison de sang, de vaccins et de médicaments vers des cliniques isolées. Ce système a réduit de plusieurs heures à quelques minutes les délais de livraison, sauvant des milliers de vies et démontrant le potentiel des drones pour surmonter les défis logistiques des pays en développement.

Le drone autonome, un dilemme éthique à multiples facettes

Les drones autonomes incarnent une révolution technologique aux implications ambiguës : une même plateforme peut servir à bombarder une cible militaire ou à livrer des médicaments, à détruire des infrastructures ou à replanter des forêts. Cette polyvalence fonctionnelle brouille les frontières traditionnelles entre guerre et paix, entre action humanitaire et opération militaire, créant une zone grise où les mêmes technologies alimentent à la fois l'espoir et la crainte.

Plusieurs questions cruciales émergent de cette dualité. La première concerne «l'automatisation létale et la responsabilité» : qui est responsable lorsqu'un drone autonome commet une erreur fatale ? Le concepteur de l'algorithme, l'opérateur humain ou la machine elle-même ? Cette question remet en cause les cadres juridiques et moraux traditionnels.

La «dissimulation et l'asymétrie des pouvoirs» représentent un deuxième défi. Des États ou acteurs non étatiques pourraient déployer des flottes de drones de manière clandestine, menant des actions hostiles sans déclaration de guerre préalable, rendant l'agression quasi indétectable.

Enfin, «l'inégalité d'accès» à ces technologies crée une nouvelle fracture géopolitique. Seuls les pays disposant de ressources techniques et financières importantes pourront développer ou contrer efficacement ces systèmes, accentuant les déséquilibres de puissance existants.

Deux visions irréconciliables

Face à ces enjeux, deux camps s'opposent. Les humanitaires voient dans les drones autonomes un instrument de progrès sans précédent : capacité à livrer rapidement des aides médicales dans des zones reculées, à reboiser des territoires dégradés à grande échelle, ou à accélérer le déminage des zones post-conflit. Pour eux, ces technologies sauvent des vies et reconstruisent des écosystèmes.

À l'opposé, les critiques sécuritaires dénoncent une plateforme d'«armes invisibles» capable de prendre la décision de vie ou de mort sans contrôle humain significatif. Ils alertent sur les risques d'une guerre permanente et automatisée, où l'instabilité stratégique deviendrait la norme.

Même les applications positives comme la reforestation ou l'aide humanitaire peuvent masquer des finalités moins avouables : surveillance généralisée, extraction de données massives ou consolidation de contrôles territoriaux sous couvert d'action écologique. Le drone autonome, par sa nature transversale, nous confronte ainsi à l'ambiguïté fondamentale du progrès technologique.

Révolution pour la paix ou danger pour l'humanité ? Le dilemme des drones autonomes

Les drones autonomes incarnent une dualité sans précédent dans l'histoire des technologies. D'un côté, ils portent l'espoir d'étendre la solidarité internationale, de soigner les écosystèmes endommagés et de révolutionner la logistique humanitaire. De l'autre, ils menacent d'inaugurer une ère de conflits déshumanisés, où les guerres pourraient se multiplier silencieusement à l'échelle planétaire, loin des regards et des cadres réglementaires traditionnels.

Cette tension fondamentale soulève des questions politiques cruciales : faut-il interdire purement et simplement ces technologies ? Élaborer des traités internationaux contraignants pour en encadrer les usages ? Au contraire, favoriser leur diffusion civile massive pour «verrouiller» leur orientation pacifique par leur omniprésence ? Ou bien assumer le risque qu'ils deviennent les instruments d'un nouvel âge de la conflictualité, où les armes seraient déléguées à des systèmes autonomes ?

La question provocatrice «Les drones sauveront ils la planète ou déclencheront ils la prochaine guerre ?» dépasse la simple rhétorique. Elle engage notre avenir collectif. La réponse dépendra largement de trois facteurs déterminants : la qualité de la régulation internationale qui sera mise en place, l'équité dans l'accès à ces technologies entre pays développés et en développement, et la vigilance citoyenne face à leur déploiement.

Si les drones autonomes deviennent l'apanage de quelques puissances technologiques, ils pourraient engendrer un monde de surveillance permanente et de conflits asymétriques, où la violence s'exercerait de manière invisible et échapperait à tout contrôle démocratique. À l'inverse, si leurs usages humanitaires sont activement protégés, encadrés par des normes éthiques robustes et démocratisés, ils pourraient se révéler l'un des instruments les plus prometteurs pour construire une paix active, capable d'intervenir rapidement pour sauver des vies, préserver l'environnement et réduire les inégalités d'accès aux services essentiels.

Le destin des drones autonomes n'est pas écrit. Il représente un choix de société fondamental : celui de laisser la technologie dicter son propre chemin, ou de l'orienter résolument vers le progrès humain et la protection de notre planète.

Ainsi, tandis que les drones réinventent la guerre et l'humanitaire avec une efficacité déconcertante, le Don Quichotte de l'Élysée poursuit sa croisade personnelle contre les moulins à vent modernes. Le voilà qui sautille de sommet en sommet, pourfendant des drones fantômes avec les seules armes de l'«ambiguïté stratégique» et des envolées lyriques. Pendant que ces engins sauvent des vies ici et en prennent ailleurs, le cabri national continue de bondir élégamment sur la scène internationale, transformant en épiques chevauchées des combats dont il peine à distinguer les vrais enjeux. Le spectacle est aussi savoureux qu'inquiétant, mais au moins, dans ce monde de technologies impénétrables, pouvons-nous compter sur l'inépuisable ballet du président pour nous rappeler que le progrès a son grain de folie... et ses danseurs étoiles.

*

* Les données de suivi maritime indiquent que le pétrolier «Boracay» poursuit sa route vers le port égyptien de Suez, où il est attendu le 14 octobre. Cette situation contraste avec les déclarations des autorités françaises, qui affirmaient que ce navire sous pavillon béninois appartenait à une «société fantôme russe» et pouvait être impliqué dans l'apparition de drones au-dessus de Copenhague. Les plateformes de surveillance maritime peinent à clarifier la situation. Vesselfinder confirme la trajectoire du Boracay, tandis que Marinetraffic signale pour sa part les mouvements d'un autre pétrolier, le «Pushpa», suivant le même itinéraire vers Suez. Les autorités françaises, si véhémentes lors de l'annonce de la détention du pétrolier, gardent désormais un silence complet sur sa libération. Cherchent-elles à masquer un échec ? Les incohérences entre les systèmes de surveillance reflètent-elles une désinformation ? Une chose reste certaine : alors que le Boracay trace imperturbablement sa route vers les eaux égyptiennes, le récit officiel français commence à montrer des signes d'essoufflement, laissant planer le doute sur la solidité des preuves avancées avec tant d'assurance.

  1. Center for Strategic and International Studies (CSIS) «Drone Warfare in Ukraine : Evolution and Future Implications».
  2. Center for Analysis of Strategies and Technologies (CAST) «Lessons Learned : UAVs in the Special Military Operation».
  3. International Committee of the Red Cross (ICRC) «The Human Cost of Autonomous Weapons».
  4. South China Morning Post. «China's Drone Fleet : From Swarm Tactics to Global Exports».
  5. WeRobotics/Flying Labs. «Localizing Aid : How Drones are Building Community Resilience».
  6. RAND Corporation. The Role of Unmanned Systems in the Russia-Ukraine War» (2024).
  7. Reuters. «UN Report on Civilian Casualties in Ukraine : Drone Attacks Become Leading Cause of Death».
  8. Ankara Center for Crisis and Policy Studies (ANKASAM). «Turkey's Ascent as a Drone Power».
  9. Mongabay. «Indigenous Communities Use AI Drones to Protect Territories».
  10. SIPRI. «Global Trends in Drone Proliferation and Implications for International Security».

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