
par Amal Djebbar
France 2025. Les technocrates ont pris les hôpitaux d'assaut, armés de tableurs et de mots creux. L'austérité est devenue foi, la santé une simple ligne de dépense. Et pourtant, contre toute attente, le soin survit - porté à bout de bras par des soignants exténués, des veilleurs sans gloire qui recousent la République avec du fil usé. Car oui, on assassine la santé publique, lentement, méthodiquement, avec le cynisme glacé de ceux qui comptent les morts comme on fait ses comptes.
Franchir la porte d'un cabinet médical est devenu un parcours du combattant. Kafkaïen, totalement. Les téléphones restent muets, les secrétariats débordés, les agendas verrouillés comme des coffres-forts. La «porte d'entrée» du soin n'en est plus une : elle est murée, cadenassée, inhospitalière. Parfois, Doctolib refuse même l'accès, et il ne reste plus qu'à se déplacer, espérant croiser une secrétaire... et prier pour qu'elle soit là.
Les délais sont une farce cruelle. Dans la Marne, ils ont pris des proportions dramatiques. Ce qui relevait jadis d'une simple attente est devenu un chemin de croix vers un futur où l'on reste malade trop longtemps. L'ORL est devenu une espèce en voie de disparition. À Châlons-en-Champagne, l'hôpital n'en a eu que trois en cinq ans ; le dernier est parti en avril. Aujourd'hui, plus d'ORL à l'hôpital, et dans le privé, il n'en reste que deux. Pour un problème banal, il faut parcourir des kilomètres, et ceux qui n'ont pas de voiture restent malades jusqu'à ce que la situation empire.
Chaque spécialité a son enfer. Les dentistes ouvrent leur agenda une fois par mois, comme un rituel vaudou. Trois à sept jours pour un généraliste... en théorie, car en hiver, attraper la grippe sans préavis est un luxe impossible. Les allergologues ? De six mois, on est passé à plus d'un an. Les ophtalmologues ? Un seul résiste encore, malgré l'âge ; pour les autres, restent les centres optiques qui vous offrent entassement, médiocrité et tarifs exorbitants. Quant à l'imagerie médicale, c'est pire : piles de formulaires, files interminables, trois semaines ou plus pour une IRM ou un scanner. Une éternité avant le diagnostic.
Le suivi des maladies chroniques s'effrite. Tout dépend de l'appel au bon moment. Les hôpitaux eux-mêmes n'osent plus planifier au-delà de trois mois. Seuls les laboratoires d'analyses semblent tenir le cap. Miraculés, pour combien de temps ?
À Châlons-en-Champagne, le service de chirurgie résiste malgré les sous-effectifs, les plannings délirants et les moyens dérisoires. Les chirurgiens et les soignants tiennent la ligne de front, opèrent, accueillent, pansent ce que la République abandonne. Ils incarnent ce qu'il reste d'un serment d'humanité dans un système où le profit a remplacé le cœur.
Et les urgences ? Un désastre. Murs délavés, peinture écaillée, sols percés, brancards délabrés, attente interminable. Et pourtant, le service est rendu par des mains courageuses, épuisées. Comment tiennent-ils ? Comment ne cèdent-ils pas au découragement ? L'hôpital est une maison éventrée, rafistolée par des âmes fatiguées, pendant que les politiques creusent les fondations à la pelleteuse.
L'hôpital n'est plus seulement un lieu de soin : il est le miroir de notre abandon. L'État détourne le regard, réduit ses budgets, sacrifie ses soignants sur l'autel de l'économie, et les murs se fissurent, les brancards se brisent, les vies s'éteignent dans l'indifférence. Ceux qui restent à l'intérieur tiennent parce qu'ils n'ont pas le choix. Jadis sanctuaire de la vie, l'hôpital est aujourd'hui un champ de ruines où chaque couloir, chaque salle d'attente, chaque regard épuisé raconte l'abandon de l'État. Jusqu'à quand tiendront ces murs rafistolés par le courage, avant que le naufrage ne soit irréversible ? Pas longtemps.