Mamdani remporte la victoire à New York
Par Peter Turchin − Le 7 novembre 2025 − Source Cliodynamica
La principale actualité politique de la semaine est la victoire de Zohran Mamdani à l'élection municipale de New York. De nombreuses personnes ayant lu End Times ont déclaré que le « moment Mamdani » illustrait parfaitement le concept de « précariat diplômé » (voir également ce commentaire sur X).
Pour comprendre le contexte du précariat diplômé, voici ce que j'ai écrit au chapitre 4 de End Times :
« Guy Standing, qui a introduit le terme « précariat » dans la conscience collective, considère les diplômés comme l'une des factions du précariat. Ce groupe
est composé de personnes qui font des études supérieures, convaincues par leurs parents, leurs enseignants et les politiciens que cela leur garantira une carrière. Elles se rendent rapidement compte qu'on leur a vendu un billet de loterie et se retrouvent sans avenir et criblées de dettes. Cette faction est dangereuse d'une manière plus positive. Elle est peu susceptible de soutenir les populistes. Mais elle rejette également les anciens partis politiques conservateurs ou sociaux-démocrates. Intuitivement, ils recherchent une nouvelle politique paradisiaque, qu'ils ne trouvent pas dans l'ancien spectre politique ni dans des instances telles que les syndicats ( Meet the precariat, the new global class fuelling the rise of populism).
L'histoire (et CrisisDB) nous apprend que le précariat diplômé ou, dans le jargon de la cliodynamique, les aspirants à l'élite frustrés, est la classe la plus dangereuse pour la stabilité sociale. » (fin de citation)
Ce qui m'intéresse principalement, c'est ce que cette évolution peut nous apprendre sur l'évolution des partis politiques en Amérique. Il y a dix ans, le paysage politique américain était dominé par deux partis : celui des « 1 % » (les détenteurs de richesses) et celui des « 10 % » (les détenteurs de diplômes). Les deux partis se concentraient sur la promotion des intérêts de la classe dirigeante, tout en ignorant ceux des 90 %. Je simplifie bien sûr beaucoup ici ; pour une explication plus détaillée et nuancée, voir End Times.
En 2016, Donald Trump a canalisé la pauvreté croissante de la population pour commencer à reformater les Républicains en un parti populiste de droite - « MAGA ». Ce processus est loin d'être achevé.
Pendant ce temps, les Démocrates ont efficacement contrôlé les populistes de gauche au sein de leur parti, en combinant répression (pensez à Bernie Sanders) et cooptation (pensez à AOC). En conséquence, en 2024, le Parti démocrate est devenu le seul parti des élites dirigeantes. Leur défaite catastrophique aux élections de 2024 a entraîné une véritable révolution, heureusement relativement peu sanglante (du moins jusqu'à présent). La cote de popularité du Parti démocrate auprès des Américains a atteint un niveau historiquement bas, les élites Démocrates établies sont en plein désarroi, ce qui a offert une opportunité à l'aile gauche du parti, en pleine résurgence.
La victoire de Mamdani à New York pourrait être le signe que les populistes tenteront de prendre le contrôle du Parti démocrate, à l'instar de ce que le mouvement MAGA a tenté de faire avec les Républicains. Mais ce n'est pas sûr. Après tout, New York est loin d'être une circonscription électorale américaine typique.
Quelles forces ont propulsé Mamdani vers la victoire face au candidat traditionnel, Andrew Cuomo ? Je m'appuie ici sur les données du sondage CNN Exit Polls : Election of 2025, réalisé auprès de 4 744 personnes. De nombreux experts ont commenté le fait que Mamdani bénéficiait du soutien des jeunes électeurs. En effet, 78 % des plus jeunes (18-29 ans) ont voté pour lui et seulement 18 % pour Cuomo, soit un avantage de 60 points pour Mamdani (je soulignerai désormais les différences entre les pourcentages de votes).
Mais ce qui m'intéresse particulièrement, ce sont les dimensions de l'éducation et de la richesse.
Examinons d'abord les titulaires de diplômes. Étonnamment, la proportion de personnes ayant voté lors de cette élection et ayant au moins « suivi des études supérieures » est de 80 %. 31 % ont obtenu une licence et 27 % sont titulaires d'un diplôme de troisième cycle, ces deux groupes donnant à Mamdani un avantage de 19 points (57 % pour Mamdani, 38 % pour Cuomo).
À vrai dire, je n'ai pas cru ces chiffres au premier abord. Une telle concentration de personnes diplômées est étonnante. Mais selon l'enquête menée par la municipalité de New York en 2023, il y a deux ans, la proportion de New-Yorkais titulaires d'une licence ou d'un diplôme supérieur était de 43 %, contre 33 % en 2010. Parmi les adultes blancs (âgés de 25 ans ou plus), deux tiers ont terminé leurs études universitaires. On peut parler de surproduction de diplômes...
Passons maintenant aux revenus. Ici, la relation n'est pas linéaire. Les plus pauvres (gagnant moins de 30 000 dollars par an) et les plus riches (300 000 dollars ou plus) ont donné plus de voix à Cuomo, tandis que ceux qui se situaient entre les deux ont préféré Mamdani. Ainsi, les 8 % les plus riches, gagnant 300 000 dollars ou plus, ont préféré Cuomo avec 29 points d'avance. Le problème pour Cuomo était que les électeurs de la catégorie intermédiaire représentaient 77 % des électeurs. C'est parmi ceux qui gagnent entre 50 000 et 99 000 dollars que Mamdani a obtenu le plus grand écart de préférence par rapport à Cuomo, avec 20 points. Il s'agissait également du groupe le plus important (27 % des électeurs). Le groupe suivant, celui des 100 000 à 199 000 dollars, suivait de près, avec 18 points pour Mamdani.
Il peut sembler étrange de qualifier les personnes gagnant entre 50 000 et 100 000 dollars de « précaires », mais il faut tenir compte du fait que New York est une ville très chère. Le loyer médian des appartements de deux chambres à New York a augmenté de 15,8 % au cours de l'année dernière et s'élève désormais à 5 500 dollars par mois (voir Zohran's Park Slope Populists de John Carney), soit 66 000 dollars par an. En d'autres termes, vous dépenserez les deux tiers de votre revenu de 100 000 dollars rien que pour vous loger. Sans oublier les impôts. Il ne vous restera plus grand-chose pour vous nourrir, vous divertir, et vous pourrez oublier les vacances.
Il serait particulièrement intéressant de voir comment les préférences des électeurs variaient en fonction de leur niveau d'études et de leur richesse, mais malheureusement, cette publication ne fournit pas de telles données.Néanmoins, ces chiffres corroborent fortement l'idée que la victoire de Mamdani a été largement favorisée par les jeunes précaires diplômés : les jeunes titulaires d'un diplôme universitaire ou supérieur, qui gagnent juste assez pour vivre dans la précarité. C'est le même argument qui est avancé dans plusieurs articles récents, notamment Zohran Mamdani and the Revenge of the Struggling Yuppie : Lorsque la ville devient un « produit de luxe », même les plus aisés commencent à se rebeller. L'article de John Carney, que j'ai mentionné plus haut, est particulièrement intéressant. En fait, je soupçonne qu'il a lu End Times, car il traite de la paupérisation, des « diplômés surproduits de notre système universitaire » et, bien sûr, de la « précarité des diplômés ».
Bien que New York soit probablement la plus grande enclave de précaires diplômés, elle n'est pas la seule. Il existe de nombreux aspirants à l'élite surproduits dans d'autres villes des côtes est et ouest. Cela signifie que les Démocrates traditionnels sont désormais pris en étau entre les populistes de droite et désormais ceux de gauche. On parle beaucoup cette semaine de la « vague bleue » qui aidera les Démocrates à reconquérir la Chambre en 2026. Mais ces vainqueurs seront probablement d'un autre genre que les Démocrates traditionnels.
Peter Turchin
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
