
Par George Samuelson, le 8 décembre 2025
Maintenant qu'il siège au conseil consultatif de l'une des entreprises de défense les plus rentables d'Ukraine, Pompeo n'a aucune raison de modérer son discours en faveur de la guerre, pas plus que de faire obstacle aux intérêts de l'entreprise.
Avec un passé bien chargé, Mike Pompeo a rejoint une grande entreprise ukrainienne de défense qui produit des armes susceptibles de toucher Moscou. Est-il temps de mettre fin au "tourniquet" entre le monde de la politique et celui des affaires, tout particulièrement maintenant que la troisième guerre mondiale est en jeu ?
Michael Pompeo est le parfait spécimen d'un initié de Washington. Au cours de ses décennies au Capitole, il a occupé les fonctions de secrétaire d'État (2018-2021) et de directeur de la CIA (2017-2018) sous Donald Trump. Il a auparavant siégé six ans à la Chambre des représentants des États-Unis (2011-2017). Son expérience à plusieurs niveaux et ses nombreux contacts lui confèrent encore aujourd'hui une influence considérable à Washington DC. En d'autres termes, il est le candidat idéal pour vendre ses relations à un entrepreneur du secteur de la défense.
En novembre, Pompeo a rejoint le comité consultatif de la société de défense ukrainienne Fire Point, qui développe des systèmes de missiles longue portée permettant à l'Ukraine de frapper le territoire russe en profondeur. Le nouveau poste de Pompeo représente un dangereux conflit d'intérêts, car ses opinions extrêmement bellicistes sur le conflit ukrainien sont déjà notoires. En 2023, il a conseillé à l'administration Biden de "revenir sur son refus de fournir des armes et des équipements militaires adéquats" susceptibles d'aider l'Ukraine. L'administration Biden a répondu à cette demande par des dépenses de plusieurs milliards de dollars, qui n'ont contribué qu'à envenimer la situation sur le terrain en Ukraine.
La décision de Pompeo de rejoindre Fire Point, qui illustre le phénomène bien connu aux États-Unis de "tourniquet", qui voit des opportunistes passer sans ciller du service public au secteur commercial, a de quoi susciter de vives inquiétudes. Malheureusement, cette tradition est trop profondément ancrée dans le système politique américain pour disparaître de sitôt. En effet, le "tourniquet" de l'industrie de la défense rapporte de gros dividendes. En 2019, un organisme de surveillance gouvernemental a rapporté que les 14 plus grands sous-traitants du Pentagone ont embauché 1 700 anciens hauts fonctionnaires civils et militaires du ministère de la Défense. La même année, les six plus grands sous-traitants de la défense ont déclaré 18,4 milliards de dollars de bénéfices. Pour de nombreux contribuables américains, ces chiffres traduisent une corruption flagrante.
Le problème posé par la présence de Pompeo au sein d'une agence étrangère est toutefois relativement nouveau et très problématique. D'un côté, le gouvernement Trump tente de négocier un accord de paix entre Moscou et Kiev, tandis que de l'autre, un ancien haut responsable américain influent travaille pour le compte du lobby pro-guerre. Pompeo incarne ces fanatiques bellicistes de Washington et de Kiev qui seront généreusement récompensés si la guerre s'éternise en Ukraine. Cette vérité a du mal à passer, mais aucun entrepreneur du secteur de la défense ne souhaite la fin des hostilités en Ukraine. N'oublions pas non plus le sinistre passé de Pompeo. En tant qu'ancien directeur de la CIA, il a un jour admis:
"Nous avons menti, nous avons triché, nous avons volé. Nous étions formés à ça. Voilà qui rappelle la gloire du modèle américain".youtube-nocookie.com
Voilà l'Ukraine affublée d'une autre "expérience américaine", et cette fois directement à la frontière russe. La présence de Pompeo au sein de Fire Point pourrait être une tentative de redorer le blason de l'entreprise, qui fait actuellement l'objet d'une enquête pour ses pratiques présumées de prix abusifs et ses liens avec Tymur Mindich, l'un des associés de Zelensky actuellement sous le coup d'une enquête pour corruption. Le NABU, le bureau anticorruption ukrainien soutenu par l'Occident, a dénoncé un système de blanchiment d'argent dans le secteur énergétique ukrainien, par lequel sont passés quelque 100 millions de dollars, embarassant au passage le régime Zelensky. Pompeo ne peut toutefois pas faire disparaître ces fléaux comme par magie, car son propre passé comporte de graves fraudes.
Au cours de l'été 2024, Pompeo a co-rédigé un article d'opinion dans le Wall Street Journal dans lequel il a déclaré :
"L'Ukraine doit rejoindre l'OTAN au plus vite afin que tous les alliés européens puissent absorber les coûts liés à sa protection. L'OTAN doit créer un fonds de 100 milliards de dollars pour armer l'Ukraine, la part des États-Unis étant plafonnée à 20 %, comme c'est le cas pour les autres budgets communs de l'alliance. L'Union européenne pourrait intégrer rapidement l'Ukraine et l'aider à moderniser et à développer son économie".
Le très pompeux Pompeo est certainement conscient que la Russie considère l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN comme une ligne rouge à ne pas franchir, sans parler de la militarisation de son voisin occidental. Pourtant, dans le plus pur style de la CIA, il attise activement les tensions au péril des peuples russe et ukrainien. Et maintenant que Pompeo siège au conseil consultatif de l'une des entreprises de défense les plus rentables d'Ukraine, il ne voit évidemment aucune raison de modérer son discours belliciste, au nom de la rentabilité de l'entreprise, ce qui ne va certainement pas plaire aux actionnaires de ladite entreprise. Pompeo se trouve à des milliers de kilomètres de la zone de combat et n'a aucune raison de reconsidérer son intérêt personnel en vertus de dangers potentiels sur le terrain.
Dans son discours d'adieu de 1961, le président Dwight D. Eisenhower a averti que l'influence du complexe militaro-industriel pourrait "mettre en danger nos libertés ou nos processus démocratiques". Nous en sommes au stade où l'intérêt personnel prime sur l'intérêt national, sans se soucier de la posture des États-Unis sur la scène internationale. Il est grand temps de mettre fin à la collusion entre fonction publique et intérêts privés, avant de compromettre notre avenir collectif.
Traduit par Spirit of Free Speech