
par Amal Djebbar

Momie de Ramsès II, Musée égyptien du Caire.
Je ne sais pas vous, mais dans mon coin paumé de campagne, la Poste ne vit plus. Elle survit, bancale, comme un vieux clebs borgne qu'on maintient sous perfusion. Le bâtiment ? Une ruine administrative. Le service ? Une blague expérimentale.
Avant le coronacircus (marque déposée par la blogosphère constatiste), ça tournait plus ou moins. On râlait, oui, mais le facteur passait, les lettres arrivaient, les colis trouvaient leur boîte. On y croyait encore un peu à cette France du service public. Et puis 2020 a débarqué, et là, c'est devenu un enfer kafkaïen sous Xanax - sans issue, sans humour, sans facteur.
Les horaires ? Une performance d'art contemporain
Avant, on pouvait aller à la Poste le matin, l'après-midi - comme dans un pays normal, où l'on pouvait envoyer une lettre sans devoir planifier sa journée comme une mission militaire. Aujourd'hui, c'est plutôt un «circuit fermé de 9 h 30 à midi, façon escape game administratif». Et encore, quand le facteur n'a pas confondu sa clé de vestiaire avec celle du local courrier, ou décidé que le jour était trop beau pour bosser.
Si tu travailles, il faut poser un RTT, un CP (jour de congé), ou carrément planifier ton voyage comme si tu partais à l'autre bout du monde pour envoyer un simple recommandé.
Bref, aujourd'hui, aller à la Poste, c'est devenu un sport de haut niveau. Tu dois jongler avec les horaires, la météo, l'humeur du facteur, la disponibilité des guichets, et parfois même avec ton sang-froid. On n'est plus dans un service public, on est dans une expédition rocambolesque, où chaque timbre est une quête héroïque et chaque recommandé, un trésor perdu dans les limbes logistiques.
La logistique ? Un trou noir avaleur d'espoir
Avant 2020, je recevais tout, comme tout être normalement constitué. Puis, après 2020... pouf, pas tout. Comme par magie, les lettres commencent à se perdre dans le triangle des Bermudes postales. Les suivis soi-disant «en cours d'acheminement» stagnent pendant des siècles - je parle de trois ères géologiques, au bas mot - et mes colis, eux, prennent un malin plaisir à atterrir chez des inconnus à deux rues de chez moi, comme s'ils jouaient à cache-cache.
Dernier épisode en date : une lettre importante pour mon fils à l'étranger. Postée en août. Jamais arrivée. Disparue, aspirée, pulvérisée, évaporée dans le vortex logistique de La Poste, ce trou noir bureaucratique qui transforme chaque courrier en objet mythique que l'on ne reverra jamais.
Je vais donc à la Poste, polie, posée, déterminée. Le postier, un jeune qui a l'air de rêver d'arcs-en-ciel et de licornes, me dit : «Faites une réclamation, le service litige vous contactera sous 48 h».
Ok. On fait ça alors. Et j'attends...
Spoiler : personne ne m'a contactée. Pas même un pigeon voyageur.
Dix jours plus tard, j'y retourne, résignée, mais polie. Même décor que la dernière fois : le comptoir poussiéreux, l'affiche «La Poste vous souhaite la bienvenue» qui semble rire de moi, et la même moue d'ennui du jeune postier, comme si ma réclamation faisait partie d'un feuilleton dont il ne voulait plus connaître la suite.
- «Ah non, madame, moi j'peux rien faire».
Je vous jure, le type pourrait graver ça sur sa tombe et dormir tranquille pour l'éternité : «Je ne peux rien faire pour vous»... Je garde mon sang-froid et j'insiste. Une collègue, plus ancienne et visiblement blasée par mes déboires, lui souffle, à voix basse : «Refais la réclamation». Il s'exécute, tout penaud, me regarde avec un mélange de gêne et de fatalité, et me jure : «Ne vous inquiétez pas, on va vous appeler».
Autant dire qu'il aurait pu me promettre le retour de Gandalf ou l'arrivée des Anunnakis : je n'y croyais pas à ses assurances. Tout dans son ton et son attitude me disait : «Vous êtes juste un dossier de plus, un numéro dans la machine, et moi, je ne peux rien faire de plus».
Le parcours du combattant administratif
Troisième visite. Cette fois, c'est le chef d'agence, l'air grave. Il me sort que «des fois, le courrier est remis dans le circuit après un temps». Ah oui ? Et des fois, les dinosaures reviennent aussi, c'est ça ? Je patiente encore une semaine - façon de parler - et, bien sûr, rien.
J'y retourne... ENCORE...
Derrière le comptoir : le postier, un technicien en stage d'inutilité avancée, deux clients en attente, témoins de ma future exaspération. Je relance calmement : «Toujours pas de nouvelles de ma réclamation ?» Le postier, voix tremblée, me sort : «Oui, mais voilà... la chaîne s'est brisée quelque part».
Non mais sérieux ? C'est ça votre argumentaire ? J'exige le remboursement de mes 8 euros.
Lui, l'air contrit : «Ah non, madame, je peux pas». Je lui rétorque : «Alors, je reviendrai tous les jours jusqu'à ce que vous puissiez».
Et là, l'autre - le technicien, mâle alpha du tournevis - se mêle de ce qui ne le regarde pas :
- «Ne haussez pas le ton, madame».
Ah, le grand classique ! Quand une personne parle fort, c'est qu'elle crie. Je lui dis gentiment mais agacée, d'aller resserrer ses serflex ailleurs.
Le postier s'offusque : «Vous m'insultez !» Non, mon cher. Je n'insulte personne. Je râle contre le service que vous m'avez vendu, vous savez, ce cadavre qu'on maquille encore en «service public».
Mais voilà : dès qu'on garde son calme en colère, et qu'on montre sa détermination, ça les rend fous. Ils veulent, tout de suite, qu'on s'excuse de ne pas s'écraser. Alors, je garde la tête haute, la voix ferme et je leur dis : «Je veux que vous signaliez à vos responsables qu'une cliente est mécontente et qu'elle ne lâchera pas l'affaire tant qu'elle n'a pas eu son remboursement».
J'ai senti leurs regards, lourds de mépris et chargés de ces petites certitudes bureaucratiques qui font leur monde. Deux hommes, alliés dans la défense obstinée de l'incompétence.
Et moi, seule, debout face à eux, immobile comme une sentinelle, parfaitement digne dans ma colère, laissant chaque mot et chaque silence peser sur leur arrogance.
Je leur explique encore : «Ce n'est pas personnel. Mais quand on paie un service, il doit être rendu. C'est comme une vidange : tu paies, on te la fait. Sinon, c'est du vol».
Et le postier, de me lancer : «Mais vous venez quand même poster vos lettres chez nous». Je ne voyais pas le rapport avec mon affaire mais bon, j'ai éclaté : «Mais je n'ai pas le choix, vous êtes les seuls à le faire, bande de génies !»
Silence de cathédrale. On aurait entendu tomber une enveloppe vide.
Je suis sortie de là vidée, furieuse, mais droite. Le genre de rage froide qui te fait marcher plus vite, la tête haute.
Épilogue
Une heure après ce match inégal, un petit miracle apparaît dans ma boîte e-mail : le remboursement. LOL. Comme quoi, à la Poste, il faut hurler plus fort que leur inertie monumentale pour espérer quelque chose. Pas pour 8 euros, non. Pour le principe. Parce que cinq envois perdus, ça fait quarante euros de timbres et de patience pulvérisés. Et surtout, parce qu'un service public capable de te faire passer pour une emmerdeuse juste parce que tu réclames ce qui est à toi, eh bien ça, c'est la France 3.0 : lente, absurde, et d'une hypocrisie presque poétique.
Jovanovic n'avait pas tort : la Poste, c'est devenu une usine à escroquer et à tester la résistance nerveuse des gens.
Qu'ils se rassurent ; je ne reviendrai pas. J'élèverai des pigeons voyageurs : au moins eux, quand ils se perdent, ils ont une bonne excuse.
lexpress.fr
https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/au-moins-1-2-millions-de-lettres-en-retard-de-distribution-chez-la-poste
tf1info.fr
france3-regions.franceinfo.fr